Tétraplégique, Anton voudrait que son accident n’ait pas servi à rien

(20min)

Les cas de paralysie après un accident de baignade sont en hausse. Paralysé médullaire depuis un plongeon dans le Léman, il y a huit ans, le Genevois Anton Mityukov témoigne.


Anton Mityukov vit depuis huit ans en Suisse centrale, après avoir été transféré et soigné au Centre suisse des paraplégiques de Nottwil (LU), Fondation suisse pour paraplégiques

 

Il faisait beau et chaud en cette journée estivale de juillet 2013 au bord du lac, sur la Rive droite, à Genève. Avant de quitter les lieux en compagnie de ses potes, du haut de ses 25 ans, Anton Mityukov a voulu faire un ultime saut pour se rafraîchir encore une fois. «Mon corps était sous l’eau et je ne parvenais plus à bouger. J’avais une sensation bizarre. Quand j’ai crié à l’aide, mes amis ont rigolé en croyant à une blague de ma part. Mais au bout d’un moment, ils ont compris que j’étais en détresse. Ils m’ont prodigué les premiers secours en attendant l’arrivée de l’ambulance qui m’a acheminé aux HUG», se souvient-il. Le jeune homme se retrouve avec deux vertèbres de la nuque cassées. Il doit subir une opération urgente et on le diagnostique tétraplégique incomplet. Ce qui signifie que sa moelle épinière n’est pas complètement atteinte et qu’il pourrait retrouver encore une certaine mobilité. La réhabilitation passera par le Centre suisse des paraplégiques (CSP) de Nottwil (LU), qu’il fréquente depuis huit ans et qu’il connaît désormais comme sa poche.

C’est assis sur un fauteuil roulant à Nottwil, élément incontournable de son quotidien depuis ce fameux jour, qu’Anton égrène, huit ans plus tard, les pages d’une vie en dents de scie, avec ses joies et ses peines, ses belles surprises et ses déceptions, ses espoirs et ses envies d’un avenir professionnel dans la photo et le design. D’ailleurs, ce titulaire d’un CFC de commerce se verrait bien intégrer l’Ecole d’art et de design de Lucerne. Lui, qui n’avait que de très vagues notions d’allemand à son arrivée au CSP, maîtrise désormais cette langue. Ce qui a facilité son intégration en Suisse centrale au point que le Genevois ne se voit pas quitter la région de si tôt.

«Ne vous laissez pas griser par des risques inconsidérés»

Anton aimerait surtout que son expérience puisse être utile à d’autres. Il se lance dans un plaidoyer appelant à la prudence: il faut vivre sans se laisser griser par des risques inconsidérés. Chaque été, on déplore de nombreux accidents après un plongeon dans une eau peu profonde avec des conséquences souvent graves, qui peuvent entraîner une tétraplégie. Ces neuf dernières années, pas moins de 40 jeunes hommes se sont retrouvés au CSP après un accident de baignade, selon les chiffres de la Fondation suisse pour paraplégiques. Mais au cours des deux dernières années, le centre de Nottwil a enregistré une hausse de patients et patientes paralysés médullaires après un accident de baignade.


Gare aux eaux troubles et peu profondes

«Chaque cas est un de trop. Contrairement à une paraplégie, les bras sont aussi touchés lors d’une tétraplégie», explique Anke Scheel-Sailer, médecin adjointe Paraplégiologie au CSP de Nottwil. Les personnes touchées passent entre huit et douze mois en rééducation. Elles réapprennent à respirer, manger, se déplacer en fauteuil roulant, accepter et gérer leur vie en tant que tétraplégiques. Responsable communication de la Société suisse de sauvetage (SSS), Philipp Binaghi voudrait lui aussi que ce genre de drame ne se produise plus. Le risque d’avoir un grave accident de baignade est accru dans les zones où l’eau est peu profonde. Raison pour laquelle il faut «éviter de sauter dans de l’eau trouble ou inconnue», explique Philipp Binaghi. Pour sensibiliser les jeunes, la SSS réalise régulièrement des campagnes de prévention à propos de la sécurité dans l’eau.


