Manque de places d’accueil pour les enfants atteints d’autisme

(Le Nouvelliste)

Alors que l’importance d’une prise en charge précoce des enfants atteints du trouble du spectre autistique est reconnue, les places d’accueil manquent.

par Sevan Pearson


Les difficultés à communiquer créent souvent de l’angoisse chez les personnes autistes ce qui accroît le risque de crises. KEYSTONE/ARCHIVES

 

«Il est souvent compliqué de trouver une place adaptée dans un centre spécialisé pour son enfant atteint du trouble du spectre de l’autisme (TSA).» Bénédicte Eissa sait de quoi elle parle. Maman d’une jeune femme autiste âgée aujourd’hui de 23 ans, elle se souvient de la première difficulté: établir un diagnostic. Ce n’est que lorsque sa fille atteint l’âge d’être scolarisée (6 ans) que sa suspicion est confirmée: son enfant est autiste. Commence alors un parcours difficile pour lui trouver un accompagnement adapté.

«Il est souvent compliqué de trouver une place adaptée dans un centre spécialisé pour son enfant atteint du trouble du spectre de l’autisme.»
Bénédicte Eissa, mère d’une enfant atteint d’autisme

«On m’a orientée vers l’éducation spécialisée», poursuit Bénédicte Eissa. Après plusieurs mois d’attente, elle obtient une place pour sa fille. «Mais je ne savais rien sur l’accompagnement dont elle allait bénéficier. Elle est restée là-bas pendant huit mois, sans faire aucun progrès. On a même essayé de me faire comprendre que je devais simplement «accepter» l’autisme de ma fille. Je l’ai retirée de ce centre et j’ai décidé de fonder l’association OVA (dont elle est présidente, ndlr) avec d’autres parents vivant des situations analogues.»

Aujourd’hui, cet organisme gère à Gland (VD) un centre dédié à l’autisme. Il vient en aide aux familles concernées et propose notamment l’approche dite «analyse appliquée du comportement» (acronyme anglais: ABA), développée aux Etats-Unis et étant reconnue scientifiquement comme efficace.

Compétences ciblées

Malheureusement, les difficultés évoquées par Bénédicte Eissa demeurent d’actualité. «Il est souvent ardu de trouver des centres spécialisés, ou du moins adaptés, pour des enfants ou des adultes autistes», confirme Isabelle Steffen, coprésidente d’Autisme Suisse romande, association ayant pour but de faire reconnaître les droits et spécificités des besoins des personnes avec autisme et de leurs familles.

«Il faut bien être conscient que les personnes autistes ont souvent de la peine à communiquer et à reconnaître les visages. Cela crée de l’angoisse et accroît le risque de crises.»
Isabelle Steffen, coprésidente d’Autisme Suisse romande

«Les foyers pour les enfants et les jeunes autistes sont destinés à des personnes avec de grandes fragilités. Elles ont besoin de beaucoup de prévisibilité, car cela les rassure. Il faut bien être conscient que les personnes autistes ont souvent de la peine à communiquer et à reconnaître les visages. Cela crée de l’angoisse et accroît le risque de crises. En aucun cas elles ne sont capricieuses», tient à souligner la responsable.

S’occuper d’enfants ou de jeunes autistes n’est donc pas facile et nécessite des compétences ciblées. «La formation des professionnels est essentielle, afin qu’ils soient en mesure de détecter les besoins spécifiques de chaque personne autiste dont ils s’occupent. Ces professionnels doivent pouvoir être écoutés et bénéficier d’une supervision. Il est également important que les familles soient entendues et consultées», insiste Isabelle Steffen.

Une prise en charge adaptée aux enfants autistes et une formation adéquate sont donc indispensables, afin d’éviter des maltraitances, comme celles qui ont récemment été dénoncées dans les médias au sujet du foyer de Mancy (GE) et qui font l’objet d’une enquête.

«Il faut des personnes bien formées, capables de comprendre les difficultés de communication des enfants autistes.»
Bénédicte Eissa, mère d’une enfant atteint d’autisme

«Il faut des personnes bien formées, capables de comprendre les difficultés de communication des enfants autistes. Car ces derniers, lorsqu’ils se sentent incompris, peuvent devenir violents envers les autres et envers eux-mêmes. Avec le risque d’entraîner le personnel dans des comportements totalement inadéquats. Afin d’éviter cela, il faut une intervention précoce, intensive, efficace et adaptée avec du personnel formé à ce type de prise en charge», recommande Bénédicte Eissa.

