Le domaine des Egli offre équilibre et vocation à un employé différent

(Terre & Nature / Les Pros de la Terre)

Grâce à la Fondation Landwirtschaft und Behinderte, des personnes en situation de handicap mental trouvent un emploi à leur mesure dans une exploitation agricole.
Exemple à Buttisholz (LU)


Très proche du troupeau de vaches laitières, dont il s’occupe au quotidien, Patrick Perriraz aide aussi Rita et Beni Egli, ses patrons, aux travaux du poulailler de l’exploitation. À 39 ans et après de nombreuses années en institutions spécialisées, le Vaudois a trouvé sa voie et une autonomie grâce à l’agriculture.

 

Aurélie Jaquet

Nous sommes au cœur de la campagne lucernoise, dans une belle ferme traditionnelle située un peu en retrait du village. C’est là que Patrick Perriraz travaille depuis six ans; l’employé agricole nous accueille à notre arrivée, entouré de ses patrons, Beni et Rita Egli. Voix qui porte et rire généreux, le Vaudois tient tout d’abord à raconter son plaisir d’œuvrer sur cette exploitation laitière. «Je ne pour-rais pas m’imaginer ailleurs. Vivre là, c’est le bonheur», s’exclame-t-il.

Tous les jours à l’écurie

Âgé de 39 ans et atteint d’un retard mental,Patrick Perriraz a trouvé sa voie dans l’agriculture grâce à la Fondation suisse alémanique Landwirtschaft und Behinderte(LuB), qui met en contact des personnes handicapées avec des familles de paysans(voir encadré ci-dessous). Un cheminement professionnel que le Romand a entrepris en2005, à la suite du décès de sa mère. «J’avais commencé un apprentissage de mécanicien dans une institution, mais ça ne me plaisait pas. Ma tutrice m’a alors parlé de la LuB et j’ai eu envie d’essayer», raconte-t-il. Lejeune homme travaillera sept ans sur un domaine jurassien,avant de rejoindre jusqu’en 2015 une autre exploitation dans le canton de Berne. Chez les Egli, il apprécie la routine rythmée par le troupeau de vaches laitières. «Le matin, je me lève à 6 h pour aller à l’écurie. Je nettoie les litières et j’aide à la traite. Ensuite je vais déjeuner! Après ça, on termine le travail à l’étable et on discute du programme de la journée.Parfois, j’accompagne Rita au poulailler, ou alors j’aide Beni à installer les parcs. Ça dépend des jours.» S’il se sent très à l’aise avec le bétail, il ne peut pas en dire autant des machines. «Je ne peux conduire que des3o km/h. Mais de toute façon je n’aime pas manier les gros tracteurs, encore moins quand il y a des chars derrière», lâche-t-il en souriant.

Patrick Perriraz est le troisième employé engagé par Rita et Beni Egli par le biais de Landwirtschaft und Behinderte. «Il nous tient à cœur de pouvoir offrir leur chance à des personnes différentes», expliquent-ils. Après six ans, le couple ne tarit pas d’éloges sur lui. «Patrick est très calme et patient avec les animaux. Il connaît d’ailleurs les noms de pratiquement toutes les vaches de l’écurie.» Concilier la marche de leur exploitation avec le profil particulier de leur ouvrier est devenu pour eux un automatisme journalier. «Nous adaptons bien sûr les travaux en fonction de ses capacités et nous prenons le temps de bien organiser les journées. C’est important de s’assurer qu’il se sent capable de réaliser ce qu’on lui propose. Mais c’est un employé très appliqué et surtout passionné.»

Travail et loisirs

Au bénéfice d’un contrat de travail agricole,Patrick Perriraz touche un salaire adapté à ses compétences et géré par sa tutrice.Nourri, logé et blanchi, l’employé partage le quotidien de la famille Egli et dispose d’un petit studio attenant à la ferme. Dans sa chambre, il aime suivre les matches de hockey sur glace à la télévision et s’adonner à sa passion pour les constructions en Lego. Mais lorsqu’il a congé, c’est son amie qu’il file retrouver; comme lui, Gabi travaille entant qu’employée agricole sur une exploita-tion de l’Oberland zurichois, une situation qu’elle doit elle aussi à la Fondation LuB – c’est d’ailleurs par l’intermédiaire de celle-ci qu’ils se sont rencontrés. Le Vaudois a d’ores et déjà prévu de l’emmener trois jours à Paris en janvier prochain pour fêter ses 40 ans.