À Nottwil, Anton Mityukov a découvert qu’être en fauteuil roulant n’empêchait pas de devenir sportif. «Quand je suis arrivé ici, j’ai eu la chance d’avoir comme voisin de chambre Jean-Marc Berset, personnage emblématique du sport paralympique suisse. Avec lui, on pouvait parler de tout. C’était un plaisir de l’entendre évoquer des souvenirs de sa participation aux jeux paralympiques de Londres et d’Athènes. J’aime les sports d’équipe et de combat et j’aurais voulu tester le basket. Mais c’était compliqué pour moi. Finalement, je me suis tourné vers le rugby», explique celui qui a intégré l’équipe de Suisse de cette discipline dont il est l’unique Romand. «La vie de mon fils a changé. Celle de toute notre famille aussi. Anton est un garçon très courageux qui n’a jamais baissé les bras. Je suis admirative», lance sa maman, Tatyana Mityukova.

Flirt avec une qualification aux jeux paralympiques

Un destin paralympique s’est même esquissé pour Anton et ses coéquipiers à Vancouver, en 2020, lors d’un tournoi qualificatif aux JO de Tokyo. L’équipe de Suisse n’a malheureusement pas réussi à gravir cette ultime marche. Pour Anton, cela aurait été un chouette coup du destin que de croiser au Japon son jeune frère, Roman, un des plus grands espoirs de la natation helvétique, récemment demi-finaliste du 200 m dos au Japon. Mais celui qui consacre entre 10 et 15 h d’entraînement par semaine à son sport favori reporte désormais ses rêves d’Olympe sur Paris 2024. Ce trentenaire spirituel, qui se définit comme «un homme multiculturel», s’épanouit avec des valeurs axées sur la famille et l’amitié. Sa nouvelle vie lui a aussi permis de déceler la sincérité ou la vacuité des liens. «Grâce à mon accident, j’ai su qui étaient mes vrais amis», décline-t-il. Anton Mityukov se verrait bien fonder une famille. Mais, même s’il garde toujours une foi inexpugnable en l’amour, celui qui sort d’une relation de cinq ans avec une Soleuroise sait que c’est de la musique d’avenir. Chaque chose en son temps…

Mais sa certitude est faite: «Personne ne maîtrise l’avenir et nul ne peut échapper à son destin». Depuis 2013, le destin du natif de Kiev, enfant de Genève et Lucernois d’adoption s’esquisse en pointillés. Du choc qui inhibe les membres à la réhabilitation. Des jours sombres à la lumière. Une lumière qui prend forme grâce aux petites victoires sur le quotidien. De petites victoires qui lui (re)donnent le sourire.


Le Genevois est l’unique Romand de l’équipe de suisse paralympique de rugby. DR

 


Anton Mityukov est devenu un des piliers de l’équipe de Suisse. Creative Commons Namensnennung (CC-BY)

 


Nottwil, Centre suisse des paraplégiques

Basé à Nottwil (LU), le Centre suisse des paraplégiques (CSP) est une clinique spécialisée dans la prise en charge aiguë, la rééducation et le suivi des personnes touchées. Sa renommée a largement dépassé les frontières du pays. Le CSP dispose de 204 lits et emploie quelque 1367 personnes. Parmi les patients en première rééducation du CSP, 46 % sont paraplégiques, 54 % tétraplégiques. Quelque 72 % des blessés médullaires récents sont des hommes. Environ 46 % des admissions au CSP sont consécutives à un accident. Les causes les plus fréquentes des accidents sont liées à des chutes (43 %), au sport (27 %) et à la circulation routière (27 %). En 2020, 1,8 million de personnes étaient affiliées à l’Association des bienfaiteurs de la Fondation suisse pour paraplégiques. Le total des cotisations et dons reçus est de 87,5 millions de francs, soit 500’000 francs de plus que l’année précédente. Environ 26 millions ont été versés aux personnes blessées médullaires sous forme d’un soutien bienfaiteur ou d’une aide financière directe. Sur les 1220 demandes d’aide directe approuvées et correspondant à un montant total de 19,1 millions de francs, les coûts de soins non couverts, les contributions à des moyens auxiliaires, les adaptations de véhicules et des transformations pour des logements et postes de travail sans obstacles se taillent la part du lion.

