Prix Créateurs 2022: «Autour de l’abeille», au service de l’homme, de l’abeille et de la nature

(Le Nouvelliste)

Ce projet lancé dans le Haut-Valais par la Fondation Emera permet à ses résidents, en situation de handicap, de contribuer à la préservation de la nature.


«Autour de l’abeille» permet à ses résidents, souffrant d’un handicap psychique, de valoriser les produits apicoles. De gauche à droite: Dario Andenmatten, directeur Haut-Valais Fondation Emera, Marina Kämpfen, résidente, et Fabian Andereggen, apiculteur et collaborateur Emera. heloise maret

 

Le projet «Autour de l’abeille» a tout d’une fable. Des personnages attachants, un décor bucolique et montagneux, des objectifs teintés d’empathie et de développement durable, ainsi qu’une morale sucrée comme un bon miel qui nous rappelle que, chacun à notre niveau, nous pouvons contribuer à préserver la planète!

Mais ne brûlons pas les étapes, commençons par le commencement. Il était une fois une fondation pour handicapés psychiques qui construisait sur commande, dans ses ateliers de Naters, différents types de ruches destinées aux apiculteurs du Haut-Valais. Un beau jour, Dario Andenmatten, directeur pour le Haut-Valais de la Fondation Emera (lire encadré), a voulu franchir une étape supplémentaire en permettant aux pensionnaires de sortir de leurs ateliers pour profiter d’un contact direct avec les abeilles, comme cela se fait plus classiquement, à des fins thérapeutiques, avec des chèvres et des lapins. «Il y a deux ans, nous avons rénové, en 72 heures chrono, une grande ruche à Lalden en compagnie de la Jeunesse de la région, se rappelle Dario Andenmatten. Dans la foulée, le propriétaire du terrain, qui voulait initialement reprendre l’activité apicole de son père décédé, a décidé de nous le louer, pour finir par nous proposer de le reprendre à bon prix, avec en prime un autre rucher situé au Simplon. Il s’agit d’une opportunité en or, car les terrains apicoles disponibles se font rares dans le Haut-Valais.»

Pas créer de concurrence

Comme dans toute histoire qui se respecte, il y a cependant un «mais», sorte de rebondissement nécessaire pour assurer un certain suspense: il faut réunir la somme de 75 000 francs pour mener à bien ce projet, qui comporte plusieurs axes. Il convient dans un premier temps de rénover la ruche du Simplon pour répondre aux normes d’hygiène, après quoi les personnes handicapées auront aussi pour tâche, sur le long terme, de nourrir au sirop les abeilles domestiques. Et ce n’est pas une mince affaire, quand on sait qu’elles devraient être, sur les deux sites, entre 900 000 et 1 million, réparties en 30 colonies. Il faudra en outre laver les ruches et récolter le miel. «Les abeilles seront déplacées d’un site à l’autre afin que leur production ait un goût singulier, doux mélange entre les herbes d’altitude du Simplon et les fleurs de Lalden, explique l’initiateur du projet. L’idée initiale est de ne vendre que du miel, car, en tant qu’institution, nous ne voulons concurrencer personne. En revanche, nous sommes en discussion avec les apiculteurs de la région pour reprendre certaines productions le jour où ils décideront d’arrêter, comme celles des bougies à la cire. Nous souhaitons aussi développer des expériences inclusives en faveur de nos pensionnaires en les invitant à faire des tours guidés pour des classes primaires, puis, par la suite, pour toute personne intéressée à découvrir le monde de l’apiculture. Et à Lalden, route très fréquentée par les cyclistes, pourquoi ne pas créer un petit café tenu par nos bénéficiaires?»

Des fruits et du sel

Les idées comme les réflexions bourdonnent dans la tête de Dario Andenmatten. Il est déjà prévu de planter sur le terrain de Lalden d’anciennes essences d’arbres fruitiers, qui datent de 1850. «Elles seront entretenues par nos résidents et la production servira à l’élaboration des menus «Fourchette verte» proposés par la fondation ou sera vendue à tout un chacun.» Un assortiment dans lequel on trouvera un troisième produit de choix: un sel aux herbes du Simplon. «Il s’agit de fleur de sel de la mine de Bex que nous mélangeons avec des herbes de montagne», précise-t-il.

