Pas de reconnaissance de la langue des signes

(RJB.ch)


Le gouvernement invite le Grand Conseil a balayer le texte. (photo: Fédération suisse des sourds)

 

Le Conseil-exécutif ne veut pas d’une loi sur la reconnaissance officielle de la langue des signes. Le gouvernement bernois a ainsi répondu à une motion de Mohamed Hamdaoui. Le PDC biennois relève dans son texte que la Suisse est l’un des derniers pays d’Europe à ne pas avoir reconnu la langue des signes au niveau national. Il estime que cette lacune est en contradiction avec la Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées. Le PDC souhaite que le gouvernement remédie à cette situation, afin de favoriser l’intégration sociale des personnes malentendantes. Selon le député, une reconnaissance officielle de la langue des signes permettrait notamment de garantir un accès adapté aux services publics.

Le Conseil-exécutif ne désire toutefois pas entrer en matière. Il juge inutile l’élaboration d’une nouvelle loi pour atteindre ces objectifs. Il souligne par exemple, qu’en cas d’entretien au tribunal ou encore à l’hôpital, il est possible de faire appel à des interprètes en langue des signes via la Fondation Procom. Le financement de cette prestation est pris en charge par l’Office fédéral des assurances sociales.

De plus, le gouvernement bernois juge disproportionné d’adopter une loi sur une seule forme spécifique de handicap. Il propose donc de rejeter la motion. /mdu

Interview avec Christian Lohr

(Faire Face)


Christian Lohr au Conseil national

 

Monsieur Lohr, vous siégez depuis 8 ans au Conseil national. Le 20 octobre 2019, vous avez été élu pour un nouveau mandat de 4 ans. Vous encouragez les personnes en situation de handicap à s’affirmer dans la société et à mener une vie autodéterminée.Les personnes concernées remettent en cause l’effectivité des droits des personnes en situation de handicap, alors que ceux-ci ont du mal à s’établir dans notre pays faute de base juridique adéquate. Les personnes ont souvent l’impression de devoir mendier l’égalité. Selon la Convention des Nations Unies relative, il existe cependant des droits fondamentaux.Prenons le droit à la participation pour définir les lois qui concernent les personnes en situation de handicap: Le principe «Rien sur nous sans nous» est souvent ignoré dans la législation. Dans la « Liste des points à traiter publiée en novembre par l’ONU dans le cadre de la Convention sur les droits des personnes en situation de handicap,la Suisse est également invitée à indiquer les «mécanismes disponibles ainsi que les ressources humaines et financières disponibles aux niveaux fédéral, cantonal et communal pour une consultation significative des personnes en situation de handicap (…), concernant l’élaboration et le suivi des lois et politiques pour l’application de la Convention».

Faire Face:Comment peut-on changer les choses? Comment garantir que les personnes en situation de handicap participent au processus d’élaboration des lois, y compris à leur mise en œuvre ?

C.L.: Pour moi, il est évident que chaque nouvelle loi doit être discutée avec les personnes concernées par cette loi. Si nous élaborons une loi concernant l’agriculture, nous devons parler avec des agriculteurs, si nous élaborons toute une législation sur le changement climatique, nous devons parler avec des experts du domaine énergétique, si nous élaborons des lois sur l’alimentation, alors il doit y avoir consultation des groupes concernés. Peu importe le domaine dans lequel nous légiférons, il va sans dire que ces consultations sont nécessaires pour évaluer les effets de la loi. Mais lorsqu’il s’agit de handicap, une attitude encore courante, basée sur le principe d’assistance, consiste à prétendre que l’on sait ce qui est bon pour les personnes en situation de handicap. C ‘est une approche qui est dépassée. La Convention de l’ONU dit clairement que les personnes en situation de handicap devraient être intégrées aux processus de décision. Il y a quelques années, j’ai adressé une intervention dans laquelle j’exigeais clairement qu’aucune loi ne soit faite sans en parler aux personnes concernées. Les choses se sont un peu améliorées. Nous, les personnes en situation de handicap, participons souvent à des consultations par l’intermédiaire de nos organisations. Le fait que ce ne soit pas toujours le cas, s’explique de différentes façons :on entend souvent dans l’élaboration des lois, que les exigences vont trop loin, que des solutions individuelles doivent être trouvées. On ne souhaite parler aux organisations que de manière individuelle. Je ne suis pas sûr que l’on couvre ainsi de manière raisonnable tous les besoins. Les choses sont faites ainsi pour réduire la complexité.