«Même si Patrick fait partie de la famille, c’est important que chacun puisse avoir sa vie en dehors du travail, commente Rita Egli. Nous passons beaucoup de temps ensemble et partageons de nombreux loisirs avec lui, mais nous veillons aussi à ce qu’il puisse être le plus indépendant possible.» De son côté, le Vaudois apprécie la patience et l’écoute de ses deux patrons. Il aime aussi leur approche avec le bétail. «L’un de mes anciens patrons était brutal avec son troupeau. Je suis très sensible aux animaux.Quand on tape une vache, j’ai l’impression que c’est moi qu’on frappe. Je ne supporte pas qu’on fasse du mal aux bêtes», s’enflamme-t-il.

Si LuB a permis à Patrick Perriraz de se découvrir une vocation pour l’agriculture, c’est aussi une stabilité et un foyer qu’il a trouvés chez Rita et Beni Egli. Un soulage-ment pour celui qui, adolescent, redoutait de passer sa vie en institution. «Les handicapés ont autant le droit de travailler que les personnes normales. Aujourd’hui, j’ai un toit pour dormir et un boulot que j’aime. C’était mon rêve depuis toujours.

En chiffres

L’exploitation des Egli
52 vaches laitieres
500 poules pondeuses
9000 poulets d’engraissement
30 hectares de surfaces cultivées
4 personnes actives sur l’exploitation: Rita et Beni Egli, leur fils Simon, 25 ans,et Patrick Perriraz, employé agricole.

La ferme comme lieu d’intégration

Landwirtschaft und Behinderte (LuB), en français Agriculture et handicap, a été créée en 1994. La fondation est née sur l’initiative d’un agriculteur bio de l’Oberland zurichois qui,apprenant qu’une personne handicapée de son village cherchait une ferme où travailler,proposa de l’accueillir. Aujourd’hui, vingt-huit ans après sa création, la LuB gère 90 dossiers et dispose d’un réseau de 120 fermes partenaires, essentiellement en Suisse alémanique.«Nous n’en avons que deux ou trois du côté romand», explique Monika Lauener, collaboratrice auprès de la LuB.

La fondation assure le contact et le suivi entre employeurs et employés. Les tâches confiées sur un domaine varient considérablement selon le handicap.Le candidat commence par un stage de deux semaines, afin de voir si le lieu et les conditions lui plaisent, puis effectue trois mois d’essai avant de signer un contrat à durée indéterminée.«De notre côté, nous effectuons une visite tous les trois mois sur l’exploitation afin d’échanger avec l’ouvrier et ses patrons, mais surtout de garder un lien et d’être présents en cas de besoin. Notre but est en priorité que la personne handicapée soit intégrée et heureuse dans la famille où elle vit», conclut Monika Lauener.

Plus d’info www.lub.ch

Soldat en chaise roulante

(Le Temps)

Il est le premier handicapé en fauteuil roulant à effectuer son école de recrues, à Payerne. Habitué à se battre, Nouh Arhab a réussi son pari, intégrer l’armée suisse.

Récit par Laure Lugon


Nouh Arhab, première recrue en fauteuil roulant de Suisse, au Centre de recrutement de l’armée à Payerne, le 29 avril 2021. — © Eddy Mottaz / Le Temps

 

C’était un vendredi de décembre et il neigeait. Précision des souvenirs, gravité de l’heure. Pour la quatrième fois, Nouh Arhab doit se rendre à Ittigen dans le canton de Berne, convoqué par le Service médico-militaire. Le rendez-vous est décisif. Il saura s’il peut ou non intégrer l’armée, en dépit de son fauteuil roulant. Nouh a le verbe sobre, il ne romance ni ne s’emballe, ce qui donne à son récit l’épaisseur de l’essentiel: «Je suis parti confiant. Je savais que ça passerait.» Ça a passé. Son long hiver s’est arrêté à Ittigen.