Justement, le 22 septembre, l’ESM Business School de Genève et l’association OVA, en coordination avec l’organisation professionnelle ABA Switzerland, lancent un master en ABA. «L’objectif est double: répondre au manque de professionnels pouvant prendre en charge les personnes avec TSA et développer leur esprit entrepreneurial afin qu’ils soient encouragés à créer des centres spécialisés», éclaire Eric Vandenhoeck, responsable de la communication auprès de l’association OVA.

Groupes de travail

Les choses bougent aussi du côté des cantons, après que la Confédération a publié un rapport en 2018 avec une série de recommandations, dont celle de privilégier une intervention précoce (voir ci-dessous).

En juin 2018, le Valais mettait sur pied un groupe de travail. «Le canton n’a pas suivi la stratégie de créer un grand centre susceptible d’accueillir toutes les personnes atteintes d’autisme. En effet, l’éventail des réponses apportées doit être en lien avec le spectre des besoins, variant fortement d’une personne à l’autre», indique Guy Dayer, chef de l’Office de l’enseignement spécialisé. A cela s’ajoutent la géographie complexe du canton et le bilinguisme. Cependant, des pas concrets ont été faits, puisque le budget dévolu aux écoles spécialisées a été récemment augmenté. «Même si ces mesures ne sont pas spécifiques aux enfants autistes, nous constatons que ces derniers occupent environ 30% de ces nouvelles places et que cela a permis de scolariser chaque élève», précise le responsable.

Dans le canton du Jura également, une commission travaille sur l’élaboration de pistes pour améliorer la prise en charge des personnes atteintes de TSA. Dans le courant de l’année, de trois à cinq places d’accueil supplémentaires pour enfants autistes seront ouvertes.

«ll s’agit d’un spectre, l’intensité du trouble autistique varie beaucoup»

Le trouble du spectre autistique (TSA) touche environ 1% de la population. Il nécessite une prise en charge adaptée et spécifique à chaque personne concernée. Entretien avec Nadia Chabane, directrice du Centre cantonal de l’autisme du CHUV et professeure en médecine à l’Université de Lausanne.

Qu’est-ce que le trouble du spectre autistique (TSA)?

Nadia Chabane: Il s’agit d’un trouble du développement du système nerveux central, qui se caractérise par des anomalies ou particularités du fonctionnement du cerveau. La personne autiste ne traite pas l’information de la même manière que la majorité de la population.

Quelles en sont les causes?

Elles sont multiples et tout se joue avant la naissance et parfois pendant. La génétique explique en partie l’émergence d’un TSA. Mais il faut également tenir compte de facteurs environnementaux: infection virale et/ou prise de certains médicaments durant la grossesse, anomalies dans l’oxygénation du bébé, prématurité ou encore âge du père (plus il est âgé, plus le risque augmente). Le stade de développement du cerveau, durant lequel ces facteurs multiples interviennent, influence probablement l’expression du TSA.

Justement, comment se manifeste un TSA?

De manière très diverse. Le point commun de toutes les personnes avec TSA: elles présentent des difficultés dans la communication sociale et des comportements répétitifs, ont des intérêts très spécifiques et un traitement sensoriel particulier (par exemple hypersensibilité à certains bruits ou à la lumière). Cependant, comme il s’agit d’un spectre, l’intensité du TSA varie beaucoup. D’un côté, il y a des personnes sans déficience intellectuelle (et même avec une intelligence remarquable), qui peuvent vivre «normalement», tout en ayant certaines particularités. De l’autre, on trouve celles ayant un grand retard de développement, sans langage et étant peu autonomes. Elles souffrent parfois de pathologies associées. Entre les deux, il existe un éventail très large.

Comment prendre en charge un TSA?

