Les gares du CEVA à l’épreuve du fauteuil roulant (GE)

(tdg.ch)

Des experts en mobilité réduite testent empiriquement les nouvelles stations.


Djamel à Champel avec Tao. Image: STEEVE IUNCKER-GOMEZ

 

Les nouvelles gares genevoises, ce n’est pas toujours une affaire qui roule quand on est en fauteuil roulant. Pour tester l’accessibilité de ces nouvelles réalisations du point de vue des personnes à mobilité réduite, que peut-on imaginer de mieux que de s’en remettre à l’expertise du Club en fauteuil roulant de Genève? Pourquoi solliciter cette section locale de l’Association suisse des paraplégiques? Parce qu’en plus de la question du handicap lourd, on peut présumer que les écueils que l’on rencontre en chaise roulante ne constituent pas davantage une partie de plaisir pour une personne âgée peu sûre de ses jambes ou pour des jeunes parents affublés d’une poussette.

Avec trois membres du club, nous avons visité une gare (Eaux-Vives) et deux haltes (Champel et Bachet). Rendez-vous est pris dans la première de ces stations. Avec Olivier Dufour (président) et Djamel Bourbala (vice-président), nous attendons Tao Pham, responsable du thème «Construire sans obstacles». Venu en voiture, il peine à se parquer. L’occasion d’évoquer un premier grief: les stationnements pour handicapés devraient être gratuits et si possible en surface, mais aux Eaux-Vives, on les trouve dans le parking souterrain et payant.

«Lève-toi et marche!»

En attendant, on sillonne la galerie marchande, en notant avec satisfaction la présence d’ascenseurs donnant accès au quai ferroviaire. Avant d’y descendre, testons les WC. Les cabines sont jugées suffisamment vastes pour être qualifiées de lieu d’aisances même par une personne en chaise. La barre d’appui est au rendez-vous. Une réserve: un seuil très carré et un peu élevé, «franchissable, mais avec un effort», souligne Djamel.


Djamel sur les dévers du Plateau.

 

On est sur le quai quand Tao nous rejoint enfin. «J’ai tourné une demi-heure et fini par me parquer sur une case livraison», raconte-t-il. On parcourt l’interminable plateforme ferroviaire pour trouver à son extrémité nord des escaliers infranchissables puisque dépourvus de toute alternative mécanique: ni escalator ni ascenseur. «Lève-toi et marche!» lance Tao ironiquement à l’égard de Djamel. Cette émergence mène aux parcs et à toute une série d’arrêts de bus. Une personne en chaise qui aurait débarqué du train à cette hauteur et voudrait justement prendre cette direction sera contrainte à un détour par le milieu de ce quai si long pour trouver un ascenseur. «Un parcours de 300 mètres, précise Olivier. On a un problème semblable à l’une des extrémités de la gare de Chêne-Bourg.»

On prend le train. Embarquement sans heurts. La descente en gare de Champel, dont le quai est courbe, s’avère un peu plus acrobatique. Le marchepied qui s’extrait du train lors de l’ouverture des portes est légèrement au-dessus de la plateforme et laisse trois ou quatre centimètres de vide. «Certains utilisateurs de fauteuils électriques auront du mal», avertit Tao. À ce titre, d’autres stations genevoises réservent toutefois de pires surprises (lire ci-dessous).

Un plateau si mal nommé

On scrute la station. Nos testeurs déplorent l’absence de bancs sur le quai, alors que la gare des Eaux-Vives, elle, en offre en abondance. Dans cette halte, la plus profonde du CEVA, à quelque 25 mètres sous le plateau de Champel, les organisations liées au handicap ont milité, avec succès, pour la pose d’un ascenseur d’appoint qui, s’il ne rejoint pas la surface, permet au moins de rallier la mezzanine où débute le tunnel vers le quartier hospitalier.

«Pour monter, il faut faire des lacets, mais même ainsi, c’est presque impossible sans aide»

Mais on explore d’abord le plateau, qui est tout sauf plat. On emprunte une allée qui longe la façade de la gare et l’avenue de Champel. Nos testeurs y subissent un double dévers: l’allée est en pente dans le sens de la marche, mais aussi de côté. Cette inclinaison latérale est de 5% alors que le bas de la pente marque un dénivelé atteignant 11%. Cela aurait pu être pire: les associations sont intervenues en fin de travaux, obtenant qu’on limite les dégâts.

