Des personnes paralysées parviennent à remarcher grâce à une technique révolutionnaire

(Franceinfo)

En Suisse, trois patients en situation de handicap, qui étaient condamnés à ne plus jamais marcher, ont réussi à se remettre debout. Cet exploit scientifique a été possible grâce à des électrodes implantés sur leur colonne vertébrale.

C’est un pas de plus inespéré. Victime d’un accident de moto cinq ans plus tôt, Michel Roccati est devenu paraplégique. Mais l’espoir renaît avec une technologie révolutionnaire développée en Suisse. « Après l’intervention, je me suis adapté, et j’ai commencé à stimuler ma jambe gauche et droite. C’est un nouveau départ », confie le patient, qui a reçu un implant envoyant des stimulations électriques dans la moelle épinière.

Contrôler les muscles des jambes et du tronc

Cette technique est inédite, et permet notamment « d’accéder à toutes les régions de la moelle épinière qui vont contrôler les muscles des jambes, mais aussi du tronc », explique Grégoire Courtine, neuroscientifique à l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL). La prouesse médicale a permis à deux autres patients paraplégiques de marcher de nouveau dans la rue, en dehors des laboratoires. Désormais, l’équipe médicale espère « en faire un traitement », affirme Jocelyne Bloch, neurochirurgienne au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), à Lausanne. Le but serait ainsi de « ne pas faire uniquement de la recherche », mais de rendre cette technique « normale ».

«Bientôt des paraplégiques pourront remarcher sans aide extérieure»

(Le Temps)

NEUROSCIENCES Des équipes du CHUV et de l’EPFL sont parvenues à faire remarcher des patients atteints de lésions complètes de la moelle épinière grâce à des stimulations électriques, y compris en dehors du laboratoire

Par Sylvie Logean

C’est une nouvelle victoire d’étape pour les équipes de Grégoire Courtine, neuroscientifique à l’EPFL, et Jocelyne Bloch, neurochirurgienne au CHUV. Grâce au développement d’implants optimisés pour stimuler la région de la moelle épinière qui contrôle les muscles du tronc et des jambes, trois patients ayant souffert d’une lésion complète de la moelle épinière ont été capables de marcher en dehors du laboratoire. Ces résultats ont fait l’objet d’une publication dans la revue Nature Medicine, ce lundi. Les explications de Jocelyne Bloch:

On se souvient encore de ces images, en 2018, d’un paraplégique quittant sa chaise roulante pour se mettre à marcher à l’aide d’un déambulateur. Votre concept de réactivation de la moelle épinière à l’aide de stimulations électriques faisait alors ses premières preuves. Qu’est-ce qui a changé, trois ans plus tard?

L’un des grands changements concerne les patients inclus dans notre étude. Ces derniers ne sont en effet plus atteints de lésions partielles de la moelle épinière, mais complètes, ce qui signifie qu’ils ne peuvent absolument pas bouger leurs membres inférieurs. La technologie a également évolué. Il y a trois ans, nous utilisions un dispositif essentiellement conçu pour traiter les douleurs chroniques, désormais nous nous dirigeons vers des dispositifs dédiés aux personnes paraplégiques. Ces nouveaux implants ont rapidement fait leurs preuves: quelques jours après leur insertion, les patients pouvaient déjà commencer à se lever et remarcher.

Qu’apportent concrètement ces implants conçus par l’entreprise ONWARD Medical, dont vous êtes la cofondatrice avec Grégoire Courtine?

Pour marcher, on active différents groupes musculaires bien spécifiques, que l’on peut facilement trouver avec ces nouvelles électrodes, en les dis- posant de telle sorte qu’ils correspondent précisément aux racines nerveuses de la moelle épinière et afin qu’ils nous permettent d’accéder aux neurones contrôlant les muscles. Cette spécificité fait que l’on arrive mieux à mimer la véritable activité de la moelle épinière lorsque l’on marche. Par ailleurs, il nous est également possible d’activer les muscles du tronc – qui sont parfois atteints chez les personnes paraplégiques -, ce qui est important pour la réalisation de mouvements de tous les jours.