La contribution d’assistance doit s’appliquer de façon plus souple

(Inclusion-Handicap)

INITIATIVE PARLEMENTAIRE LOHR 12.409

La Commission sociale du Conseil des États veut que les services d’aide fournis par les proches puissent à l’avenir être rémunérés dans le cadre de la contribution d’assistance de l’AI. Elle a donné suite à une initiative parlementaire du conseiller national Lohr allant dans ce sens. Inclusion Handicap se félicite de cette décision favorable. Les conseillères et conseillers aux États reconnaissent ainsi l’importance de l’autodétermination et du libre choix des personnes handicapées concernées. Cela fait longtemps que la faîtière suisse des organisations de personnes handicapées s’engage pour une flexibilisation de la contribution d’assistance. Les multiples réalités dans lesquelles vivent les personnes concernées sont ainsi mieux prises en compte.

La contribution d’assistance permet aux personnes en situation de handicap ayant régulièrement besoin d’aide d’engager des personnes chargées de les assister dans les actes de la vie quotidienne, dans le ménage ou encore dans l’exercice d’une activité lucrative ou honorifique. Une personne majeure y a droit si elle perçoit une allocation pour impotence et vit chez elle. Le but de la contribution d’assistance est de favoriser l’autodétermination et la responsabilité individuelle.

Obstacles inutiles

Aujourd’hui, il n’est pas possible d’engager des proches directs (parents, enfants, grands-parents et partenaire) comme assistant.e.s. Ce malgré le constat que l’aide fournie par les proches constitue souvent, dans la situation de prise en charge quotidienne, une solution évidente et efficace. Dans certaines situations de vie, cet obstacle restreint inutilement le recours à la contribution d’assistance. De nombreuses personnes concernées ont du mal à trouver des assistant.e.s externes, notamment en vue de leur fournir des services d’aide irréguliers ou durant la nuit. En outre, elles engagent parfois à contrecœur des tierces personnes externes pour des services d’aide touchant à leur intimité (p. ex. pour des soins
corporels).

Meilleure adaptation aux situations réelles des personnes concernées

« Grâce à la décision prise aujourd’hui par la Commission sociale du Conseil des États, l’aménagement de la contribution d’assistance permet de tenir compte des réalités d’un plus grand nombre de personnes handicapées. Vu la multitude des contextes individuels,
l’instrument de la contribution d’assistance doit pouvoir s’adapter aux différentes situations de vie », souligne Maya Graf, coprésidente d’Inclusion Handicap. La mise en œuvre de l’initiative parlementaire rend cela possible, sans rien changer au modèle de l’employeur qui a fait ses preuves. Permettre au plus grand nombre de personnes handicapées d’organiser leur vie de manière autonome reste l’objectif visé. Pour l’atteindre, il faut renforcer la liberté de choix des personnes concernées. L’année prochaine, la Suisse sera examinée par le Comité de l’ONU quant à sa mise en œuvre de la Convention relative aux droits des personnes handicapées (CDPH). L’autonomie de vie est l’une des exigences prioritaires de la CDPH. Un facteur important qui permet de réaliser cet objectif réside dans la flexibilisation de la contribution d’assistance. C’est la raison pour laquelle Inclusion Handicap entend accompagner étroitement les étapes suivantes vers la mise en œuvre concrète de l’initiative parlementaire Lohr.

Renseignements

Maya Graf, conseillère aux États BL et coprésidente d’Inclusion Handicap 079 778 85 71
Julie Tarchini, responsable communication Inclusion Handicap 031 370 08 41, julie.tarchini@inclusion-handicap.ch

Handisport: Philippe Moerch et Daniel Amiguet remportent le titre mondial de voile en classe FS Venture

(Le Nouvelliste)

Champions! Le duo chablaisien s’impose lors des régates disputées à Travemünde sur la mer Baltique.


Daniel Amiguet et Philippe Moerch posent au bord du lac Léman sur lequel ils se sont entraînés avant de conquérir l’or des Mondiaux disputés sur la mer Baltique.
LE NOUVELLISTE SA / SACHA BITTEL

 

Philippe Moerch et Daniel Amiguet se sont offert un joli voyage à Travemünde. Ils y ont conquis le titre mondial de voile handicap dans la classe FC Venture. Les médailles dorées récompensent une préparation méticuleuse avant leur excursion dans le nord de l’Allemagne, où la traditionnelle semaine de régates sur la Baltique avait intégré les Mondiaux dans son programme.
Le duo gagnant s’est retrouvé durant le printemps. Philippe Moerch fonctionne comme partenaire d’entraînement pour Swiss Disabled Sailing. Il gagne régulièrement ses manches. Michel Darbre, président de SDS, lui demande de revenir en compétition. Il craque.