Avec la recrue Nouh Arhab, il faut commencer par la fin. Parce que celle-ci signe la victoire sur soi-même, sur un destin heurté, sur les préjugés. Parce que cette victoire révèle, au-delà de l’exploit individuel, un instinct de conquête que beaucoup pourraient lui envier. Le vendredi 11 décembre 2020, donc, il neige et voici notre homme devant les médecins pour son dernier examen. Quelques mois plus tard, il se tient en tenue de camouflage au Centre de recrutement 1, responsable des cantons romands, à Payerne, où il effectue son école de recrues. Semblable aux autres, et pourtant singulier: Nouh est le premier jeune homme en fauteuil roulant à avoir intégré l’armée suisse. «Jusqu’à présent, je n’ai jamais renoncé à un combat. Celui-ci est d’abord le mien, ensuite une manière de défendre les handicapés en ouvrant le chemin.» Il y a dans ce visage jovial et cet air bonhomme une force et une détermination peu communes. N’était sa chaise roulante, on conclurait à l’orgueil de la jeunesse triomphante que l’expérience n’aurait pas encore entamée.

«J’ai souffert de discrimination, mais rien de très grave»

Pourtant, les 21 ans de Nouh comptent double, voire triple, et les cases vides de sa biographie racontent autre chose que l’impéritie: l’acharnement à vivre. Il naît dans une famille vaudoise d’origine algérienne, avec une anomalie congénitale qui touche la moelle épinière: spina-bifida myélomeningocèle. Nouh est paraplégique et son système nerveux affecté. C’est à sa mère qu’il rend l’hommage du courage fondateur: «Elle s’est entendu dire à ma naissance que j’avais entre trois et cinq jours à vivre. Ça forge le mental. D’autant plus que mon père n’a pas voulu s’occuper de moi à cause de mon handicap et qu’il est parti refaire sa vie.»

Cet habitué des combats a l’habitude de relativiser. A 7 ans, alors qu’il a réussi jusque-là à suivre l’école publique, Nouh est placé dans une école spécialisée, la Fondation Dr Combe, à Lausanne. Telle n’était pas sa volonté, et nous ne pousserons pas plus loin pour savoir s’il aurait eu, ou non, les capacités de poursuivre le parcours normal: «A l’école publique, j’ai souffert de discrimination, mais rien de très grave. Au contraire, cela m’a renforcé le mental. Si je n’avais pas passé par là, je ne serais pas en train de vous parler aujourd’hui.» Indispensable, cette force psychique, pour celui qui a déjà subi une quarantaine d’opérations chirurgicales: «Lors de l’une d’elles, à 14 ans, on m’a dit que j’avais cinquante pour cent de risques de mourir et cinquante pour cent de devenir tétraplégique. Ni l’un ni l’autre scénario ne s’est produit.» Depuis, il travaille comme graphiste et web designer dans un atelier protégé, rêvant cependant de faire plus, de faire mieux, de faire la différence.

«Rien n’est impossible»

Nouh est à l’étroit dans son costume d’infirme. Repousser les limites, mettre sa résistance au défi de ce qui est marqué du sceau de l’impossible, c’est manifestement l’image qu’il veut renvoyer au monde. Dans une époque où l’obstination n’est pas une valeur cardinale, même si elle est au service du désir ou de la frustration, il faut lui reconnaître une ardeur déconcertante: «J’accepte depuis toujours d’être handicapé. Mais rien n’est impossible. Il y a toujours moyen de mettre le handicap dans les activités des valides.» La preuve? Il fait du parapente, de la plongée, du rafroball (le seul sport qui mélange valides et handicapés), de la photo. Le unihockey, par contre, il l’a abandonné lorsque les experts ont eu ce mot cruel: «Vous avez trop de force, vous n’êtes pas assez handicapé.» Nouh comprit alors que «même dans l’univers du handicap sévit la ségrégation. Il n’y a pas qu’une fracture entre les valides et nous.»