Au travers de sa contribution à la sauvegarde de l’abeille dans le Haut-Valais, de la préservation des fruits valaisans par le biais d’une exploitation fruitière à Lalden et de la volonté de créer un sentier aux herbes des Alpes au Simplon, le projet «Autour de l’abeille» propose tout simplement «un retour à nos racines». Cette fable écologique et sociale n’attend aujourd’hui que le financement qui lui permettra de connaître un happy (ou devrait-on écrire «api») end!


Qu’est-ce que la Fondation Emera?

On aurait pu penser que son nom provient du futur du verbe «aimer», et qu’il s’agit d’une invitation à aimer son prochain. Si cette intention est omniprésente au sein de la Fondation Emera, cette appellation est issue du grec ancien signifiant l’aube, la lumière du matin. Car, dans cette institution de droit privé reconnue d’utilité publique, un nouveau jour se lève pour les personnes en situation de handicap psychique. Ses objectifs sont en effet d’améliorer leur qualité de vie, ainsi que de favoriser leur autonomie et leur participation à la vie sociale. Née il y a plus de 80 ans, il s’agit de la seule organisation dans le secteur du handicap à être active dans toutes les régions du canton du Valais. Le domaine Conseil social, représentant Pro Infirmis en Valais, offre en effet des prestations de conseil et de soutien dans toutes les villes du canton. Différents lieux de vie, ateliers et centres de jour (dont un tout nouveau à Sierre) destinés à des personnes avec un handicap psychique sont en outre situés à Brigue, Sierre, Sion, Martigny et Monthey. La fondation propose aussi un soutien socio-éducatif aux personnes qui vivent à domicile. Les bénéficiaires se voient proposer des projets inclusifs et revalorisants.


La présence de l’abeille est capitale

En leur qualité de pollinisatrices, les abeilles jouent un rôle central pour les écosystèmes comme pour les humains. Si elles n’étaient pas là, c’est toute la vie sur Terre qui se retrouverait au bord du précipice. «Sans ces insectes, nous ne pourrions plus vivre, car leur présence dans les cultures assure la production de notre nourriture», insiste Dario Andenmatten. Rapide cours de biologie: les abeilles sont attirées par le nectar des fleurs, se frottent aux étamines (organe mâle de la fleur qui produit le pollen), couvrant leurs poils de pollen. C’est en visitant d’autres fleurs aux organes femelles matures que les abeilles mettent le pollen dont elles sont couvertes en contact avec le pistil, permettant la fécondation. Bref, sauver les abeilles, c’est sauver l’Humanité! C’est cette relation «win-win» que met en avant le projet «Autour de l’abeille», dans le cadre duquel cinq collaborateurs d’Emera ont été formés à l’apiculture, puis des résidents le seront aussi. «Notre site de Lalden sert également de cadre pour les cours des nouveaux apiculteurs du Haut-Valais», ajoute Dario Andenmatten, légitimant un peu plus encore l’importance de cet endroit.

 

VOTEZ Jusqu’au 14 juin 2022 pour votre projet préféré.

Soit par SMS dans l’Jardin = CREATEUR 1
Autour de l’abeille = CREATEUR 2
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Une longue attente avant de pouvoir faire interner leur fille

(20min.ch)

Un couple a dû batailler pour pouvoir placer sa fille adulte en institution alors qu’elle était en pleine phase de crise.

par Xavier Fernandez


La famille craignait pour la vie de la jeune femme. Getty Images

 

Roger* et Louise* peuvent enfin respirer tranquillement. Ils n’ont plus à craindre pour la vie de leur fille de 29 ans. Du moins, pour le moment. Cette dernière est atteinte de troubles psychiques qui réapparaissent régulièrement. «Elle a décompensé quatre fois ces cinq dernières années», se souvient Roger. Autrement dit, la plupart du temps, elle est capable de se gérer elle-même et de prendre ses propres décisions. Mais lorsque la maladie refait surface, tout peut arriver, comme la semaine dernière.

Alors qu’elle rentrait de Genève à Montreux (VD) en taxi, une crise s’est déclarée. «Elle était dans un tel état que le chauffeur, apeuré, l’a abandonnée à 3h du matin sur une aire de repos», déplore le papa. C’est la police qui l’a conduite, par après, aux urgences psychiatriques de Rennaz (VD). Mais elle a refusé de se faire soigner et a quitté l’hôpital au petit matin, seule et désorientée. Finalement, c’est un voisin des parents, à l’étranger ce jour-là, qui l’a retrouvée errant dans la rue. «Elle n’était pas assez habillée et complètement gelée. Je lui ai donné ma veste, mais c’est à peine si elle m’a reconnu», explique le bon Samaritain.