Une première collaboration en 2009

Le citoyen de Collombey se met en quête d’un coéquipier. «Les candidats potentiels ne sont pas nombreux dans un pays de la taille de la Suisse. Je ne peux pas m’engager avec une personne qui possède le même handicap que moi. Il doit avoir une certaine mobilité, être costaud pour travailler avec les voiles et avoir la capacité de donner des informations sur notre environnement en course», confie le skipper, paraplégique.

Daniel Amiguet est mis au courant de cette ambition de retour par une relation commune. Les deux hommes se connaissent bien. Une première collaboration sur l’eau avait réuni les deux hommes au sein d’un équipage à trois personnes en 2009. «Mon engagement professionnel ne m’avait pas permis de poursuivre l’aventure», confie le résident des Diablerets. Son statut de retraité lui offre désormais toute la disponibilité nécessaire.

Une complémentarité décisive

L’entente se conclut rapidement. Elle est cordiale. «Il faut me supporter», avoue Philippe Moerch. «Quand les choses ne vont pas comme je le veux, je m’engueule moi-même. Les mots peuvent être violents. Lui, il adopte plutôt la zen attitude. Nous nous complétons bien.» Le skipper possède également l’expérience d’une discipline pratiquée depuis l’enfance et poursuivie après l’accident fatal pour sa santé.

Adepte d’aile delta, son coéquipier apporte un bagage appréciable dans la maîtrise des courants ou le travail des voiles. «Philippe possède une grande intelligence de course. Tout est compliqué en voile: le départ, le passage des bouées, le choix des trajectoires. Il sait prendre les bonnes options.»

Le patron du bord et son second partagent un esprit de compétition très poussé. Daniel Amiguet l’a développé sur les parquets de basketball ou les courts de tennis qu’il a fréquentés au côté de Gérald Métroz notamment. Philippe Moerch a assouvi ses envies de dépassement sur les lattes durant la saison hivernale «avec des titres de vice-champion parce qu’il y avait toujours Jacques Blanc devant moi».

La convergence des luttes, c’est quoi exactement?

(rts.ch)

Aujourd’hui, celles et ceux qui se battent pour transformer la société sont de plus en plus nombreuses et nombreux. En s’engageant dans ce processus, beaucoup ressentent la nécessité de mener une lutte simultanée sur plusieurs fronts. Elles et ils sont photographe, avocate, travailleur social, chercheuse en écopsychologie ou encore assistante sociale.

Dans la cour du collège de Grand Champ à Gland, un pâturage de la Vallée de Joux ou encore la gare d’Yverdon, la série « Convergences » vous emmène à leur rencontre, dans le lieu où leurs premières envies de militantisme ont vu le jour.

Dans l’épisode 2 de la série Convergences Maud Theler, assistante sociale, 35 ans nous parle de sa lutte.

« Mes envies de combats c’est vraiment dans l’optique que chacun, quelles que soient les difficultés qu’il peut avoir dans sa vie, que ça soit physique, que ça soit au niveau de la précarité, ait le droit d’avoir une place dans la société, que chacun puisse avoir le droit d’exister. » « Assistante sociale 24 heures sur 24 heures », comme disent ses amis, Maud Theler se bat au quotidien contre le validisme – les discriminations envers les personnes en situation de handicap – ainsi que contre la précarité.


Convergences (2/5): Maud Theler, assistante sociale qui lutte contre le validisme et la précarité (vidéo) / Forum / 11 min. / le 3 août 2021


Lien vers la série complète « Convergences » de la RTS

Ecouter et mieux voir, voir et mieux entendre

(reiso.org)


interprete-lsf © Sarah Carp

 

En Suisse, plus de 10% de la population souffre d’un handicap partiel ou total de la vue ou de l’ouïe. Grâce au surtitrage, à l’audiodescription et à l’interprétation en langue des signes, les arts vivants sont à la portée de tou·te·s en Suisse romande.