Dans votre technologie, vous faites également appel à l’intelligence artificielle, en quoi est-ce utile pour les patients?

Nous utilisions déjà l’intelligence artificielle en 2018, mais les nouveaux logiciels que nous avons développés permettent de générer des stimulations bien spécifiques pour des activités différentes. Ainsi le programme ne sera pas le même si le patient est debout ou s’il souhaite marcher, nager ou faire du vélo. Le thérapeute peut choisir le programme voulu en fonction de l’activité. Cela signifie que pour l’heure nous avons toujours besoin d’un dispositif externe mais il est fort probable que, bientôt, les patients puissent eux-mêmes décider, avec leur cerveau, de l’activité qu’ils souhaitent entreprendre et cela sans aucune intervention extérieure. Nous n’en sommes pas encore tout à fait là, mais nous sommes déjà parvenus à faire une preuve de concept.

Tous les patients paraplégiques pourront-ils en profiter?

Oui. L’important, c’est que les derniers centimètres de la moelle épinière soient intacts, car c’est là que l’on place les électrodes. Tous les patients pourront bénéficier de cette technologie dès qu’elle sera produite sur un plan commercial, or actuellement nous en sommes encore au stade de la recherche.

Lire également l’article du 09.02.2022 (+vidéo)

La communication pour tous (FR)

(La Liberté)

Des tableaux pictogrammes devraient voir le jour cette année dans divers lieux publics du canton


Stéphane Jullien, logopédiste, expose l’un de ces tableaux développés par l’équipe de logopédistes du Home-Ecole romand de la Fondation des Buissonnets.Alain Wicht

 

Stéphanie Scroeter

Fribourg C’est un tableau magique! Même s’il n’a l’air de rien, comme ça, avec ses dessins a priori enfantins. Installé depuis quelques mois dans la cour du Home-Ecole romand (HER) de la Fondation des Buissonnets, à Fribourg, ce tableau de pictogrammes permet pourtant de communiquer. Ses images représentant une balançoire, un toboggan ou encore une balle servent à celles et ceux qui l’utilisent en les pointant de s’exprimer et d’échanger. Dans le langage technique, cela s’appelle la Communication alternative et améliorée (CAA, lire ci-après).

Ainsi, le petit Louis qui ne peut pas parler saura, en choisissant l’image idoine, expliquer à un camarade ou à un adulte qu’il a envie de jouer, qu’il est fatigué ou qu’il a soif, notamment. Le vocabulaire spécifique qui y figure est choisi en fonction du contexte auquel il s’applique. Mais pas seulement. Un vocabulaire de base, qui fonctionne dans toutes les situations, comme le besoin d’aide, les sentiments de colère ou de tristesse, en fait partie. «Il existe trois panneaux similaires dans la cour du HER», résume Stéphane Jullien, logopédiste au HER, qui a proposé ces tableaux lesquels ont été développés par l’équipe des logopédistes du HER.

Handicap répandu

De tels panneaux de pictogrammes devraient faire des petits prochainement dans certains lieux publics et communes du canton de Fribourg. Ils s’adressent aux personnes dites «non verbales», en situation de handicap de la communication, enfants ou adultes, qui présentent des déficiences diverses comme une déficience intellectuelle, un trouble du spectre de l’autisme, une trisomie 21, un trouble du développement du langage ou un trouble neurologique acquis. Ils peuvent également être employés par les personnes allophones. «Le handicap de la communication affecte une proportion significative de la population», note le logopédiste.

«Ce handicap affecte une proportion significative de la population»
Stéphane Jullien

Objectif premier: améliorer l’inclusion, la participation sociale et l’autodétermination des personnes en situation de handicap de la communication. Le concept a, en effet, reçu le feu vert et le soutien financier du Service de la prévoyance sociale de la Direction de la santé et des affaires sociales. Divers organismes comme Pro Infirmis Fribourg ou encore le Service de l’enseignement spécialisé et des mesures d’aide (SESAM) du canton de Fribourg soutiennent également ce projet.