Sans perdre un instant, les parents sont rentrés en Suisse. Ils étaient toutefois loin de se douter qu’un véritable cauchemar allait commencer. «D’emblée, nous avons demandé qu’un PLAFA (ndlr: placement à des fins d’assistance) soit mis en place. Mais on a vécu l’enfer pendant une semaine, en attendant qu’une décision soit prise. Pour résumer, nous l’amenions voir des psys le jour et elle disparaissait la nuit. À nous ensuite de la retrouver. Le problème, c’est qu’elle voulait nous tenir à l’écart, ce que les médecins ont respecté. Il aura fallu qu’elle provoque un accident de voiture et qu’elle mette le feu à son appartement pour que les choses bougent. Parfois, on a le sentiment que le système manque d’humanité», regrette Roger.

Les dérives passées affectent le présent

Philippe Rey-Bellet, directeur général et médical de la Fondation de Nant, qui chapeaute l’ensemble des soins psychiatriques publics de l’Est vaudois, confirme. «Le PLAFA, c’est toujours l’ultima ratio. Après toutes les dérives, parfois dramatiques, voire contraires aux droits de l’homme, qu’a connues la psychiatrie par le passé, la politique sanitaire actuelle tend à réduire autant que faire se peut les hospitalisations forcées. Priver quelqu’un de sa liberté de mouvement, contre sa volonté, c’est une lourde responsabilité.»

Au-delà de la politique, il y a aussi des raisons médicales à cette réticence. «Un placement forcé peut avoir un effet traumatique pour le patient. Les traitements ambulatoires donnent en général de meilleurs résultats, poursuit le professeur Rey-Bellet. Mais ça peut aussi mettre en difficulté l’entourage et les familles. Ils sont impliqués dans les suivis et des problèmes relationnels peuvent apparaître. Il n’est parfois pas simple pour les proches de faire face à ça. Et c’est d’autant plus compliqué quand le patient n’accepte pas qu’on les informe directement. Mais c’est leur droit. Même fragiles, ces personnes demeurent des citoyens à part entière.»


Un cadre légal très strict

La majorité des hospitalisations psychiatriques se font avec l’accord des patients. Il s’agit d’une démarche volontaire. Seuls un médecin psychiatre ou un juge de paix peuvent décider de placer une personne contre sa volonté. Et, dans la première éventualité, le patient peut recourir contre cette décision, auprès de la justice. Mais, dans tous les cas, le patient doit représenter un danger immédiat pour lui-même ou pour les autres.


Moins d’hospitalisations, moins de lits

«Dans le canton de Vaud, à l’époque où la Santé était dirigée par Pierre-Yves Maillard, une politique destinée à faire baisser les PLAFA a été mise en place. Le fait est que le taux de placements était bien plus élevé ici que dans d’autres cantons. En parallèle, les capacités de lits hospitaliers ont singulièrement diminué, à tel point que le taux d’occupation est actuellement de 100% ou presque dans les hôpitaux», souligne Philippe Rey-Bellet.

Projet de soutien psychiatrique pour les jeunes: le bilan est «encourageant»

(20min.ch)

Mis en place en août dernier, le projet pilote de soutien psychiatrique pour les 14-24 ans a permis d’éviter l’hospitalisation d’environ deux tiers des patients évalués aux Urgences-Crises, estime le Centre hospitalier du Valais romand.


Le projet valaisan consiste notamment en la création d’«une plateforme d’orientation psychiatrique pour la prise en charge rapide des jeunes patients, notamment en renforçant les équipes d’urgence. Pixabay

 

La pandémie de Covid-19 a eu un fort effet sur la santé mentale. Depuis l’automne 2020, on note une augmentation de la détresse psychique, essentiellement de nature anxio-dépressive, en particulier auprès des adolescents (14-17 ans) et des jeunes adultes (18-24 ans) en Valais, tout comme dans l’ensemble de la Suisse.

En août dernier, le Conseil d’État et l’Hôpital du Valais (HVS) avaient lancé un projet pilote de soutien psychiatrique pour cette frange de la population. Neuf mois plus tard, l’évaluation a démontré des «résultats encourageants».

Dans le Valais romand, le nombre de visites ambulatoires a augmenté, entre 2019 et 2021, de 25% chez les jeunes entre 14 et 24 ans. Dans le Haut-Valais, le nombre de consultations ambulatoires en pédopsychiatrie a augmenté, entre 2019 et 2021, de 32%, rapporte, lundi, le Canton dans un communiqué.