Il faut intervenir le plus tôt possible, car la plasticité du cerveau des jeunes enfants est grande, ce qui permet de vite travailler sur la communication et la socialisation. Il existe différentes approches validées. Le modèle de Denver (Early Start Denver Model), développemental et comportemental, s’adresse aux enfants de 18-48 mois. A raison de 20 heures par semaine pendant au moins deux ans, un professionnel travaille de façon ludique avec l’enfant pour favoriser les apprentissages. Pour les enfants et les adultes, l’analyse appliquée du comportement (acronyme anglais: ABA) vise à travailler les apprentissages en adaptant les comportements à la vie en société. Ce qui est dans tous les cas essentiel, c’est d’évaluer l’efficacité de l’accompagnement, afin de le modifier si nécessaire. SP

Proche aidant•e [n.]: une personne, dix casquettes

(blick.ch/fr)

Jamais mieux servi que par soi-même #36

Le journaliste Malick Reinhard pointe docilement du doigt la maladresse des «valides» face au handicap. Cette semaine, il nous parle des proches aidants, ces personnes à la charge de travail lourde et qu’on oublie parfois trop rapidement.

Malick Reinhard

Eh, bamboulé, ou bien *placer ici votre meilleur accent genevois*!? Ça y est, on va pouvoir revivre, sans toutes ces contraintes sanitaires? Peut-être être pas pour tout le monde. Alors, oui, la levée quasi totale des mesures Covid dans notre pays me réjouit.

Et pourtant, en tant que «personne à risque», il m’est impossible de ne pas me demander si, en réalité, ce n’est pas à partir de maintenant que le qualificatif «à risque» se légitime plus que jamais. Désormais moins protégée par les autres, cette population risque de véritablement commencer son semi-confinement aujourd’hui.

Je vous ai posé la question sur Facebook et, évidemment, les réactions saines et bienséantes n’ont pas tardé à arriver. Frédéric, pour me «protéger», me conseille, en bon pharmacien, la vitamine C liposomale — paraît-il qu’elle est disponible sans ordonnance. Isabelle me rappelle, dans un éclair de génie, que nous sommes «tous mortels». Natacha soutient: «À vivre dans la peur, autant directement préparer ses funérailles». Et puis, message à mes proches: Jérôme commence, dès maintenant, à faire son deuil. Il regrette ma prétendue mort prochaine due au Covid. Dommage, il paraît qu’il «m’aimait bien».

Environ 590’000 aidants en Suisse

En parlant de mes proches, pour eux non plus, cette période de retour à la normalité, faite de protection accrue dans un environnement euphorique et indolent, sera une probable nouvelle épreuve. Ces personnes, là, qui, contrairement à Frédéric, Isabelle, Natacha et Jérôme, n’auront tout simplement pas d’autre choix que de vivre au rythme des êtres à risques qu’ils côtoient de près. Au nom de la solidarité et, surtout, de la sécurité.

Ces personnes, là, on les appelle les proches aidants. Ils et elles, bénévoles et très peu reconnus par les autorités, sont un peu plus de 590’000 en Suisse, dont quasiment 49’000 ont aujourd’hui moins de 16 ans. On n’en a encore jamais parlé, vous et moi, mais, en plus d’être proche aidé, je suis aussi proche aidant. Plusieurs fois par semaine, j’assiste Nathan, 17 ans, mon frère cadet, qui est atteint de problèmes cognitifs, plus précisément d’une leucomalacie — mot compte triple au Scrabble. Ainsi, avec handicap, ou non, il est possible, à parts égales, de se retrouver aidant.

Aujourd’hui, cette ville de proches aidants, à l’image de Corippo (TI), Mauraz (VD) ou Kammersrohr (SO), manque encore cruellement de visibilité. Et ça, Sarah Missiller-Vuataz l’a bien compris. Elle-même maman et proche aidante du petit Louis, 8 ans, l’assistante en intégration scolaire crée en décembre 2021, avec son mari, Théo, «Parenthèse», un podcast pensé par et pour «les parents d’enfants extraordinaires» — comprenez touchés par un handicap ou une maladie.

Un besoin de se raconter

Et, même si beaucoup de proches aidants en Suisse ne sont pas forcément parents, Sarah Missillier-Vuataz reconnaît qu’il y’a un fort besoin de se raconter et d’échanger chez ces personnes dont le rôle est souvent inconnu: «C’est hyper important, pour moi comme pour d’autres, d’avoir la possibilité, en tant que parents et proches aidants, d’avoir la possibilité d’échanger des conseils et astuces entre êtres humains qui vivent des expériences similaires. La difficulté d’être parent et proche aidant, c’est de rester parent avant tout. On pourrait vite être tenté de devenir le physiothérapeute de substitution, l’infirmière de substitution… Alors que, finalement, nous sommes les parents d’un enfant, avant d’être autre chose. Échanger pour prendre du recul sur la situation, c’est onc nécessaire.»