Ces panneaux devraient être installés dans les lieux publics, comme des places de jeux, des lieux culturels, à l’instar de musées ou bibliothèques, et des infrastructures sportives, qui feraient part de leur intérêt auprès de la Commission romande d’ISAAC Francophone que Stéphane Jullien a constituée et dont il est chargé. Une mission que le logopédiste remplira cette année en prenant contact avec ces éventuels partenaires.

Les installations de ces panneaux s’accompagneront de formations quant à leur utilisation et d’une sensibilisation de la société civile à propos de la CAA par le biais de codes QR permettant d’accéder à davantage d’informations. Des formations pourront en outre être proposées aux personnes chargées des lieux publics. Chaque panneau sera ainsi réalisé avec le vocabulaire correspondant à l’activité du lieu, afin que les tableaux soient fonctionnels pour les utilisateurs. «Dans les lieux culturels, ces tableaux permettent au personnel responsable de l’accueil de se faire comprendre auprès de ces personnes, enfants et adultes, en rendant les informations qui leur sont données accessibles à leur compréhension. Les utilisateurs de tels outils sont donc les personnes en situation de handicap de la communication et leurs partenaires de communication», tient à préciser Stéphane Jullien.

Déjà à l’étranger

Une démarche qui n’est pas nouvelle puisque le concept est déjà utilisé depuis plusieurs années à l’étranger, dans des pays anglophones. La création des tableaux, leur impression et leur installation sont financées par le soutien du Service de la prévoyance sociale du canton de Fribourg qui a accordé un montant de 10 000 francs. «Le coût de l’installation des panneaux varie en fonction du type de tableau, sur pied en extérieur ou accroché sur un mur à l’intérieur», indique Stéphane Jullien.

Le nombre de tableaux évoluera en fonction des différentes situations. L’aide des communes, pour l’installation, et le soutien des lieux publics intéressés par le projet pourraient aider à réaliser davantage de tableaux. «Des aides supplémentaires seront recherchées et sont les bienvenues.» Les tableaux, une dizaine en fonction des besoins et demandes, devraient être élaborés et installés durant cette année.


Stephen Hawking, un précurseur

La communication alternative et améliorée (CAA) est la traduction du terme américain AAC (Alternative and Augmentative Communication). Elle concerne tous les moyens humains et les outils permettant à une personne de communiquer malgré ses difficultés. Elle remplace ou améliore le langage oral s’il est absent, déficient ou perdu. La CAA s’est beaucoup développée durant ces dernières décennies. Il existe diverses sortes de communications alternatives et améliorées. Celles qui ne nécessitent pas de matériel mais font appel au corps (mimiques, etc.). Il y a aussi les pictogrammes et les assistances techniques.

Astrophysicien décédé en 2018, Stephen Hawking a été un précurseur en la matière et utilisait un appareil de communication lors de ses interventions. L’association ISAAC (International Society for Augmentative and Alternative Communication) a été créée en 1983 et vise à améliorer la qualité de vie de toute personne momentanément ou définitivement privée de parole. ISAAC francophone est rattaché à ISAAC international et regroupe la Belgique, la France et la Suisse. La commission romande d’ISAAC, basée à Fribourg et composée de 13 membres des différents cantons romands, vient d’être créée. SSC

Vincent Guyon, premier malentendant de Suisse à siéger dans un exécutif

(Le Temps)

Le Vaudois de 49 ans a été élu en 2020 dans la petite commune de Rances. Une avancée de taille pour la communauté sourde, encore marginalisée à différents niveaux de la société.


Diagnostiqué sourd dans sa tendre enfance, Vincent Guyon ambitionne de repousser, à travers son mandat communal, les ultimes limites de son handicap. — © Valentin Flauraud pour Le Temps

 

par Sylvia Revello

Depuis un an, le petit village de Rances, dans le Nord vaudois, compte une particularité: un élu à l’écoute, qui ne fait pas de grandes promesses mais lit sur les lèvres les besoins de ses administrés. A 49 ans, Vincent Guyon est le premier sourd de Suisse à intégrer un exécutif. Un défi aux allures d’évidence pour cet amoureux de la politique qui compte bien repousser, à travers son mandat communal, les ultimes limites de son handicap.