Afin d’éviter l’hospitalisation

Le Centre hospitalier du Valais romand (CHVR) estime que la mise en place de ce projet a permis d’éviter l’hospitalisation d’environ deux tiers des patients évalués au sein du dispositif Urgence-Crise. Compte tenu de ce bilan, le Département de la santé, des affaires sociales et de la culture (DSSC) a décidé de renforcer ce dispositif et de le financer jusqu’à fin août 2023, avec une augmentation du nombre de postes dans les deux centres hospitaliers. Une nouvelle évaluation est attendue d’ici au deuxième trimestre 2023.

Des améliorations à venir

Une meilleure coordination de la prise en charge, notamment avec le Centre pour le développement et la thérapie de l’enfant et de l’adolescent (CDTEA), ainsi que les pédopsychiatres et pédiatres privés, doit toutefois être mise en place. Des réflexions doivent aussi être menées sur l’accessibilité de la garde médicale et le développement de l’hôpital de jour.

La nécessité de développer les soins intégrés pour nos jeunes, comme recommandé par la Conférence des directrices et directeurs cantonaux de la santé (CDS), a été démontrée, note le communiqué. Le Service de la santé publique, en collaboration avec l’HVS, soumettra des propositions dans ce domaine aux autorités cantonales d’ici à la fin de l’année 2022.


L’importance de collaborer

Alain di Gallo, directeur de la Clinique pour enfants et adolescents aux Cliniques psychiatriques universitaires de Bâle, soulignait, fin 2020, l’importance d’une bonne collaboration avec les institutions pour jeunes en difficulté et les psychologues scolaires, afin d’utiliser au mieux les ressources disponibles. Les thérapies de groupe, par exemple, sont une possibilité d’aider de nombreuses personnes à la fois.


Besoin d’aide?

Parlez et faites-vous aider.

Pro Juventute (24/7): 147
ciao.ch (11-20 ans) et ontécoute.ch (18-25 ans)
Police: 117
Urgences médicales: 144


«En Suisse, la majorité des personnes vivant avec un handicap sont des sous-citoyens»

(Le Temps)

Markus Schefer est membre du Comité de l’ONU chargé de veiller au respect de la Convention relative aux droits des personnes handicapées. Le professeur de droit à l’Université de Bâle s’exprime sur la Suisse, qui vient d’être sévèrement évaluée pour sa mise en œuvre lacunaire de ce texte ratifié en 2014


Bâle, le 11 mai 2022. Le professeur Markus Schefer, devant les locaux de la Faculté de droit, où il enseigne le droit constitutionnel. — © Katja Schmidlin/Lunax pour Le Temps

 

Le monde du handicap est en ébullition. Les critiques sévères que l’ONU a adressées à la Suisse, fin mars, en examinant sa mise en œuvre de la Convention relative aux droits des personnes handicapées (CDPH) ou, à Genève, les cas de maltraitance survenus au foyer pour mineurs de Mancy et les dysfonctionnements constatés à Clair Bois éclairent une problématique longtemps négligée par les pouvoirs publics. Législation, hébergement, curatelle, langage, éducation et emploi constituent autant d’immenses chantiers qu’il conviendrait d’ouvrir à l’échelle cantonale et fédérale pour se conformer à ce texte ratifié en 2014 par la Confédération.

Markus Schefer est professeur de droit constitutionnel à l’Université de Bâle et siège depuis 2019 au comité de l’ONU qui veille au respect de la CDPH par les Etats signataires. Il est actuellement en campagne pour effectuer un second mandat lors d’une élection qui se tiendra le 14 juin à New York.

Le Temps: En quoi consiste votre travail au sein du comité de l’ONU?

Markus Schefer: Je suis le rapporteur des communications individuelles, entre autres. Les habitants des 100 Etats ayant ratifié le protocole facultatif – ce n’est pas le cas de la Suisse – ont la possibilité de recourir contre une décision prise par la dernière instance judiciaire de leur pays. Je décide quelles mesures provisoires doivent être prises d’ici à ce que le comité tranche sur le fond. Comme je suis l’un des deux juristes du comité, un autre aspect de mon travail consiste en la préparation de ses décisions, avec le soutien des spécialistes de l’ONU.

Un exemple?

Une Irakienne avec un handicap psychosocial s’est vu refuser l’asile en Suède. Elle a fait valoir qu’en retournant dans son pays, elle n’aurait pas accès aux soins médicaux dont elle a besoin. Elle risquerait de mourir dans les six mois. Il faut d’abord prendre une mesure provisoire, soit que la Suède suspende son rapatriement en attendant une décision de notre comité. Dans un tel cas, on applique le droit international reconnu, comme le droit de non-refoulement, en tenant compte des spécificités du handicap, comme le prévoit la CDPH.