Ni une ni deux, l’internet des internets propulse le podcast et montre l’intérêt porté par des parents de familles où « tout va bien» et qui, toujours selon sa créatrice, ont envie de s’informer sur des réalités parallèles aux leurs. Pour la Blonaysanne, c’est aussi ça, l’intégration. Un véritable pont entre visions du monde qui est important ne serait-ce que pour protéger les proches aidants et les proches aidés.

Le proche aidant du proche aidant

Mais, pas toujours facile de se protéger et de penser à soi, quand on est là pour l’autre. Dans un récent rapport de l’Office fédéral de la Statistique (OFS), il est observé que, les proches aidants en Suisse, sont globalement plus atteints dans leur santé, à comparer avec leurs contemporains qui ne sont pas appelés à assister une ou un membre de leur famille. Cela s’expliquerait notamment par le fait que la majorité de ces personnes appelées à l’aide sont âgées de plus de 50 ans.

«Pour être dans ce rôle, qui n’est pas toujours choisi, il faut être solidement accompagné, estime Sarah, la maman de Louis. Il s’agit de trouver le proche aidant du proche aidant. Et dans notre cas, c’est une grande chance de pouvoir soutenir notre fils à deux, avec mon mari. Sinon le bateau est trop lourd!»

Une grande chance que confirme la fondation Pro Infirmis, qui vient en aide notamment à cette population: parmi leurs nombreux dossiers ouverts dans tout le pays, 80% des couples assistés sont aujourd’hui divorcés, « probablement en raison du handicap qui est venu impacter l’équilibre familial». Un chiffre 30% plus élevé que celui donné par l’OFS, toutes configurations de ménages confondues.

Entre le présent et l’avenir

Pour Sarah Missilier-Vuataz, comme pour beaucoup d’autres proches aidants, le carpe diem n’existe pas. Aujourd’hui, Louis a 8 ans. Mais il aura toujours besoin d’une aide active, en raison de sa maladie rare. Impossible, pour la mère et le père du petit bonhomme fédérateur, de ne pas se demander quelle sera leur place, une fois ce dernier devenu adulte.

«Mais, parallèlement à cela, nous devons apprendre à vivre dans l’instant présent, nuance l’assistante en intégration scolaire. On navigue beaucoup entre le présent et l’avenir. Et puis, finalement, la vie est bien plus difficile pour Louis que pour nous. C’est lui qui, depuis sa naissance, vit les opérations, les soins… Et il n’a rien demandé de tout cela. Alors, en tant que parents, et donc aussi proches aidants, on ne peut qu’être là pour lui.»


Louis et ses proches aidants

 

Un restaurant tout en signes

(Le Courrier Genève)

Vroom, le premier établissement géré par des personnes sourdes a ouvert ses portes à Genève. L’occasion de s’initier à la langue des signes autour d’une assiette.

Maude Jacquet

Inclusion Voici le premier restaurant genevois où le silence est roi! Fraîchement ouvert, le Vroom a été pensé par et pour des personnes sourdes ou malentendantes. Tout ici est adapté pour que de la cuisine à la dégustation, en passant par le service, on puisse se passer de la parole. Mais le projet ne cultive pas l’entre-soi: il se veut au contraire une passerelle entre le monde des sourdes et des entendantes. Une manière de découvrir la langue des signes au détour d’un repas, mais aussi de valoriser les personnes sourdes dans le monde du travail.

Design 100% adapté

L’idée, mûrie depuis plus de deux ans, a germé dans la tête de Mehari Afewerki, président de la Société des sourds de Genève. Inspiré par des initiatives similaires en France, au Canada et aux Etats-Unis, il décide de sauter le pas, en s’appuyant sur un financement participatif et des soutiens publics et privés. L’établissement, qui peut accueillir dès maintenant 50 personnes, est ouvert du lundi au samedi.