«Je suis sorti de la caserne et j’ai pleuré»

Au concours de l’impossible, l’armée paraissait avoir de sérieux atouts pour résister à la volonté féroce de Nouh. Mais le Lausannois y rêvait depuis gamin, et les rêves d’enfant ont ceci de singulier qu’ils poursuivent longtemps le sujet en l’absence de réalisation. Lorsqu’il est convoqué à la journée d’information pour le recrutement, à Morges, il est animé de la foi du charbonnier: «Il y avait des toilettes pour handicapés, je l’ai vu comme un signe positif. J’ai reçu ma feuille et noté à quelle période je voulais effectuer mon service.» Cinq mois plus tard, il est convoqué pour le recrutement à Lausanne. Cette «fameuse journée», comme il dit, sera celle de la désillusion, restituée avec toujours ce souci du détail: «J’avais même pris mes affaires de sport.» Un soldat l’accueille avec ces mots, peu engageants: «T’as reçu un ordre de marche? Tu fais quoi ici?» Lorsque arrive le tour de Nouh au check-in médical, le médecin ne l’invite même pas à entrer dans son bureau: «Il m’a dit, sur le pas de la porte, que j’étais inapte.» Nouh refuse la sentence, ou l’évidence. Il argumente, promet qu’il est prêt à tout pour effectuer son service, brandit ses dossiers médicaux, physiques et psychiques, mais on le prie de partir. «Je suis sorti de la caserne et j’ai pleuré. Pas longtemps, parce que je me suis dit qu’il valait mieux me battre.»


La décision d’inaptitude.Peu remplie – DR

 

Aussitôt, il appelle son médecin, lequel lui conseille de contacter Inclusion Handicap, l’association faîtière des organisations suisses de personnes handicapées. Il sera défendu par Cyril Mizrahi, avocat au sein de cette association et par ailleurs député socialiste au Grand Conseil genevois, qui l’aidera à faire recours. Gagné. Pour défendre parfois des handicapés travaillant à l’Etat, Cyril Mizrahi est stupéfait: «Les préjugés ne sont pas là où on les croit. Dans cette affaire, j’ai surmonté les miens sur l’armée, comme ses dirigeants ont finalement surmonté les leurs sur le handicap. Tout le monde ne peut pas en dire autant.»

La «Diversity Swiss Army»

Un compliment que doit goûter le colonel EMG Alexandre Beau, responsable du recrutement à Payerne, avec qui Nouh travaille quotidiennement à l’accueil des conscrits attendus deux fois par semaine. Selon lui, l’amère déception le jour du recrutement aurait pu être évitée au jeune homme «s’il avait été déclaré d’emblée inapte in absentia. Il aurait alors pu faire recours sans se déplacer et devoir vivre ce moment.»


Nouh Arhab à Payerne, le 29 avril 2021. — © Eddy Mottaz / Le Temps

 

Depuis avril 2019, une cellule baptisée «Diversity Swiss Army» a été mise en place afin de permettre à ceux qui jusqu’ici étaient relégués dans la marge de rejoindre ses rangs. C’est ainsi que l’armée connaît depuis cette année-là sa première haut gradée transgenre. «L’armée travaille également à réviser la bible médicale de manière à faire apparaître la possibilité «d’aptitudes différenciées», autrement dit d’aptitude avec restrictions, explique le colonel Beau. C’est bénéfique, car on offre au jeune la possibilité de faire son école de recrues, en lui trouvant la fonction qui lui convient et dans laquelle il n’aura pas à obtenir de dispenses.»

Chacun fait ce qui lui plait à l’armée?

Une armée à la carte? «Non, il faut tenir compte des désirs de la personne comme de la réalité du terrain», admet Cyril Mizrahi. Le colonel ne dira pas le contraire, qui concède que certaines questions sont déjà assez compliquées à gérer, comme la nourriture, entre les exigences des régimes sans gluten, végétarien, végétalien. A l’entendre, les aptitudes différenciées posent moins de problèmes. «L’armée aussi est le reflet de la société. Nous n’avons d’autre choix que de l’accepter. A l’époque où j’étais recrue, on était dehors avec un fusil et c’est tout. Aujourd’hui, nous avons 160 fonctions militaires. Ça ouvre le panel des possibles.»

En deux ans, plus de 100 cas ont passé par la cellule Diversity: «Des transgenres, des handicapés, des véganes, des cas de discrimination, des cas de congé paternité», liste Marina Veil, responsable du service spécialisé Diversity Swiss Army. Quant à la proportion de femmes en gris-vert, cette sergente espère arriver à 1% cette année.