Que se passe-t-il si l’Etat ne respecte pas la décision?

Dans les relations internationales, chacun est dépendant des autres. Pour parvenir à ses fins, un Etat doit être respecté, et ce respect se perd si l’on ignore une instance compétente. A cet égard, le fait que je sois citoyen d’un pays jouissant d’un tel respect facilite mon travail.

Qu’est-ce que cette convention?

Elle requiert que les personnes en situation de handicap soient reconnues comme des membres de la société à part entière. Pour atteindre ce but, il faut changer de perspective. Accepter le handicap comme une dimension de la diversité humaine et pas comme une pathologie. On en est très loin. L’organisation de notre société n’est pas pensée pour ces personnes. Qu’il s’agisse de l’éducation, du travail ou de l’architecture, il existe une ségrégation de facto dans la plupart des domaines de l’existence. Tous les pays ont un problème avec la convention. Et c’est l’intérêt de disposer d’un tel outil, qui décline précisément les actions à mener.

Votre mandat arrive à son terme et vous êtes candidat à votre succession. Comment fait-on campagne pour un tel poste?

En 2018, je ne connaissais rien à cet univers. C’est un processus passionnant durant lequel il faut s’entretenir avec les représentants du monde entier. Chaque pays disposant d’un vote, l’Eswatini (Swaziland) équivaut à la Chine. A Genève et à New York, les missions suisses auprès de l’ONU organisent des discussions afin de me présenter, d’expliquer ce que j’ai fait et ce que je compte faire. Il faut que les États cessent d’administrer les personnes en situation de handicap et poursuivent le but d’une véritable inclusion. Je dois aussi évoquer ma légitimité, étant un des trois membres du comité ne présentant pas de handicap.


En discussion cette année avec une responsable de l’élection,
au siège de l’ONU, à New York

 

En tant que spécialiste du droit constitutionnel, qu’est-ce qui vous a conduit à promouvoir les droits des personnes handicapées?

Je n’ai pas de lien personnel avec ce sujet. Je travaille sur les droits humains depuis le début des années 1990. Le rôle d’un professeur demeure assez théorique. Après toutes ces années, j’ai voulu contribuer à obtenir des résultats concrets pour les personnes. Pour cela, il faut se spécialiser. Le handicap n’était pas un domaine juridique reconnu en Suisse. Nous y avons remédié en publiant un livre en 2014, avec Caroline Hess-Klein, d’Inclusion Handicap. C’est aussi l’année lors de laquelle la Suisse a ratifié la convention.

En Suisse, le nombre de personnes vivant avec un handicap est estimé à 1,8 million, soit 20% de la population. Dans le même temps, environ 25 000 adultes et enfants résident dans une institution. Qu’est-ce qu’un handicap?

Il n’existe pas de définition exhaustive. Le handicap est le résultat de deux facteurs conjugués: une incapacité et des barrières sociales. Cette situation est durable et comporte un effet négatif pour la personne concernée. L’existence d’une grande partie de ce 1,8 million de personnes est sévèrement restreinte. Mais la plupart d’entre elles sont invisibles. Cela donne la fausse impression qu’il s’agit d’un problème mineur.

La Suisse a ratifié la CDPH en 2014 et vient d’être évaluée par l’ONU. Sur les 17 pages du rapport rendu fin mars, il y a 8 lignes de «félicitations» et 15 pages de «préoccupations». Comment l’explique-t-on?

C’est préoccupant, mais pas surprenant. C’est la première fois que la Suisse est évaluée. Mes collègues du comité étaient assez surpris de l’état de la mise en œuvre de la convention. Ils s’attendaient à ce que, en Suisse, les choses fonctionnent. Ils ont cependant dû constater que l’administration ne savait pas vraiment comment s’y prendre. Etant de nationalité suisse, je n’ai moi-même pas participé à cet examen, afin de respecter l’intégrité du processus. Les membres du comité doivent rester indépendants.

Cette mise en œuvre est une tâche titanesque, non?

Absolument. Au XIXe siècle, l’égalité hommes-femmes était impensable. Le handicap constitue un défi analogue. C’est une affaire de décennies. Mais cela ne veut pas dire qu’il faille progresser lentement.