De l’autre côté du bâtiment, des allées rejoignant le haut du plateau sont encore plus pentues. «Là, c’est du 17,6%, mesure Tao. Pour monter, il faut faire des lacets, mais même ainsi, c’est presque impossible sans aide. Un déambulateur ne passera pas non plus.» Les deux hommes renoncent. Djamel a mal aux épaules. «C’est épuisant, souffle-t-il. Pire qu’une séance de physio!» Une signalisation particulière pour les usagers de fauteuils roulants semble nécessaire.


Djamel sur l’immense quai des Eaux-Vives.

 

Démarche d’avenir

Le tunnel vers l’Hôpital est, lui, jugé confortable. En revanche, ses abords près des avenues de Beau-Séjour et de la Roseraie présentent eux aussi de multiples dévers difficiles à négocier.

On fait encore un saut au Bachet, où on note des anicroches, comme des ascenseurs peu centrés (ils se situent en bout de quai, ce qui engendre des détours), des bancs toujours absents et un petit souci aux WC de la vélostation: un handicapé qui y aura accédé avec sa clé spéciale ne peut pas verrouiller la cabine, si bien qu’il risquera d’être surpris en pleine action par un usager payant.

En reprenant le train, Djamel philosophe sur l’importance de ce qui peut apparaître comme des détails: «Nous aurons de plus en plus de personnes âgées. Si on ne veille pas à une mobilité aisée, elles s’isoleront chez elles. Leur perte d’autonomie coûtera cher.»

Quand le marchepied fait faux bond

Le monde ferroviaire romand est un village. Sans que la moindre concertation préalable n’ait eu lieu, notre visite de la gare des Eaux-Vives nous a fait tomber nez à nez avec le directeur des CFF pour la Suisse romande, Alain Barbey. En chemin pour Annemasse, afin d’y discuter des soucis de lancement du Léman Express, ce dirigeant a raté volontairement un train pour discuter avec nos experts en chaise roulante.

Au menu de leur conversation, un défaut qui n’affecte pas les nouvelles gares CEVA mais des stations plus anciennes du Léman Express, inadaptées aux normes. Dans une halte comme les Tuileries (commune de Bellevue), le quai est trop bas pour permettre un accès de plain-pied au véhicule.

Les rames suisses du Léman Express déploient malgré tout leur marchepied à cet arrêt: elles sont programmées pour le faire. Les rames françaises utilisent, elles, un système de capteurs qui, ne décelant que du vide face au marchepied, laisse ce dernier blotti dans sa cache, ouvrant ainsi une béance entre le quai et le train. Pour les représentants du club, il y a un gros risque d’accident. Ce couac n’a été que récemment découvert. Des annonces à bord sont prévues, précise Alain Barbey.

La mise à jour des stations des Tuileries, de Versoix et de Pont-Céard – en particulier leur ajustement aux exigences de loi en matière d’égalité avec les handicapés – est déjà planifiée. Ces travaux à 19 millions de fr. sont prévus en été 2021. Ils nécessiteront le remplacement du Léman Express par des bus de substitution durant une période de huit semaines, ont annoncé les CFF il y a une année.

«Il ne faut pas surprotéger les personnes en situation de handicap»

(swissinfo.ch)

Par Katy Romy


Certaines personnes en situation de handicap sont surprotégées, ce qui restreint leurs libertés. (Keystone / Samuel Truempy)

 

En Suisse, près de 1,7 millions de personnes souffrent d’un handicap. Depuis un siècle, Pro Infirmis œuvre pour les soutenir et les conseiller. Considérées comme marginales au début de XXe siècle, les personnes en situation de handicap sont désormais mieux intégrées à la société, mais le travail n’est de loin pas terminé.

La principale organisation suisse pour les personnes en situation de handicap a été fondée le 31 janvier 1920, à Olten, dans le canton de Soleure. Elle s’appelait alors «Association suisse en faveur des anormaux». Un nom révélateur du chemin parcouru dans la manière de considérer et de prendre en charge ces personnes. Depuis 100 ans, la mission de l’organisation n’a cependant pas changé: elle soutient et conseille les personnes souffrant d’un handicap. En un siècle, les avancées ont été nombreuses mais des progrès restent à faire, constate le président de Pro Infirmis, Adriano Previtali.

swissinfo.ch: Qui sont les personnes en situation de handicap que soutient votre organisation?