«Ce qui m’a le plus étonné, c’est son autonomie»

L’expérience de la diversité est vécue par le binôme Alexandre Beau – Nouh Arhab. Le handicap de Nouh n’a nécessité que peu d’ajustements, comme une douche appropriée. Pour le reste, le colonel se dit satisfait: «La recrue Arhab se lève plus tôt que les autres pour se préparer sans aucune aide. Ce qui m’a le plus étonné, c’est son autonomie. Il est toujours à l’heure et n’a aucun souci concernant l’ordre et la discipline. Il fait le travail comme n’importe qui.» Quant à Nouh, il dit avoir appris la rigueur. Mais c’est à des considérations moins prosaïques qu’il doit sa joie: «Au niveau humain, c’est magnifique ici. Sergents, recrues, soldats, nous sommes H24 ensemble, on s’aide, on s’engueule, on partage. La caserne, c’est ma deuxième famille.» Le voilà qui rit de ses amis qui l’ont gentiment raillé devant son obstination à faire l’armée, alors qu’eux voulaient y échapper. Difficile de comprendre que rêver de sujétion, pour Nouh, c’est s’approcher de la liberté.

Bientôt, il sera soldat. Ce sera un samedi de juillet et il fera beau. Nouh se souviendra alors, avec la précision qui est la sienne, de ses mots prononcés lors de notre entretien: «Peut-être que je serai le premier et le dernier soldat en fauteuil roulant. Ou peut-être qu’il y en aura plein d’autres après moi.» D’autres qui quitteront l’hiver pour goûter l’été émancipateur.

L’accueil extra-familial, loin d’être une évidence pour les enfants avec handicap

(Procap)

Pour un enfant avec un handicap, les chances d’être admis dans une structure d’accueil dépendent de l’endroit où vit sa famille. Malgré un besoin considérable, les places manquent en effet dans de nombreux endroits du pays. Une analyse de Procap Suisse montre l’ampleur des mesures à entreprendre dans les différents cantons.

 

Rares sont les cantons suisses à être dotés d’une offre systématique d’accueil extra-familial pour les enfants avec handicap. Seuls quatre d’entre eux (BS, GE, VD, ZG) et une ville (Zurich) proposent une offre suffisante et non discriminatoire pour les enfants en situation de handicap lourd; ailleurs, ces places d’accueil sont inexistantes. Les parents n’ont donc souvent d’autre choix que d’assumer eux-mêmes cette prise en charge, ce qui restreint largement leurs possibilités de travailler.

C’est ce que montre le rapport de Procap Suisse publié aujourd’hui. Ses auteur-e-s ont interrogé plus de 800 personnes concernées. Verdict: pour une majorité de parents comme de spécialistes, l’offre est insuffisante. Un accès non discriminatoire à l’accueil extra-familial pour tous les enfants est pourtant indiqué, tant pour des raisons juridiques et économiques que dans une optique de politique de l’égalité. Les enfants avec et sans handicap doivent avoir les mêmes possibilités. Beaucoup de parents – et bien souvent les mères – se voient contraints d’abandonner leur activité professionnelle, une situation qui nuit à l’égalité des sexes et exacerbe la pénurie de main-d’œuvre spécialisée. Enfin, l’inclusion précoce renforce aussi les chances d’intégration dans l’école ordinaire et sur le marché du travail. Des mesures d’amélioration sont fort heureusement en cours de développement dans un tiers des cantons ; Procap est en contact avec certaines autorités afin d’améliorer la situation localement.

Le rapport montre également que l’inclusion à l’âge préscolaire est extrêmement bénéfique et possible et présente des exemples de bonnes pratiques. Parmi ceux-ci figurent des programmes fructueux d’inclusion d’enfants en situations de handicap léger dans des structures d’accueil ordinaires, ainsi que des institutions spécialisées inclusives qui accueillent tous les enfants, indépendamment du type et de la gravité de leur handicap.

Le rapport, qui s’inscrit dans le cadre du projet «Egalité dans l’accueil extrafamilial pour enfants en situations de handicap» de Procap Suisse, est disponible en ligne en trois langues. Le projet est mené avec le soutien financier du Bureau fédéral de l’égalité pour les personnes handicapées (BEPH).