Pauvreté élevée, stérilisations forcées, droits politiques restreints, accès limité ou inexistant à l’éducation, au marché du travail et aux lieux publics: les personnes vivant avec un handicap sont-elles des sous-citoyens?

Pas toutes, mais la grande majorité le sont, oui. Elles ne peuvent pas participer à la société comme tout un chacun, parce que celle-ci a été créée par et pour des personnes qui n’ont pas de handicap. Nous ne sommes pas habitués à interagir avec des personnes en situation de handicap. Cela explique pourquoi la tâche est monumentale.

La législation parle d’invalidité ou d’impotence. Pourquoi ce lexique est-il critiqué?

Datant des années 1950, la loi sur l’invalidité (AI) était un projet magnifique à l’époque. Mais aujourd’hui, le terme, dévalorisant, véhicule l’idée d’une dépendance à l’Etat. On parle beaucoup du langage en relation avec les questions de genre ou des minorités sexuelles. Parce que, jusqu’à un certain point, la terminologie reflète ce que nous pensons. Mais je ne fais pas partie des radicaux dans ce domaine. Au final, ce sont les actes concrets qui comptent.

Pourrait-on simplement remplacer le terme «invalidité» par «handicap»?

Non, car les deux termes ne se recoupent pas complètement. L’invalidité correspond à une définition juridique, qui donne accès à des droits. L’AI compense l’absence de revenus pour les personnes qui ne peuvent pas travailler, situation qui ne rejoint pas celle de toutes les personnes en situation de handicap. Changer la terminologie peut créer une insécurité juridique.


Entouré de la spécialiste des droits humains de la mission suisse à New York, Laetitia Kirianoff (à gauche) et de représentants d’Inclusion Handicap.

 

Et pourquoi les associations parlent-elles d’inclusion plutôt que d’intégration?

L’intégration part de l’idée que la personne doit s’adapter à la société, alors que l’inclusion demande à la société de s’adapter à la personne.

Le comité de l’ONU estime qu’en Suisse, «les médias renvoient généralement une image négative des personnes handicapées»…

Ce n’est pas mon impression. Les médias suisses sont très ouverts à la question des droits des personnes en situation de handicap. A Genève, ils ont fortement soutenu la restitution des droits politiques aux personnes sous curatelle [approuvée en 2020 par 74% de la population, ndlr]. Mais il est vrai que les médias ont globalement appuyé cette horrible législation sur la surveillance des bénéficiaires des assurances sociales [approuvée par le peuple suisse à 64,7% en 2018, ndlr]. Cette loi fait primer la traque à la fraude sur le respect de la vie privée et de la dignité des assurés. Elle mériterait d’être examinée sous l’angle de la discrimination des personnes en situation de handicap.

Le comité déclare que «les lois et les politiques ne sont pas pleinement en accord avec la convention et avec le modèle du handicap fondé sur les droits de l’homme». Qu’est-ce que cela veut dire?

Que les lois ne considèrent pas les personnes handicapées comme des personnes détentrices des mêmes droits humains, bénéficiant du même niveau de protection. Si vous êtes obligé d’aller en école spécialisée, vous êtes séparé des autres. Si vous vivez dans une institution isolée, à la campagne, vous ne pouvez aller en ville que sporadiquement. Si vous cherchez un emploi, vous serez très souvent rejeté. Et travailler dans un atelier protégé constitue souvent une obligation de fait.

Autre critique, «des lois nient ou restreignent la capacité juridique des personnes handicapées et prévoient leur mise sous tutelle». A quelles lois est-il fait allusion?

Au Code civil et à son dispositif de protection de l’adulte. Ce système de représentation est très ancien. Un curateur administre certains domaines de votre existence. Il est votre voix légale. Ce que vous pouvez dire n’a aucune incidence légale. La convention rejette ce système: le curateur ne doit pas décider à la place d’une personne, mais l’aider à s’exprimer. Si elle ne le peut pas, il doit trouver la meilleure interprétation possible de ce qu’elle veut. La Suisse n’est pas en conformité avec cet aspect fondamental de la CDPH.

Que signifient les notions de libre choix et d’autonomie?

Changer d’approche et développer des méthodes afin de pouvoir interpréter ce que la personne exprime, parfois de façon non verbale. Si l’on prend la loi sur la stérilisation, le processus est strict et bien encadré. Mais on peut ignorer un refus catégorique d’une personne en situation de handicap. Au vu de notre histoire compliquée avec la stérilisation, il est étonnant que le législateur n’ait pas songé à ce problème.