«Je voulais faire comme les autres»

Né en République démocratique du Congo où ses parents, alors missionnaires pour l’Armée du Salut, ont vécu un temps, Vincent Guyon est sourd de naissance. «Enfant, j’étais très turbulent, sourit l’élu, installé dans le carnotset de la municipalité. Un jour, je trottinais sur la chaussée, juché sur un petit cheval en plastique. Ma mère avait beau s’époumoner pour me dire de m’arrêter, je ne répondais pas. C’est là qu’elle a compris qu’il y avait un problème.» Diagnostiqué sourd, le petit garçon perçoit uniquement les bruits très aigus durant les premières années de sa vie. Suite à une chute à son retour en Suisse, sa surdité s’aggrave encore. Il n’entend alors plus rien.

Plutôt que de lui enseigner exclusivement la langue des signes, les parents du jeune Vincent s’évertuent à lui donner une éducation aussi normale que possible. «J’ai fréquenté l’école régulière à Orbe, Valeyres-sous-Rances et Chavornay», raconte-t-il, évoquant les longues heures de logopédie pour apprendre à contrôler sa voix et à prononcer correctement des mots qu’il ne peut pas entendre. «Ma mère aurait préféré me mettre dans une école spécialisée, mais mon père a insisté pour que je me confronte au monde.» Face à ses petits camarades, il tente de gommer ses différences. «J’étais très curieux, volontaire, je voulais faire comme les autres, jouer au foot, faire des études, mais surtout cesser d’être le souffre-douleur de la classe.» Au début de l’adolescence, il intègre une école privée à Lausanne qui, grâce à son encadrement individualisé, lui permet de finir sa scolarité obligatoire sans encombre.

Aujourd’hui, Vincent Guyon s’exprime comme tout un chacun et répond avec aisance aux questions de son interlocuteur, qu’il regarde attentivement pour suivre le mouvement des lèvres. Accent vaudois en prime. Les difficultés commencent lors des discussions de groupe. «Lorsque tout le monde parle en même temps, je n’arrive plus à suivre», confie-t-il. Dans ces moments-là, il a recours à une interprète en langage parlé complété, qui lui permet de suivre le fil du débat. Avec la pandémie et l’usage généralisé du masque, les échanges se sont brusquement compliqués. «Dans les magasins, lorsque j’explique au vendeur que je n’entends pas, certains baissent leur masque, d’autres prennent peur et écrivent sur un petit papier», explique le Vaudois, qui salue au passage l’existence de masques transparents.

«Je me suis dit: pourquoi pas?»

Autre objet de tous les jours qu’il utilise pour communiquer par message et e-mail: son smartphone. «De ce point de vue, la technologie a permis une véritable avancée pour les malentendants», souligne l’élu communal tout en tapotant sur son clavier. Un domaine reste toutefois lacunaire à ses yeux: les services d’urgence tels que les dépannages ou la police. «Il faudrait que les centrales disposent d’une messagerie pour que les sourds puissent appeler à l’aide en cas de besoin.»Au fil de la discussion, le mot «handicap» n’est jamais prononcé. Il faut dire que Vincent Guyon n’a jamais fait de sa surdité une montagne.

Passionné de sport, il pratique d’abord le ski, la gymnastique, le foot, et enfin le basket, son domaine de prédilection. Il devient ainsi joueur, entraîneur puis arbitre, deux postes qu’il occupe toujours dans des équipes d’entendants. «Sur le terrain, je suis dans mon univers, confie-t-il. Un œil sur le chronomètre, j’oublie le quotidien pour me concentrer sur le jeu.» Entre 2017 et 2020, il fut le responsable romand pour le sport suisse des sourds puis secrétaire général de la Fédération sportive des sourds de Suisse, emploi qu’il a aujourd’hui quitté.

Avec le recul, le plus grand obstacle reste selon lui le regard des autres. «Lorsqu’il s’agissait de tâches ne dépendant que de moi, je n’ai jamais eu de problème, détaille l’élu. Avoir une copine ou trouver un travail, en revanche, s’est révélé plus compliqué.» Des obstacles que le Vaudois a toutefois réussi à contourner. Après un apprentissage d’employé de bureau, il travaille dans différentes entreprises et rencontre une jeune Estonienne avec qui il aura un fils. Aujourd’hui séparé, Vincent Guyon conserve la garde partagée.