Echange avec des spécialistes en vue d’améliorations à l’échelon national

Dans le cadre de ce projet, Procap invite les spécialistes et les personnes concernées à échanger et à examiner des pistes de solution à l’occasion de sa conférence en ligne du 11 mai 2021, «Structures d’accueil pour tous – aussi pour des enfants en situations de handicap?!».

Inscriptions sur www.procap.ch/kita.


Pour plus d’informations:

Alex Fischer, responsable Politique sociale Procap Suisse
alex.fischer@procap.ch, 078 781 21 71

Anna Pestalozzi, responsable adjointe Politique sociale Procap Suisse
anna.pestalozzi@procap.ch, 062 206 88 86

Elle ne peut pas parler, mais cette Valaisanne parvient à faire entendre sa voix

(Le Nouvelliste)

Par Christine Savioz


Marie Pochon (à gauche), auxiliaire de vie, entre en contact avec Caroline Short en lui tenant la main et en se mettant à son écoute. SACHA BITTEL

 

Marie Pochon ouvre la porte de l’appartement sédunois en souriant. Puis s’efface immédiatement pour présenter Caroline Short, une Valaisanne de 29 ans polyhandicapée, dont elle est l’une des auxiliaires de vie. «Ce n’est pas moi qu’il faut mettre en avant. C’est Caroline. Je suis juste là pour qu’elle puisse faire passer ses messages. Je ne suis qu’un transmetteur», explique Marie Pochon. Comme elle, six autres auxiliaires de vie, toutes des femmes, se relaient pour accompagner la jeune femme 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.

Vivant en appartement depuis 2013, Caroline Short a besoin d’un accompagnement permanent. Lorsqu’elle explique son handicap dû à une sous-oxygénation du fœtus qui a créé des lésions au cerveau, elle le fait avec des mots choisis, tout en poésie. «Je suis née un peu trop tôt et un peu cabossée parce que j’ai manqué d’air. Cet étouffement se présente chez moi par un corps très tordu et désobéissant, de l’épilepsie, une absence de langage verbal», décrit-elle à travers la voix de Marie Pochon qui pratique la psychophanie, un outil lui permettant d’entendre les mots de Caroline Short.

Dire me met en forme, m’ancre, me donne naissance. Quand je peux montrer ce qui vit en moi, le regard sur mon corps change.»
Caroline Short

L’auxiliaire de vie tient la main droite de la jeune femme dans la sienne, puis se met à l’écoute. «Cette méthode est de l’ordre du ressenti. Je me mets en contact avec Caroline, j’entends ce qu’elle dit, souvent lettre par lettre, puis je l’écris sur le natel. Je lui relis la phrase et elle me signale par la pression de sa main si c’est juste ou pas. Avec le temps, je suis de plus en plus rapidement en phase avec elle», raconte Marie Pochon. Entre la question et la réponse retransmise, il peut s’écouler entre cinq et dix minutes. Marie Pochon n’est nullement distraite par Cédric, colocataire de Caroline, qui discute avec son auxiliaire de vie juste à côté. «Nous sommes dans une bulle. Rien ne peut nous déranger.»

La psychophanie permet à Caroline Short d’exister pleinement. «Dire me met en forme, m’ancre, me donne naissance. Il y a aussi une forme de reconnaissance. Quand je peux montrer ce qui vit en moi, le regard sur mon corps change», confie-t-elle.

Son propre appartement à 18 ans

Depuis ses 7 ans, elle peut ainsi faire entendre sa voix et exprimer ce qu’elle veut pour sa vie. Comme lorsqu’elle a décidé, à sa majorité, de prendre son envol du foyer familial pour gagner en indépendance, hors également de l’univers des institutions. «Cette envie était dans mon cœur depuis longtemps. Déjà préadolescente, je sentais des ailes de vie chez moi. Ma maman a su m’écouter et rêver avec moi.» Elle confie encore que l’institution a été un cocon de repos pour ses proches au départ, puis un tremplin pour une vie adulte. «J’ai senti vite que ce serait bon pour moi de faire ce choix et les éléments ont été encourageants autour.»