La Suisse se focalise sur l’hébergement en milieu institutionnel. Pourquoi cette approche est-elle jugée problématique?

Tout un chacun veut pouvoir choisir où il vit, avec qui et de quelle manière. C’est essentiel. Personne ne peut me forcer à accueillir un réfugié ukrainien. Je choisis de le faire ou non. Une telle contrainte n’existe qu’à l’armée ou en prison, durant une période limitée. Pour les personnes en situation de handicap, ça peut être toute leur vie. Le fait que personne n’aime la perspective de vivre dans un EMS devrait nous amener à faire preuve de davantage d’empathie. Durant la pandémie, de nombreuses institutions se sont transformées en prison. Cela a été catastrophique.

Est-il réaliste de supprimer toutes les institutions?

La Nouvelle-Zélande l’a fait il y a 20 ans. Cela n’a pas supprimé tous les problèmes, mais le système fonctionne. Mon collègue néo-zélandais du comité, Sir Robert Martin, a vécu plus de trente ans dans une institution, avant d’en être libéré. Il évoque un changement fondamental dans son existence.

Il vit donc seul à la maison?

Pas du tout. Il bénéficie d’un soutien personnalisé. On dépense beaucoup pour les institutions. Cet argent peut être utilisé pour fournir un autre type d’accompagnement.

Existe-t-il une comparaison du coût des deux systèmes?

Pas à ma connaissance. Il est très compliqué de comparer les systèmes d’assurances sociales.

Les prestations des assurances sociales favorisant le maintien des personnes handicapées à domicile ont été élargies. Qu’en pensez-vous?

En effet, la contribution d’assistance de l’AI est un développement récent. Elle permet d’employer une personne à domicile par exemple. C’est un bon début.

Existe-t-il d’importantes disparités cantonales dans la mise en œuvre de la CDPH?

Oui, comme toujours en Suisse. Quelques cantons, comme les deux Bâles ou le Valais, ont des lois adéquates sur l’autodétermination, faisant de l’inclusion un droit garanti, même s’il est relativisé par la proportionnalité. Zurich a des plans d’action, mais pas de loi. Genève et Glaris s’y attellent. Mais certains cantons sont à la peine.

Vous avez été mandaté par l’Etat de Genève pour élaborer une politique du handicap. Que pouvez-vous en dire à ce stade?

On m’a proposé de travailler sans tabou, même s’il faut rester réaliste, car au final le politique décide. On a fait un diagnostic, analysé des lois genevoises, et développé des priorités pour avancer. L’administration considère ces questions avec le sérieux nécessaire. Je ne peux pas en dire davantage.

L’ONU dit que les procédures de signalement de la maltraitance sont défaillantes. Cela évoque ce qui s’est passé au foyer pour mineurs de Mancy et les dysfonctionnements constatés chez les adultes de Clair Bois…

Ces problèmes de signalement sont récurrents. Ces processus doivent être changés de façon à garantir l’accès à ceux qui en ont besoin. C’est aussi valable pour l’accès à la justice, un thème que j’entends porter si mon mandat est reconduit.

On frissonne en lisant que le «recours, sans le consentement des intéressés, à des procédures et traitements médicaux, des moyens de contention chimique, physique et mécanique et des mesures de mise à l’isolement» existent encore…

Le Code civil autorise ces pratiques, qui sont employées quotidiennement. Au niveau cantonal, les dispositions régissant la psychiatrie les permettent aussi. La culture médicale doit changer. J’ai récemment été invité à Malte pour parler devant 300 psychiatres. Comme souvent, les anciennes générations ne voient pas comment changer, alors que les jeunes l’estiment possible.


Questionnaire de Proust

Que lisez-vous en ce moment?
«Anéantir» de Michel Houellebecq, en français.

Votre couleur préférée?
Le vert.

Un lieu pour vous ressourcer?
La maison.

Le défaut qui vous révulse?
Penser qu’on est le plus important. Me, myself and I.

Une qualité qui vous inspire?
La faculté d’accepter les personnes comme elles sont.

Si vous pouviez exercer un autre métier?

Aucun. Mais je caresse le rêve étrange d’enfouir des bidons jaunes et vides dans le désert du Nouveau-Mexique et que personne ne sache que ces œuvres d’art s’y cachent. Hélas, je ne le ferai jamais.

L’animal qui vous correspond?
Nous sommes des animaux. Ma fille biologiste m’interdirait toute autre réponse.


Profil

Naissance le 4 février 1965 à Teufen, Argovie. Il est père de deux filles, jeunes adultes.