Adriano Previtali: Pro Infirmis s’occupe de tous les types de handicaps: physique, mental et psychique. Au cours des vingt dernières années, nous avons surtout développé la prise en charge du handicap psychique qui avait été longtemps négligé. C’est devenu un axe très important de notre activité.

«Il y aura toujours des personnes malades et l’environnement doit adopter des règles de fonctionnement qui permettent de les intégrer»

En l’espace d’un siècle, comment le handicap a-t-il évolué en Suisse?

C’est principalement la notion de handicap qui a évolué dans le temps. Il y a 100 ans ou même 50 ans, elle n’existait tout simplement pas. Les personnes en situation de handicap étaient considérées comme malades et déviantes par rapport à la normalité. Ainsi, il fallait les placer dans des institutions pour protéger la société.

Petit à petit, la notion d’invalidité est apparue avec l’introduction de l’assurance invalidité (AI). Il n’y avait ainsi plus seulement la notion de maladie, mais aussi celle d’une incapacité sur le long terme, donnant droit à des prestations de l’AI. Finalement, la notion de handicap est apparue dans les années 1980 et a été introduite au niveau international par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Elle correspond davantage à la réalité: ce n’est pas uniquement une incapacité individuelle, mais un problème social. Il y aura toujours des personnes malades et l’environnement doit adopter des règles de fonctionnement qui permettent de les intégrer.


Il y a 20 ans, Pro Infirmis a entamé un changement de paradigme à travers ses campagnes (ici, la campagne de 2019), montrant les personnes avec handicap en tant qu’individus menant une vie autodéterminée et revendiquant leurs droits.
(ldd)

 

Comment la Suisse peut-elle améliorer la prise en charge du handicap?

Il y a 30 ans, le handicap était encore source de stigmatisation. Nous sommes actuellement dans une phase où nous avons obtenu des résultats, mais nous avons besoin d’une nouvelle impulsion pour ne pas stagner. Les mentalités doivent encore évoluer. La présence des personnes en situation de handicap doit être renforcée dans la formation, dans le monde du travail, dans la vie sociale au sens large, la vie politique et culturelle.

De nombreux progrès ont déjà été réalisés, mais le potentiel d’amélioration est encore important. Il faut aussi mettre en place des structures pour soutenir davantage les proches aidants. Le vieillissement de la population va aussi être l’un des grands défis de ces prochaines années. Des ressources devront être mobilisées pour garantir un cadre d’accueil aux personnes qui se retrouveront en situation de dépendance à la fin de leur vie.

«La présence des personnes en situation de handicap doit être renforcée dans la formation, dans le monde du travail, dans la vie sociale au sens large, la vie politique et culturelle»

Pro Infirmis dit aussi vouloir lutter contre «les clichés agaçants» qui collent à la peau des personnes en situation de handicap. Quels sont ces clichés?

Ce sont des clichés tellement ancrés dans notre culture que nous ne nous en apercevons même plus. On associe par exemple une personne handicapée à la pauvreté, mais de nombreuses personnes handicapées ne sont pas pauvres du tout et participent à la création de richesses. L’idée qu’une personne atteinte d’un handicap est moins productive qu’une autre est aussi très répandue, alors qu’elle peut être très productive.

Nous pensons aussi que les personnes qui souffrent d’un handicap psychique ou mental doivent être protégées. Il ne faut cependant pas les surprotéger. En Suisse, plusieurs dizaines de milliers de personnes ne peuvent pas exercer leur droit de vote en raison de leur maladie psychique, mais certaines pourraient parfaitement voter.

On protège aussi certaines personnes en ce qui concerne leur vie sentimentale, ce qui revient à les empêcher d’avoir une vie affective ou sexuelle. Objectivement, il y a des personnes en situation de handicap qui ont besoin d’être protégées, mais certaines sont en mesure de vivre leur vie sexuelle ou de voter de manière libre.


Le handicap en Suisse

Selon différentes sources disponibles, on peut estimer le nombre de personnes handicapées à environ 1,7 million. Parmi elles, 27 pour cent peuvent être considérées comme fortement handicapées. C’est le cas des personnes vivant en home ou en institution spécialisée: pour elles, une vie autonome à domicile ne semble plus possible ou du moins trop difficile.