En poussant la porte du 13 rue des Rois, on constate en premier lieu l’agréable luminosité et le mobilier design. Tables et bar arrondis, miroirs qui agrandissent l’espace et grandes baies vitrées, rien n’est laissé au hasard. Mais ce n’est pas (seulement) pour le plaisir des yeux: tout ici a été pensé en termes de fonctionnalité. «Le mobilier rond permet aux convives de pouvoir signer en étant vus de toute la table, ce que favorise aussi une bonne luminosité», détaille Elodie Ernst, la responsable communication du projet. Dans la même optique, le miroir au fond du bar permet aux serveurs et serveuses, majoritairement sourdes ou malentendantes, de saisir les mouvements dans la salle même quand ils doivent lui tourner le dos. La cuisine a également droit à ses aménagements aussi tendances que pratiques: l’espace est ou- vert sur la salle et on y dresse les assiettes face aux convives. Côté client.es, on apprécie le calme qui émane de cette cuisine, bien loin de l’ambiance survoltée et bruyante qui y règne souvent.

«Les personnes sourdes sont trois fois plus touchées par le chômage que les personnes entendantes»
Elodie Ernst

Vient bientôt le moment de commander. Ici la langue des signes est reine, mais pas question d’exclure les non -initiées: une partie du personnel lit sur les lèvres, une serveuse entendante peut également faire le lien. Mais à terme, le but est de se lancer dans le grand bain: «D’ici peu, nous aurons des tablettes qui expliqueront en vidéo le menu en langue des signes. Même les entendantes pourront alors passer leur com- mande en signant», se réjouit Elodie Ernst.

Les premiers.ères client.es, enthousiastes, n’ont pas attendu le développement de la technologie. En demandant de l’aide à la table voisine, ils et elles s’en- traînent pour commander un émincé de poulet accompagné de riz – le plat de ce jour – et une salade. Mais aussi apprendre les salutations élémentaires. Entre un lever de soleil pour dire bonjour et la barbe du bouc pour le chèvre chaud, fou rire garanti et partagé par la tablée attenante. Si vous êtes prêtes, il ne reste plus qu’à appeler le service? Il suffit pour cela d’appuyer sur la commande installée à table qui transmet votre appel via une montre connectée.

Déstigmatiser la surdité

Au-delà de l’aspect ludique de l’expérience, ce restaurant a une double vocation: «Nous voulons proposer un lieu où les personnes sourdes se sentent à l’aise. Mais aussi montrer qu’elles peuvent travailler comme les autres, alors qu’elles sont aujourd’hui trois fois plus touchées par le chômage que les personnes entendantes», regrette la porte-parole du projet. Une exception à cette règle: Caroline, serveuse entendante, qui travaillait auparavant dans ces mêmes locaux pour un autre établissement. «Quand on m’a proposé de me joindre au projet, j’ai tout de suite dit oui. Cela impliquait de me former à la langue des signes. J’ai pris des cours, mais c’est surtout auprès de l’équipe, en contexte, que j’ai le plus appris. Je trouve extraordinaire de mener ce projet dans la restauration.»

Reste à convaincre les gourmand.es de franchir la porte. Et c’est bien parti. Dans le quartier, le mot a déjà tourné, et ce midi les travailleurs et travailleuse du quartier prennent possession des lieux. Il y a cette maman, venue avec son fils, qui trouve l’expérience «pédagogique, même si on vient d’abord pour la cuisine». Et cette jolie confluence des rencontres qui ont amené Alain l’orthophoniste et sa collègue logopédiste Corinne à cette table. Lui a travaillé longtemps avec des personnes sourdes, elle a rencontré Elodie Ernst via une application de livraison de repas entre particulier.ères. Avec des bureaux à deux pas, l’occasion était trop belle pour ne pas la saisir. Et c’est déjà promis: il et elle reviendront!