Ponctuant ses études à l’Université de Berne ainsi qu’à Berkeley et à Washington, il soutient en 1995 sa thèse de doctorat sur les méthodes d’interprétation de la Constitution par la Cour suprême américaine lorsqu’elle est saisie de questions touchant aux droits fondamentaux.

Markus Schefer occupe la chaire de droit constitutionnel de l’Université de Bâle depuis 2001.

En 2019, il devient membre du Comité de l’ONU chargé de veiller au respect de la Convention relative aux droits des personnes handicapées. Il brigue un second mandat de quatre ans.

Du Molière pour gommer les différences

(Arcinfo)

NEUCHÂTEL Ce vendredi, le temple du Bas accueille «Molière,c’est nous!»,un spectacle joué par des personnes en situation de handicap.Il vise à promouvoir une société plus inclusive.

PAR LENA.WURGLER@ARCINFO.CH


Le spectacle «Molière,c’est nous!» a déjà été joué à Fribourg en décembre 2021.
SP-SANDRO MHASLY

 

De toutes et tous, je suis celui qui danse le moins bien». Yves Senn manque effectivement de souplesse au moment de l’échauffement.Ses mouvements lui valent quelques commentaires amusés des huit autres personnes présentes dans la pièce.

Mardi soir,la petite troupe amateure répète une dernière fois ses scènes dans une salle du Conservatoire de musique de Neuchâtel.Dans trois jours, elle rejoindra d’autres groupes d’artistes en herbe pour interpréter une version remaniée du «Bourgeois gentilhomme» de Molière.L’oeuvre sera jouée au temple du Bas ce vendredi.

Petit projet devenu grand

Le spectacle «Molière, c’est nous!» rassemble plus de soixante comédiens et comédiennes, danseurs et danseuses,musiciens et musiciennes. Une partie sont des professionnels de la troupe de L’avant- scène opéra,fondée par Yves Senn,et du théâtre Entr’Acte. Les autres sont des personnes en situation de handicap,qui se sont inscrites aux«Ateliers découverte»de Pro Infirmis Neuchâtel.

Là,elles ont appris le chant,la danse et l’expression théâtrale. La présentation d’un premier petit spectacle,début 2020,a motivé les sections fribourgeoise et vaudoise de Pro Infirmis à se joindre à l’aventure. Le petit projet initial est alors devenu grand.

Yves Senn a étudié la mise en scène en fonction de l’ampleur du nouveau projet et du nouveau casting.«J’ai adapté la pièce de Molière comme je le ferais avec n’importe quelle troupe»,tient à préciser le directeur artistique.«Aujourd’hui, l’histoire inclut par exemple une chaise roulante.Quiconque la jouerait devrait s’asseoir dessus,qu’il soit capable de marcher ou non».

Le principal objectif du metteur en scène était moins de mettre en avant les difficultés des personnes en situation de handicap que de les faire oublier totalement.

«C’est un spectacle d’inclusion. La plupart des interprètes ont des compétences qui vont au- delà de ce qu’on pourrait attendre de n’importe qui»,souligne Yves Senn,qui met d’ailleurs au défi de distinguer les artistes de Pro Infirmis des professionnels durant le spectacle.«En multipliant ce genre d’expérience, les gens prennent conscience que les personnes en situation de handicap sont comme tout le monde»,abonde Lynne Mabillon,chargée de projets chez Pro Infirmis.

Le collectif d’abord

Pour les participants et participantes,la mise en place du spectacle et les répétitions offrent aussi l’occasion de sortir du cadre familial ou institutionnel ordinaire,voire de l’isolation, pour découvrir de nouveaux horizons et,surtout,rencontrer de nouvelles personnes.

«Cela me plaît de voir du monde et de travailler en groupe»,relève Joyce,l’une des artistes en herbe de la petite troupe neuchâteloise.«On est une équipe de choc:on apprend très vite et on s’aide beaucoup entre nous»,sourit la trentenaire.

Elle-même est déjà montée sur scène une première fois,il y a quelques mois.C’était pour la première représentation de «Molière,c’est nous!»,en décembre dernier à Fribourg.«A la fin,les gens ont applaudi et se sont levés.Et quand le public se lève, c’est magnifique!». Les spectateurs pourront se lever une nouvelle fois ce vendredi soir 20 mai au temple du Bas, puis encore le 1er juin au théâtre Benno Besson d’Yverdon-les-Bains,pour la dernière représentation de «Molière, c’est nous!»