Le nombre d’enfants ayant un handicap est difficile à estimer précisément, car il dépend de la définition et du degré de sévérité que l’on retient. Quelque 10’000 enfants semblent confrontés à un handicap important, et environ 44’000 autres à un handicap plus léger. Source: Office fédéral de la statistique

Pro Infirmis fête son centenaire

(nxp/ats)


Pro Infirmis oeuvre pour que 1,7 million de personnes en situation de handicap en Suisse puissent participer pleinement à la vie sociale. (Photo d’illustration)Photo: Keystone

 

L’association suisse de personnes handicapées Pro Infirmis célèbre ses 100 ans. Fondée à Olten (SO) le 31 janvier 1920 sous le nom d’Association suisse en faveur des anormaux, elle s’engage principalement pour des mesures d’intégration.

Il y a cent ans, une organisation au nom inconcevable aujourd’hui, l’Association suisse en faveur des anormaux (ASFA), était fondée à Olten (SO). Elle existe aujourd’hui encore. Depuis 1935, elle s’appelle Pro Infirmis.

Le terme «anormal» implique l’exclusion, car pendant des siècles seul ce qui était «normal» était voulu par Dieu. Dans l’Antiquité, les pères pouvaient sans autre abandonner dans la nature ou faire tuer leurs enfants «imparfaits». Même le réformateur Martin Luther recommandait encore de noyer les «changeons» ou «changelins» – des nourrissons infirmes que le diable avait échangés contre des bébés sains.

Toutefois, il existait depuis la nuit des temps des invalides vénérés: Hephaïstos, le dieu grec du feu, était boiteux, difforme et borgne. Malgré cela, les dieux l’appréciaient pour ses aptitudes de forgeron. Les cyclopes, avec leur œil unique sur le front, étaient utiles aussi, par exemple lorsqu’ils forgeaient des éclairs pour Zeus. Le principal dieu nordique, Odin, était également à moitié aveugle et cependant puissant.

Au XVIe siècle, l’artiste et calligraphe allemand Thomas Schweicker, dépourvu de bras, était légendaire, de même que, deux cents ans plus tard, Beethoven, malgré sa surdité.

Intégration

Ces «superhandicapés» se distinguaient des «crétins», «débiles» ou «estropiés», comme on les appelait sans pitié, par leur intégration dans la société. Un précepte cher à Pro Infirmis, qui s’engage pour que 1,7 million de personnes en situation de handicap en Suisse puissent participer pleinement à la vie sociale.

À l’origine, l’ASFA, fondée il y a cent ans, le 31 janvier 1920, avait pour but de soutenir les défenseurs des intérêts des handicapés face aux autorités et à la population et de venir en aide plus directement, financièrement surtout, aux personnes concernées.

L’industrialisation favorise la création de petites organisations de bienfaisance: le travail des enfants et les mauvaises conditions de travail font naître de nouvelles déficiences. Parallèlement, les familles nombreuses, où les handicapés étaient généralement pris en charge, se désintègrent.

Dans les usines, corps de métier et certains quartiers, des caisses de solidarité pour les malades, infirmes ou mourants voient le jour. Celles-ci soutiennent financièrement leurs membres handicapés.

L’appel à la création d’une assurance invalidité (AI) se fait de plus en plus fort. La question est discutée au Parlement fédéral en 1919 déjà, mais le financement de l’assurance est controversé et le projet abandonné. En 1923, l’ASFA obtient une première subvention fédérale, avec laquelle elle améliore les conditions de vie dans les établissements pour handicapés.

Assurance vieillesse

Le 6 décembre 1925, le peuple est pour la première fois appelé aux urnes pour se prononcer sur l’introduction d’une assurance vieillesse et survivants obligatoire (AVS). Deux tiers des votants et une majorité de cantons approuvent la base constitutionnelle requise. La Confédération est également habilitée à instaurer une assurance invalidité ultérieurement, mais il faudra encore trente-cinq ans pour qu’elle voie le jour, en 1960.

En attendant, l’ASFA réalise ses propres projets. En 1935 s’ouvrent les premiers services sociaux (appelés aujourd’hui services de consultation, au nombre d’une cinquantaine). Sujet à de plus en plus de critiques, le terme «anormaux» est définitivement abandonné en 1946.