Deux des initiateurs.trices du projet, Mehari Afewerki et Elodie Ernst, quelques jours après l’ouverture du restaurant. JEAN-PATRICK DI SILVESTRO

 

Mancy: «C’est quelqu’un de très criminel qui a fait cela»

(Le Temps)

Surmédication

Les faits reprochés aux prévenus mentionnent une forte dose de Temesta, mais aussi d’autres médicaments susceptibles de mettre en danger une jeune autiste. «Le Temps» révèle les explications données à la justice par l’une des personnes mises en cause Malika, de son prénom d’emprunt, jeune autiste de 13 ans placée au foyer de Mancy, ne s’est pas seulement vue administrer une forte dose de Temesta pouvant mettre sa vie en danger. Des analyses médicales ont montré que la mineure avait aussi ingéré de la clotiapine (un neuroleptique réservé aux adultes) et du lévétiracétam (un anti-épileptique), des substances contenues dans des médicaments qui ne lui étaient pourtant pas prescrits. Cela se serait produit entre février et début mai 2021, soit sur une période de plusieurs mois, selon le procès-verbal d’audition d’une des trois personnes mises en prévention en début de semaine et que Le Temps a pu consulter.

«Je me sens abasourdie. Je ne suis pas du tout liée à ces histoires.» Ce sont les premiers mots adressés par la prévenue à la procureure Victoria de Haller. Cette éducatrice spécialisée, bientôt sexagénaire, co-référente de Malika jusqu’en juillet2021, faisait des remplacements à Mancy depuis la création du centre. Selon elle, la préparation des piluliers se faisait par les infirmiers, puis des collaborateurs fixes. «Tout le monde avait accès à la pharmacie car elle n’était pas fermée à clé.» Depuis cette affaire, les choses ont changé, même si les nouvelles règles «ne sont pas toujours respectées».

«Rendre service»

Entendue d’abord par la police, la prévenue, défendue par Me Romanos Skandamis, assure que Malika «n’était pas attirée par son pilulier et n’était même pas capable de l’ouvrir». Le 28 mars2021,soit le soir de l’intoxication au Temesta, l’éducatrice était en charge d’un autre enfant et dit avoir rendu service à ses deux collègues (une infirmière et un éducateur qui voulaient prendre le temps de manger) en gardant Malika et en allant la coucher dans sa chambre. Ces collègues (qui sont aussi prévenus) lui avaient indiqué avoir donné «la réserve», soit les médicaments prescrits à l’enfant, car elle était agitée en promenade.

Après environ trente minutes, Malika est réapparue dans la cuisine. «Elle marchait en se balançant comme d’habitude», assure l’éducatrice qui avait rejoint les deux autres autour de la table. Elle précisera plus tard qu’elle «était somnolente, mais dans un état normal». C’est un autre éducateur de nuit, «très gentil», qui aurait alors pris le relais. Elle conteste avoir couché l’enfant deux fois avant de repartir chez elle, comme cela a été dit par ses collègues lors des entretiens de service. «Ce n’est pas vrai. Ils ont dû discuter entre eux. Je commence à comprendre leur jeu.» Elle-même n’a pas été convoquée pour s’expliquer à l’interne.

«Donner une fois du Temesta cela peut être dû à une guerre de clans, mais pas le fait d’administrer dans la durée d’autres médicaments»
Éducatrice spécialisée mise en prévention

Interrogée sur l’ingestion de tous ces médicaments, la prévenue répond: «Je ne sais pas pour quelle raison on prescrit ce genre de médicaments mais je me demande si quelqu’un a tenté de calmer les crises de Malika. Je précise toutefois que ce que vous me dites m’effraie. Je ne comprends pas comment on peut faire du mal à un enfant.» A la question de savoir si elle a déjà vu quelqu’un perdre patience: «Je n’ai jamais vu personne perdre patience avec elle. Si je l’avais vu, je serais intervenue. Je pense qu’en ma présence, personne n’oserait la maltraiter.»

Faits contestés

Devant la procureure, l’éducatrice conteste toujours fermement les faits reprochés. Elle donnait uniquement les médicaments prescrits ou ceux qui étaient dans les piluliers préparés par d’autres. Quant au Temesta, «j’ai su ce qui était arrivé à Malika un ou deux jours plus tard», via un courriel de la directrice générale de l’Office médico-pédagogique. S’agissant de cette enfant, elle précise que les éducateurs avaient peur d’elle au début. «Ils sortaient des sortes de boucliers.» Au final, la balançoire suffisait souvent pour la calmer.