Comment son activité politique a-t-elle commencé? Installé depuis 1997 à Rances, il aime ce village de 500 habitants «comme une épouse à marier». S’engager en politique pour la commune était pour lui un ultime défi. «Au départ, je n’osais pas me présenter», souligne l’élu indépendant, autrefois tourné vers la gauche et qui a peu à peu évolué vers le centre. C’est en écoutant le témoignage d’un maire français que l’idée germe en lui. «Je me suis dit: pourquoi pas?» En juin 2020, il est candidat aux élections complémentaires de la municipalité. «Sur le chemin de la salle communale, où les résultats étaient affichés, j’ai rencontré un autre candidat qui m’a félicité, raconte-t-il. En découvrant mon nom sur la feuille, le ciel m’est tombé sur la tête.»

En juillet, il entre en fonction avec, à sa charge, un dicastère qui comprend l’éclairage, les routes, les eaux ou encore les pompiers. Et des objectifs multiples: rénover les chaussées datant de 1940, créer de nouvelles places de parking ou encore réparer les canalisations bouchées par des intempéries cet été. Pour suivre les débats, Vincent Guyon dispose d’une interprète. Un soutien financé en partie seulement par l’assurance invalidité. En décembre 2020, le conseil général de Rances a validé un budget «interprète» dans les finances de la municipalité pour l’année 2021. Un soulagement pour le nouvel élu.

Attendu au tournant

D’abord surpris, les autres membres de la municipalité lui réservent finalement un bon accueil. «La collaboration se passe plutôt bien, ils ont remarqué que le travail avec moi était beaucoup plus calme, il y a davantage d’attention, d’écoute, de patience», raconte Vincent Guyon. L’élu sait toutefois qu’il risque d’être attendu au tournant: «Si je ne remplis pas ma mission, on dira que c’est à cause de mon handicap, je veux à tout prix éviter ça.» Réélu en 2021, il nourrit déjà un prochain défi: se présenter aux élections cantonales vaudoises de 2022 sous les couleurs du Centre.

« Qui est mieux placé qu’une personne concernée elle-même par un handicap pour parler inclusion et prendre des mesures dans ce sens? »

Quel peut être l’impact d’un tel engagement pour la communauté sourde de Suisse? Pour Sandrine Burger, porte-parole de la Fédération suisse des sourds, l’élection de Vincent Guyon est une formidable occasion de faire parler de la surdité dans la commune et de sensibiliser la population à ce handicap invisible. «Qui est mieux placé qu’une personne concernée elle-même par un handicap pour parler inclusion et prendre des mesures dans ce sens?» questionne-t-elle.

Si, en théorie, l’intégration des personnes sourdes est inscrite dans la loi, de nombreuses lacunes demeurent, rappelle Sandrine Burger. «Preuve en est le rapport que nous publions depuis 2017 et qui recense chaque année plus de 100 discriminations envers des personnes sourdes.» Des cas qui auraient même tendance à augmenter. Scolarité, vie professionnelle, formation continue ou encore accès à la santé, les domaines concernés restent encore trop nombreux pour la Fédération suisse des sourds. A travers son parcours, Vincent Guyon, lui, espère inspirer la jeune génération: «Pour beaucoup, un sourd est quelqu’un qui ne peut pas aller loin dans la vie, qui restera toujours limité. Je veux prouver que c’est faux.»

Le restaurant Vroom met la langue des signes au menu

(20min)

L’établissement genevois, géré par des personnes sourdes et malentendantes, a ouvert ses portes vendredi. Ce projet, une première en Suisse, vise à sensibiliser le public à ce handicap.

Leila Hussein

A l’occasion de l’inauguration du restaurant, vendredi, les lieux affichaient complet.