Par Marie-Odile Cornaz, Association Ecoute Voir, Yverdon-les-Bains

« Je me sens sur un pied d’égalité avec les autres spectateurs et spectatrices. Je comprends enfin ce qui se passe sur scène. Avec mon entourage proche entendant, je peux partager le plaisir d’assister à un événement culturel. » Pour Francine Collet, malentendante, la magie du théâtre opère désormais grâce au surtitrage.

Sur un écran aux abords de la scène, du texte résume les propos des comédien·ne·s. Il est géré par le·la surtitreur·se, qui s’occupe de le faire défiler au bon rythme depuis une extension de la régie. Grâce à cette technique, le public souffrant d’un handicap auditif peut suivre aussi bien les dialogues, les bruits, les mélodies que les mouvements sur scène.

C’est en amont du spectacle qu’un travail important est réalisé pour découper le texte et le retranscrire. Ce dernier peut également être traduit en allemand ou en anglais afin de permettre au public allophone d’assister à la pièce.

Le surtitrage vient compléter l’audiodescription et l’interprétation en langue des signes des pièces de théâtre effectués par l’association Écoute Voir. La première représentation surtitrée a eu lieu en décembre 2019, au Théâtre du Grütli, à Genève, avec la pièce « Les Italiens ». Elle a fait suite à une étude autour du surtitrage pour les malentendant·e·s et les sourd·e·s, effectuée à la demande du Service de la culture de la Ville de Genève. Celui-ci était soucieux de développer une telle mesure d’accessibilité dans les théâtres, alors que cette volonté affichée n’apparaissait pas encore distinctement ailleurs.

Les conclusions de l’étude mettaient en évidence le réel potentiel de développement auprès des personnes en situation de handicap auditif et des aîné·e·s. Cette prestation se déploie dorénavant en Suisse romande, même si elle a été quelque peu retardée par la crise du Covid.

Ecouter pour mieux voir

La première mesure inclusive mise en place par Ecoute Voir était, en 2014, l’audiodescription des spectacles de théâtre. Pour Michèle Poget, malvoyante, ce procédé représente une opportunité fantastique d’accéder à l’art vivant et de comprendre intégralement une pièce : « Depuis cette atteinte à mon acuité visuelle, j’ai toujours continué à assister à des spectacles, mais je devais être accompagnée. Seulement, parfois, mes ami·e·s ne sont pas disponibles ou pas intéressé·e·s. Je me privais donc de certains événements culturels. Quelquefois aussi, je me rendais aux spectacles choisis par mes proches, même si les conditions visuelles étaient pour moi désastreuses et le contexte incompréhensible. Sans audiodescription, je dois vraiment accepter de ne capter qu’une infime partie et de manquer certains rebondissements. »

Pour que Michèle Poget et d’autres personnes malvoyantes ou aveugles parviennent à se rendre au théâtre, l’accompagnement ne se limite pas à l’audiodescription de la pièce. Un accueil est en effet organisé depuis leur domicile ou à proximité des transports publics. Elles ont ensuite la possibilité, avant la représentation, de visiter le plateau. Cette visite offre à l’individu concerné l’opportunité de se représenter l’espace scénique, de découvrir le volume d’un accessoire, sa forme, sa position ou encore de palper la texture d’un costume. Lorsque les comédien·ne·s sont présent·e·s, les spectateur·trice·s en situation de handicap peuvent même se familiariser avec les voix des personnages.

14.01.17. Yverdon. le théâtre de l’ Echandole propose le spectacle « Miss Poppins » avec une audio description pour les personnes mal-voyante.
Ces personnes peuvent découvrir la scène, les décors et les accessoires avant le début de la représentation afin de se familiariser avec les détails qu’elles ne peuvent voir.
©Laurent de Senarclens/ Le Matin-Independant

 

Lors de la représentation, les individus malvoyants et aveugles prennent place aux trois premiers rangs afin de sentir les mouvements des acteurs et actrices. Ils assistent au spectacle avec l’ensemble du public et sont munis d’un casque audio. Ils y entendent la voix d’audiodescripteurs·rices, qui leur décrit en direct, entre les dialogues des comédien·ne·s, les éléments visuels du spectacle.