Quel a été le contenu des discussions au foyer après cet «incident»? «J’ai entendu que Malika est allée aux toilettes la nuit et qu’elle trébuchait. Le lendemain, sous la douche, elle était très sage, ce qui n’est pas le cas normalement.» L’éducateur de nuit l’a amenée le lendemain à l’école et a dit à la maîtresse que l’enfant était bizarre. Elle a alors été amenée à l’hôpital. Il y a eu des WhatsApp, des échanges en tête à tête. «Nous avons dit au sein du groupe que cette histoire nous rendait dingue car aucun élément en notre possession ne permettait de comprendre la situation.»

Interdiction de contact

Sur question de son avocat, la prévenue persiste à penser qu’il est impossible que Malika ait pris seule le Temesta. «Je ne sais pas qui a fait cela, mais c’est quelqu’un de très criminel. Donner une fois du Temesta cela peut être dû à une guerre de clans, mais pas le fait d’administrer dans la durée d’autres médicaments.»

Guerre de clans, le mot est lâché. Pour percer cette sombre histoire, les enquêteurs ont saisi téléphones et ordinateurs afin de savoir, notamment, ce qui s’est dit au moment des faits. D’autres mesures de surveillance secrètes ne sont jamais exclues dans ce type d’enquête et pourraient en partie expliquer le temps pris par la justice pour intervenir. En attendant les futures auditions et confrontations, les prévenus sont interdits de contact avec toute une série de personnes et ne peuvent s’approcher du désormais tristement célèbre foyer de Mancy. – F.MA

Des centimètres qui coûtent cher

(La Liberté)

Les communes veulent être indemnisées après un changement de normes pour les arrêts de bus

Magalie Goumaz


Des arrêts doivent être rehaussés pour permettre aux personnes à mobilité réduite d’emprunter plus facilement les transports publics. Charly Rappo

 

Mobilité Le canton de Fribourg parviendra-t-il à adapter dans les temps ses arrêts de bus pour les rendre conformes à la loi fédérale sur l’égalité pour les handicapés, c’est-à-dire permettre aux personnes à mobilité réduite de monter sans difficulté et de manière autonome dans un véhicule? Pas certain. Car l’heure est plutôt aux règlements de comptes en lien avec un changement de directives en cours de route, qui demande de prévoir quelques centimètres de hauteur de bordure des quais en plus.

Les collectivités publiques avaient vingt ans, soit jusqu’à fin 2023, pour se mettre en conformité avec la LHand. Mais à Fribourg, des travaux doivent être refaits en raison de cette nouvelle norme, annoncée fin 2020. Et il a fallu revoir toute la planification. Plusieurs communes viennent ainsi d’adresser à l’État de Fribourg une demande d’indemnisation pour ce qui avait déjà été entrepris avant cette date. Une démarche que confirme la Direction du développement territorial, des infrastructures, de la mobilité et de l’environnement (DIME). «Ces demandes d’indemnisation font l’objet d’une procédure en cours et sont examinées par la DIME, qui s’est réservé la possibilité de se retourner contre les Transports publics fribourgeois, à l’origine des surcoûts», explique son porte- parole, Guido Balmer.

Reste que les TPF contestent le bien-fondé de ces prétentions, font-ils savoir. Ils ne sont pourtant pas étrangers à ce changement de directives. Au moment d’entreprendre la mise en conformité des quais, l’entreprise de transports estimait en effet qu’une hauteur de 16 centimètres suffisait car 75% de sa flotte pouvait se pencher suffisamment pour garantir la conformité au droit fédéral, et que ce taux augmenterait encore avec l’acquisition de nouveaux bus. Sauf que ce n’est pas le cas de la nouvelle génération d’engins. S’y ajoute un arrêt du Tribunal cantonal qui a donné raison à l’association Inclusion Handicap, laquelle contestait la hauteur de quai de 16 centimètres à l’arrêt Briegli, sur la commune de Guin, et réclamait des quais d’une hauteur de 22 centimètres.

Communes au front

Depuis une année, Etat et communes revoient ainsi leur copie. Directrice de l’Association des communes fribourgeoises (ACF), Micheline Guerry-Berchier suit évidemment ce dossier de près. Elle estime également qu’il faut trouver une solution pour indemniser les collectivités publiques. «Sinon, les bons élèves, ceux qui ont anticipé des travaux, seraient punis», déclare-t-elle. Selon elle, parmi les 40 arrêts de bus concernés par un rehaussement de 16 à 22 centimètres, il y aurait 17 cas problématiques qui ont fait l’objet d’une analyse par la DIME. Voire davantage.