Un calme surnaturel nous accueille à Vroom, malgré la présence de nombreuses personnes. Dans ce restaurant, géré par des personnes sourdes et malentendantes, c’est le visuel qui prime. Langue des signes, voyants lumineux ou encore miroirs, tout est prévu pour aider les personnes atteintes de surdité à communiquer. Vendredi, à l’occasion de l’ouverture de l’établissement situé dans le quartier de Plainpalais, entendants et malentendants ont évolué dans le même univers sans distinction. «Les sourds ont soif de communiquer, de se rencontrer, de partager. Nous voulions un lieu qui accueille tout le monde, mais où ils se sentent aussi à l’aise», explique Mehari Afewerki, président de la Société des sourds de Genève (SSGenève) et instigateur du projet.

«Montrer que nous sommes capables de travailler»

Sur les sept employés du restaurant, quatre sont sourds ou malentendants. «Nous voulons changer les aprioris que les gens ont sur nous et montrer que nous sommes aussi capables de travailler. L’objectif est de sensibiliser le public à notre handicap, car si tout le monde savait signer (ndlr: communiquer avec la langue des signes), il n’y aurait plus de surdité. Ce serait un rêve, mais pour ça, il faut que la société accepte de s’ouvrir à nous.»


Discrimination au travail

«Il y a très peu d’emplois ouverts aux personnes sourdes et malentendantes. Ce restaurant est une bonne manière de visibiliser une population qui est trop souvent cachée», se réjouit Sylviane, venue découvrir les lieux. Jeudi, la Fédération suisse des sourds a, en effet, révélé que les plaintes pour discrimination sont en hausse ces dernières années, avec 114 cas traités l’an passé. «Les personnes atteintes de ce handicap sont trois fois plus discriminées à l’embauche», a aussi rappelé Elodie Ernst, porte-parole de Vroom.


Sur les tables de l’établissement, une fiche d’initiation à la langue des signes est mise à disposition, mais les lieux s’adaptent à tous les clients. Ainsi, des personnes entendantes font également partie du staff. Caroline est l’une d’entre elles. Sans aucune connaissance de la langue des signes, en six mois à peine, elle a acquis les bases. Preuve que le projet porte déjà ses fruits «J’ai appris en passant du temps avec l’équipe», confie l’employée qui exerce dans la restauration depuis treize ans. «Finalement, ça ne change pas grand-chose. La seule différence, c’est qu’ici, j’utilise plus mes mains», sourit celle qui «avait envie de relever un nouveau défi».

Une première en Suisse

Si Vroom a pu devenir une réalité, c’est grâce au soutien de plusieurs fondations et d’autres donateurs qui ont financé le projet lors d’une campagne de crowdfounding lancée en 2020. En Suisse, il est le premier restaurant du genre et Mehari Afewerki espère qu’il «servira de modèle et fera l’effet d’une traînée de poudre dans le pays». Des projets similaires sont également étudiés dans d’autres cantons, «malheureusement, ils butent sur l’obstacle du financement».

Et pour cause, pour créer un tel espace, plus de 900’000 francs ont été nécessaires. «Nous avons dû faire beaucoup de travaux pour adapter les lieux», explique l’homme à l’origine du restaurant. Plafond et sol phonoabsorbants, voyants lumineux en cuisine et dans la salle, montres vibrantes connectées à des sonnettes installées sur les tables ou encore baies vitrées pour laisser entrer la lumière du jour. La liste est longue.

Différentes formes de handicap

«Je suis ravie de faire découvrir mon univers à mon amie entendante», confie Rachel. La jeune femme qui «entend et parle bien grâce à un implant» trouve important de montrer qu’il «existe différentes formes de surdité. Certains signent, d’autres parlent et entendent, d’autres encore utilisent le LPC, le langage parlé et complété, un code qui aide à lire sur les lèvres».

A ses côtés, bien que le niveau sonore soit monté au fil de la soirée, ses deux camarades entendants s’étonnent toujours du peu de bruit dans la salle sans musique. «Nous, on est habitués au brouhaha, mais pour les sourds et malentendants, c’est difficile à gérer avec les appareils», explique Marvin. «C’est super qu’ils aient un lieu où ils se sentent bien et nous, on est contents d’apprendre des choses», conclut Elisa.