Soutien psychosocial

Avec l’entrée en vigueur de la loi fédérale sur l’assurance invalidité en 1960, un pont est jeté entre l’assistance privée et l’assistance publique. Les organisations privées comme Pro Infirmis sont en partie déchargées financièrement. Leur rôle va par conséquent évoluer: l’aide aux personnes en situation de handicap passe peu à peu d’un soutien essentiellement matériel à une prépondérance du psychosocial.

Depuis, Pro Infirmis s’engage pour des mesures d’intégration, un objectif en partie atteint en 2004 avec l’entrée en vigueur de la loi sur l’égalité pour les handicapés.

En 2020, les festivités du centenaire sont placées sous la devise «L’avenir ne connaît pas d’obstacles». Des manifestations et des actions sont prévues tout au long de l’année pour montrer ce que signifient l’inclusion et la participation au quotidien. «Car les personnes en situation de handicap font tout naturellement partie de la société, mais sont encore trop peu visibles dans différents lieux importants de Suisse», écrit Pro Infirmis sur son site.

Les prestations de Pro Infirmis sont financées à hauteur de 60% par la main publique et 40% par des moyens privés. Selon le rapport annuel, l’organisation fournit 245’000 consultations par an. L’aide directe à des personnes en situation de handicap se monte à 15,8 millions de francs.

Pro Infirmis permet un accompagnement à domicile à un bon millier de personnes, décharge des proches aidants de 90’000 heures et transmet du savoir à 2700 personnes dans les écoles d’autonomie.

Un pianiste rejoue grâce à des gants bioniques

(nxp/afp)

Un célèbre pianiste brésilien va pouvoir donner des concerts à nouveau après avoir été handicapé. Il jouera ses morceaux grâce à des gants du futur.

Une maladie et plusieurs accidents avaient forcé le célèbre pianiste brésilien Joao Carlos Martins à abandonner le piano en 2019. Mais grâce à des gants bioniques, les doigts du musicien dansent à nouveau sur le clavier.

En juin, le pianiste fêtera ses 80 ans et trois mois plus tard, il donnera un concert au Carnegie Hall pour le 60e anniversaire de sa première performance dans la prestigieuse salle new-yorkaise. «Cela montre à des millions de personnes de 80 ans qu’elles peuvent avoir des buts et des objectifs», se réjouit cet interprète reconnu de Bach. Le Brésilien revient pourtant de loin.

À 18 ans, on lui diagnostique une dystonie focale, maladie qui provoque des spasmes musculaires involontaires et touche notamment ses mains. Plus tard, il se blesse au coude lors d’un match de football. Une violente agression à la tête en Bulgarie lui laisse aussi des séquelles. Il y a une vingtaine d’années, la maladie le contraint finalement à ne jouer que de la main gauche, puis peu à peu à n’utiliser que ses pouces.

Un inventeur l’a sauvé

Sans autre choix, il se tourne alors vers la direction d’orchestre, avant de faire ses adieux à la scène en février 2019. Son salut vient alors d’un inventeur, Ubirata Costa, qui vient le voir un jour dans sa loge avec une paire de gants technologiques et l’espoir de lui redonner un peu de joie. «Les gants ne fonctionnaient pas, mais je ne voulais pas être impoli, je l’ai invité à déjeuner», raconte Joao Carlos Martins.

À partir de là, Ubirata Costa commence à travailler sur de nouveaux prototypes de ces gants qui associent du néoprène à des pièces imprimées en 3D. «J’ai déjà perdu le compte de combien j’en ai fait», explique le concepteur.

Joao Carlos Martins raconte comment, avant l’«apparition de ce fou avec ses gants», son quotidien se résumait à «se réveiller à 5H30», à vérifier que son nom n’était pas dans la nécrologie des journaux et à mémoriser des partitions – il en connaît par coeur 15’000 – car la maladie l’empêche de tourner les pages.

Grâce aux gants appareillés et à un robot venu d’Europe chargé de tourner les pages des partitions, Joao Carlos Martins peut à nouveau espérer se consacrer à son art. «Maintenant je me réveille en écoutant de la musique (…) et je vais me coucher en l’écoutant travailler», raconte Carmen Martins, l’épouse du musicien. Ce dernier, qui n’en a pas fini avec ses rêves, souhaite désormais transmettre sa passion en formant un orchestre avec des enfants de quartiers défavorisés.