Peut-être que j’aspire surtout à vivre encore.
Caroline Short

Plus sa parole est libérée, plus Caroline Short perçoit la force de ses mots. En 2013, elle publie, avec l’aide de ses auxiliaires de vie, un premier livre intitulé «De cœur à cœur» qui parle de son parcours de vie. Il y a quelques mois, juste après le premier semi-confinement, elle éprouve l’envie de se raconter de nouveau. «Habiter ma vie. Au-delà des apparences» sort de presse en décembre dernier. L’ouvrage reprend les récits du premier livre et raconte la suite de la vie de Caroline Short depuis huit ans, soit depuis qu’elle vit en appartement.

L’envie d’aimer et d’être aimée

C’est l’occasion pour elle d’exprimer ses envies de femme, ses attentes et ses découvertes. Avec ses si beaux mots, sans tabou. «J’aime les secousses du cœur, inattendues, incontrôlables, porteuses d’espoir et de projet», écrit-elle par exemple tout en reconnaissant que se laisser aimer dans toutes ses distorsions lui est néanmoins difficile. «Je peine à comprendre que je puisse plaire, être attirante, donner envie.» A l’heure de l’interview, évoquer le sujet du couple est plus délicat. Caroline Short est pudique. Elle ne cache cependant pas ses rêves et interroge. «Est-ce différent selon vous quand le handicap s’invite?» lance-t-elle soudain.

L’essentiel pour elle est le partage. Avec ses auxiliaires, ses amis, des enfants et des personnes plus âgées. «Peut-être que j’aspire surtout à vivre encore.» Jour après jour, elle avance avec des projets plein la tête. Celui de voyager par exemple. Découvrir chaque capitale d’Europe lui plairait. Mais, pandémie oblige, elle est obligée de faire une pause de voyages. «C’est intéressant de reprendre un Chemin intérieur.»

Elle continue à avoir des projets d’écriture, encore et toujours. «Je crois que j’aimerais écrire un roman», souligne-t-elle. «Un roman d’amour?» «Une histoire de relation, oui. Quelque chose de l’ordre de l’amour impossible», répond-elle immédiatement.

Déménagement en vue

En attendant, elle prépare un changement de vie important pour elle. Après huit ans passés dans son premier appartement à Sion, Caroline Short déménagera à la fin mai dans un autre logement tout près. Elle y vivra de nouveau seule, après avoir passé trois ans en colocation avec Cédric, une personne IMC. «Cédric est un super colocataire. Mais la vie ensemble présente beaucoup de contraintes auxquelles nous avons décidé, en accord avec nos familles, de ne plus nous soumettre», explique-t-elle. Aujourd’hui, elle souhaite se concentrer sur ses projets.

Aucun regret ne pointe chez elle. Aucune révolte par rapport à son handicap. Elle vit sa vie pleinement, en faisant avec les contraintes que lui impose son corps. Elle dit même être heureuse de son «carrosse. Il me plaît et me donne des opportunités peu communes. Je peux voyager autrement que dans un corps valide.» Même si elle admet avoir été fâchée par le regard des autres dans sa prime jeunesse. «Maintenant, c’est devenu plus confortable. Je suis comme je suis et je n’aimerais plus changer d’être.»

«Habiter ma vie. Au-delà des apparences», de Caroline Short, aux Editions Saint-Augustin.

La psychophanie, c’est quoi?


La connexion se fait par la main et le natel permet d’écrire les pensées de Caroline. Photo: Noura Gauper

 

Caroline Short et ses auxiliaires de vie communiquent grâce à la psychophanie. Il s’agit d’un outil qui permet d’accéder aux émotions et ressentis de la personne. «Ce n’est pas une technique rationnelle. Elle fait appel à l’hémisphère droit du cerveau, celui du ressenti, de l’intuition. C’est du ressort de la conscience prélangagière que chacun a en soi – cette conscience qui existe chez l’enfant avant l’apparition du langage parlé», souligne Line Short, maman de Caroline, qui a été la première à communiquer de cette façon avec sa fille. «Au début, c’était de l’ordre de l’intuitif. Je sentais ce que Caroline disait. Une sorte de connexion se crée entre elle et moi.»

Les auxiliaires de vie de Caroline Short pratiquent également la psychophanie avec elle. «Certaines entendent ses mots, d’autres des images avec des mots.» Toutes lui tiennent la main pour faciliter la connexion. Elles transcrivent sur une tablette ou sur un natel ce qu’elles accueillent. «Puis elles lisent le texte à Caroline qui confirme ou non», explique Line Short.