Tou·te·s les audiodescripteurs·rices mandaté·e·s sont issu·e·s des milieux de la comédie ou du chant lyrique et ont suivi une formation à l’audiodescription de théâtre. Leur tâche exige un travail d’écriture conséquent : une minute de spectacle équivaut à une heure de travail. Durant la représentation, installé·e·s dans un local ou un bureau, ils et elles décrivent à haute voix la pièce en direct, grâce à une caméra placée en salle. En 2020, Ecoute Voir s’est associée avec la Haute Ecole de théâtre de Lausanne, la Manufacture, pour former un audiodescripteur et une audiodescriptrice de danse avec le concours de Séverine Skierski, spécialiste française de cette discipline.


Les audiodescripteurs © Guillaume Mégevand

 

Voir pour mieux entendre

L’interprétation de pièces de théâtre en langue des signes française est le fruit d’une collaboration avec le Projet Sourds&Culture, qui propose cette prestation depuis 2013 au public sourd locuteur de cette langue. Au fil des années, Sourds&Culture et Ecoute Voir se sont rapprochés, pour finalement fusionner en 2020 sous le nom d’association Ecoute Voir. Afin de permettre l’accessibilité au spectacle, un·e interprète (parfois deux) est positionné·e sur scène et traduit simultanément les dialogues des comédien·ne·s. Selon Olivier Trolliet, spectateur sourd, « la compréhension du spectacle est meilleure selon l’emplacement de l’interprète sur la scène. Il est important qu’il ou elle ne soit pas trop loin de l’action si l’on veut pouvoir le·la regarder en même temps que les comédien·ne·s. »


Interprète LSF © Sylvain Chabloz

 

Les interprètes préparent leur traduction sur la base des supports transmis par la compagnie (texte et captation) en collaboration avec des médiateurs·rices sourd·e·s. Ils et elles assistent aux répétitions, collaborent avec les comédien·ne·s et les technicien·ne·s, participent à des répétitions et des filages, afin de s’imprégner de l’atmosphère et des intentions de jeu. Dans le domaine culturel, l’interprétation nécessite une préparation bien spécifique et un partenariat fort avec les organisateurs·rices. L’interprète fait partie intégrante du spectacle.

Un travail à continuer

Pour ces trois actions d’accessibilité, l’association Ecoute Voir collabore avec les personnes en situation de handicap ainsi qu’avec les institutions partenaires. Elle apporte à ces dernières une prestation « clé en main ». Elle assure une grande partie de la recherche de fonds, sensibilise les équipes, s’occupe de la promotion de ces événements, mobilise ses propres ressources humaines et fournit le matériel requis.

L’association tisse des liens entre le monde du handicap et celui de la culture. Elle sensibilise le milieu culturel aux besoins de ce public. Elle agit non seulement dans les grands centres urbains mais aussi dans les parties excentrées et honore ainsi le maillage culturel entre toutes les régions et tailles d’institutions. Grâce à sa démarche, l’association rend possible la découverte de tout un pan de la culture et de la richesse de la programmation des arts scéniques proposés en Suisse romande à celles et ceux qui n’y ont pas facilement accès normalement. Elle permet à ce public particulier de partager les mêmes événements que l’ensemble des spectateur·trice·s présent·e·s dans les salles.

Cette démarche a été récompensée en 2018 par l’attribution du label « Culture Inclusive » de Pro Infirmis. Sensibilisés par cette reconnaissance et les mesures d’Ecoute Voir, plusieurs théâtres de Suisse romande commencent à s’engager plus activement pour promouvoir l’accès à tous les publics, y compris les publics en situation de handicap sensoriel. Une tendance réjouissante selon l’association, qui est régulièrement sollicitée pour son expertise et son expérience. Mais bien du travail reste à accomplir.


L’association Ecoute Voir

L’association démarre son activité en 2014 en proposant l’audiodescription au public malvoyant et aveugle. Elle devient alors pionnière en la matière, car l’accessibilité à la culture n’est pas encore appliquée partout sur le terrain. Seules des actions isolées sont entreprises. La Suisse a pourtant ratifié, en 2016, la Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées (CDPH, 2014) et l’article 8 de sa Constitution stipule que tous les êtres sont égaux devant la loi. Il existe également la Loi fédérale sur l’élimination des inégalités frappant les personnes handicapées (LHand, 2004). Ecoute Voir se lance alors dans la première prestation qu’elle propose à un public en situation de handicap sensoriel : l’audiodescription.