Bombardier apprend à la dure en Suisse

(Le journal de Montréal)

Retards et problèmes techniques ont affecté la réputation de la multinationale québécoise.
(Sylvain Larocque)

Bombardier a mis plus de huit ans à développer le train à deux étages FV-Dosto. Bon nombre de participants au Forum économique mondial de Davos, tenu la semaine dernière, sont montés à bord de ces trains.

 

ZURICH | Le « contrat du siècle » que Bombardier a remporté en Suisse en 2010 s’est transformé en véritable cauchemar. Aujourd’hui, l’entreprise tente de se remettre sur la bonne voie dans ce prestigieux marché ferroviaire.

Avec cinq ans de retard, une vingtaine de rames FV-Dosto, construites dans la partie francophone de la Suisse, roulent finalement pour les Chemins de fer fédéraux (CFF).

La semaine dernière, des centaines de participants au Forum de Davos ont emprunté ces trains à deux étages conçus pour rouler jusqu’à une vitesse de 200 km/h.

Livraisons stoppées

Or, la fiabilité des trains de Bombardier fait encore défaut. En janvier 2019, quelques semaines à peine après leur mise en service, les CFF ont cessé de recevoir de nouvelles rames en raison de divers ennuis techniques.

Aujourd’hui, Bombardier assure que 85 % des « problèmes de jeunesse » ont été réglés. Mais les trains tombent encore en panne tous les 6400 kilomètres en moyenne, alors que la norme minimale est d’une panne aux 8000 kilomètres et que l’objectif à atteindre est d’une panne aux 10 000 kilomètres.

Stéphane Wettstein, directeur de Bombardier Transport Suisse Photo courtoisie

 

« On y arrivera, ce n’est pas ça, le problème. La question, c’est le temps qu’on mettra pour arriver à ce résultat », reconnaît le directeur de Bombardier Transport Suisse, Stéphane Wettstein, en entrevue avec Le Journal à son bureau de Zurich.

Les médias suisses font leurs choux gras de la situation. « Retour à l’atelier pour les trains Bombardier », titrait en octobre la Radio Télévision Suisse. « Il n’y a même pas la place pour ranger un sac à dos », déplorait-on dans le 20 Minutes en novembre.

La réputation de Bombardier en a pris un coup dans ce pays très jaloux de son réseau ferré. « Absolument, et c’est à nous de changer ça », admet M. Wettstein.

Lobbying intense

Bombardier avait mis le paquet pour décrocher le plus gros contrat jamais octroyé par les CFF.

Jadis peu connectée politiquement à Berne, la capitale du pays, la multinationale québécoise a multiplié les rencontres pour faire valoir le bien-fondé de sa proposition.

Ses efforts lui ont permis de rafler le contrat de quelque 2 milliards de dollars, portant sur 59 rames, à la barbe du constructeur local Stadler Rail.

Le défi à relever était toutefois de taille. Les CFF voulaient un train à grande capacité, économe en énergie et capable de rouler plus vite dans les courbes grâce à une technologie appelée « compensation du roulis ».

En prime, on voulait qu’il soit sous pression pour éviter que les passagers n’aient des bourdonnements dans les oreilles au moment de croiser d’autres trains ou d’entrer dans un tunnel.

Problèmes internes

Non seulement le développement de ce produit complexe a-t-il été plus long que prévu, mais à cela se sont ajoutés des changements demandés par les CFF et une requête d’associations de handicapés pour l’installation d’ascenseurs dans les trains.

Bombardier a aussi souffert de ses déficiences en gestion de projets et en contrôle de la qualité, les mêmes problèmes qui ont coûté une fortune et causé d’importants retards en Allemagne, à Londres, à New York et à Londres.

« En Suisse, on a appris nos leçons, on a fait nos devoirs et je pense que maintenant, ça fonctionne beaucoup mieux », insiste Stéphane Wettstein.

L’entreprise a dédommagé son client en lui offrant trois trains gratuitement. Des négociations sont actuellement en cours à propos d’autres pénalités qu’elle pourrait devoir verser.

Bombardier a perdu beaucoup d’argent avec ce qui devait être un juteux contrat.

Mais le constructeur est loin de baisser les bras.

Il a déjà les yeux sur la prochaine commande, qui pourrait comprendre 112 trains, soit deux fois plus que le contrat en cours.

Plus de 100 000 voitures de train et locomotives conçues et assemblées par Bombardier sont présentement en service à travers le monde.