La ville de Fribourg, par exemple, doit assainir 87 arrêts sur les 124 situés sur ses routes communales. En raison de la nouvelle directive, 25 arrêts qui avaient déjà été mis en conformité devront être refaits, pour un montant qu’une première estimation situe à environ à un million de francs. «Nous nous sommes ainsi ralliés aux démarches entreprises à ce sujet par l’ACE et par l’agglomération», indique Pierre-Olivier Nobs, conseiller communal chargé de la mobilité. «Mais l’an dernier, nous avons aussi dû revoir complètement notre planification alors que nous étions déjà bien avancés. Avec l’ancienne directive, 40% environ de nos arrêts étaient déjà conformes à la LHand. Ce n’est plus le cas», résume-t-il.


«Nous avons dû revoir notre planification complètement» Pierre-Olivier Nobs

 

Intégrée au réseau Mobul, Bulle fait également partie des communes qui ont réagi. «Lorsque nous devions faire des travaux à certains endroits, comme le long de la route de Riaz ou encore près du Jardin anglais, nous en avons profité pour rehausser les arrêts à 16 centimètres, conformément à la directive en vigueur à l’époque. Aujourd’hui, nous devons tout refaire», explique la conseillère communale Marie- France Roth-Pasquier, qui estime le montant des travaux entrepris à l’époque à près de 700 000 francs.

Syndic de Villars-sur-Glâne, Bruno Marmier confirme que sa commune demande une indemnisation d’environ 200 000 francs, soit la différence pour des travaux qui doivent être faits en deux fois plutôt qu’une. «Cinq ou six arrêts sont concernés sur notre territoire. Mais nous estimons qu’il s’agit d’une question de principe. Il y avait une directive, elle a été modifiée et celui qui en est responsable doit assumer», estime-t-il. L’Etat de Fribourg est également concerné pour les arrêts se situant sur des routes cantonales. «Aucun arrêt de bus sur route cantonale construit à 16 cm n’a été rehaussé pour l’instant. Et jusqu’à présent, aucun calcul n’a été effectué car les coûts seront différents de cas en cas, en fonction de la solution choisie», indique Guido Balmer.


Des travaux sont en cours, le reste suivra

Pour chaque arrêt, le coût varie en fonction de l’importance des travaux à entreprendre.

En 2018, l’État de Fribourg a demandé et obtenu un crédit de 21.2 millions pour effectuer les travaux sur 334 arrêts se situant au bord d’une route cantonale. Porte-parole de la Direction du développement territorial, des infrastructures, de la mobilité et de l’environnement, Guido Balmer annonce que depuis, 60 arrêts ont été mis aux normes. Des travaux sont en cours pour 149 arrêts, et le reste suivra. Mais les communes doivent aussi délier les cordons de la bourse pour les infrastructures se situant sur une route communale

Dans la capitale. 87 arrêts sur 124 inventoriés sont concernés. Il en coûtera 3,5 millions de francs. «Après le changement de directive, nous avons pu finaliser l’an dernier un inventaire précis des travaux à entreprendre sur l’ensemble de notre réseau», explique le conseiller communal Pierre-Olivier Nobs, chargé du dicastère de la mobilité. En décembre dernier, le Conseil général a ainsi accepté un crédit de 1,75 million de francs. Ln montant similaire lui sera soumis pour l’an prochain. «Se mettre en conformité est une préoccupation de la ville de Fribourg depuis longtemps, car nous voulons offrir le meilleur des services possible aux personnes concernées», poursuit le conseiller communal.

Même exercice en décembre dernier à Villars- sur- Glâne, qui a également fixé des priorités pour les 26 quais concernés se situant sur son territoire. Un montant de 1,6 million de francs permettra de lancer les travaux là où la part de passagers à mobilité réduite est non négligeable, comme à l’hôpital cantonal, devant l’EMS des Martinets ou encore devant le Foyer des Préalpes. A noter que les Transports publics fribourgeois prennent à leur charge 10% des montants engagés par les communes.

Pour chaque arrêt, le montant peut varier en fonction de l’importance des travaux à entreprendre. En 2004, le coût moyen par arrêt était estimé à 45 000 francs. MAG