La psychophanie est apparue dans les années 90. Elle est issue de la communication facilitée: une personne s’installe à côté de la personne qui ne peut pas parler en lui tenant la main face à un clavier alphabétique. La personne facilitée donne l’impulsion pour pointer les lettres sur le clavier pour exprimer ce qu’elle souhaite communiquer. «La psychophanie entre dans la partie plus profonde de l’être. Elle passe par d’autres canaux que ceux de la raison», explique Line Short.

La Valaisanne est l’une des deux formatrices de cette méthode en Suisse romande. La formation comprend cent heures, sans compter les nombreux entraînements à effectuer entre les cours.

Infos sur www.cf-romandie.ch

Quand les handicapés mentaux donnent des leçons d’amitié

(Le Matin.ch)

L’association genevoise L’Arche La Corolle, soutenue par la Loterie Romande, permet à des volontaires de s’immerger dans le monde des personnes en situation d’handicap intellectuel. L’émotion est au rendez-vous.


Moment convivial de la journée à L’Arche La Corolle, le repas permet aux handicapés mentaux et leurs accompagnants de se retrouver.DR

 

«Une personne en situation d’handicap mental peut très bien obtenir un doctorat en philosophie et devenir polyglotte, comme c’est le cas de Josef Shovanec, un autiste mondialement connu, et être incapable d’accomplir les actes essentiels du quotidien.» Maxime Germain, l’homme qui s’exprime ainsi, dirige l’association genevoise L’Arche La Corolle à Versoix(GE) reconnue d’utilité publique et qui accueille 42 adultes au sein de ses foyers et de ses ateliers. «Ces femmes et ces hommes qui vivent l’expérience du handicap nous apportent énormément, ajoute le directeur, éducateur spécialisé de formation, au cœur même de leurs fragilités et de leurs différences, elles nous révèlent bien souvent des trésors d’humanité, nous enseignent les valeurs de l’amitié et contribuent par leurs talents à la construction d’une société plus juste et fraternelle, plus vibrante.»

La Corolle à Genève fait partie de la Fédération Internationale de L’Arche présente dans 38 pays. En Suisse, il existe deux autres communautés de L’Arche situées à Fribourg et Dornach(SO). But essentiel, permettre à des personnes d’origines différentes, avec ou sans déficience intellectuelle de se rencontrer et apprendre les unes des autres. La Corolle offre un mode de vie de type familial au sein de ses quatre foyers, occupés chacun par six à huit personnes. Ces résidents partagent leur vie avec des accompagnants dont le rôle consiste à assurer, si nécessaire, les soins et les actes essentiels du quotidien. Moment important et convivial de la journée, le repas: tous se retrouve alors autour d’une même table.

Quant aux deux ateliers, ils proposent aux 30 résidents en foyers et aux 12 personnes externes des petites productions artisanales, du jardinage ou des activités culinaires. Un centre de jour, lui, est axé sur les apprentissages cognitifs et sociaux destinés essentiellement à accompagner les parcours scolaires. «Nos équipes de professionnels mettent en œuvre un accompagnement socio-éducatif et individualisé de qualité, souligne le directeur, en s’appuyant sur des partenariats dans le secteur de la santé et du soin qui contribuent à l’accompagnement des besoins spécifiques de chacun. En tout, le personnel compte près de 60 collaborateurs, cela représente plus d’une aide par personne en situation d’handicap.»

La Corolle fait aussi appel au Service Volontaire Européen destiné aux jeunes adultes qui désirent vivre une expérience de la différence dans un autre pays que le leur. Ils sont logés, nourris et reçoivent une indemnité. Leur mission consiste à participer aux différentes tâches en collaboration avec le personnel éducatif. Les volontaires doivent s’engager pour un période de six mois minimum ou une année.

La LoRo finance les infrastructures

Pour fonctionner, La Corolle, une association à but non lucratif, dépend essentiellement des dons et des partenariats. «Dans ce contexte, dit encore Maxime Germain, la Loterie Romande a financé grandement la construction de nos nouvelles infrastructures. Nous allons déménager, en partie grâce à son aide, dans le courant du mois de juin dans les locaux flambant neufs du projet Ecogia. C’est dire son importance!»