J’ai parfois l’impression que l’administration n pense que les personnes en situation de handicap sont compliquées et rentrent dans trop de détails. Mais c’est le sujet même du handicap qui est complexe.Vous ne pouvez pas ouvrir un tiroir, sortir un formulaire et dire que tous les gens sont comme cela ou que tous les gens sont comme cela. Chaque personne et sa situation de vie sont uniques.Le problème est qu’aujourd’hui, la question des personnes en situation de handicap est beaucoup trop ancrée dans la politique sociale. Nous avons affaire à des personnes,donc à la société. Le sujet devrait être beau-coup plus discuté dans le cadre des sujets de société. Quand on parle de handicap, beaucoup de gens pensent problèmes, chiffres et cas de figure. Alors que nous avons à faire avant tout à des personnes.J’entends souvent dire «nous voulons participer à la vie politique ». Je ne sais pas ce que cela veut dire. Dans notre système, vous devez être élu. Pour cela, vous devez vous impliquer dans votre commune. Nous pouvons nous investir dans la culture, dans le sport par exemple. Il y a tellement de possibilités. C’est ce que nous, personnes en situation de handicap, devons comprendre.Exiger n’est pas suffisant. Nous devrions contribuer à tracer la voie. Je veux insister sur le fait que cela doit venir d’en bas.Bien sûr, la politique est importante et je sais que j’ai un rôle à jouer et une mission à mener à bien – je dois adresser des mots et des messages clairs. Mais la participation doit venir beaucoup plus de la base, de chaque individu.

Faire Face: L’attitude individuelle joue ici un rôle important. Quel est votre secret? Qu’est-cequi fait que vous êtes écouté ?

C.L. : «It’s all about attitudes», comme on dit dans le monde anglo-saxon. Tout est question de comportement. Je suis écouté aujourd’hui. D’un côté, cela me fait plaisir,mais de l’autre, je dois dire que cela n’est pas venu du jour au lendemain. J’essaye toujours d’être clair, authentique et honnête. Ceci implique en politique que l’on doit dire ce qui va et ce qui ne va pas. Je dois parfois dire aux organisations du domaine du handicap que quelque chose n’est pas faisable, pas parce que je suis contre elles, mais parce que je suis obligé d’être réaliste, de voir ce qui est possible et d’élaborer une stratégie à partir de cela. Je pratique la culture du dialogue en essayant de discuter avec les gens plutôt que de toujours brandir une bannière qui dirait «J’exige, j’exige,j’exige ». La culture du dialogue nécessite de la patience. Je comprends aussi l’impatience des individus et des organisations. Mais l’inclusion est un chemin et non un résultat.

«L’inclusion est un chemin et non un résultat.»

Le résultat est ensuite obtenu grâce à la crédibilité que nous avons construite. Parfois, il ne s’agit pas de parler de lois, mais de sensibilisation, de compréhension et d’empathie. Le bon sens est important… réciproquement. Bien entendu, des experts sont invités aux travaux des groupes parlementaires. Les organisations pour et avec les personnes en situation de handicap en font partie. Mais si, parfois, 3 organisations différentes représentent les intérêts d’un même groupe et ont des opinions différentes,alors je leur demande tout d’abord de se mettre d’accord. Ce genre de phénomène est une des raisons pour lesquelles les organisations sont parfois mises de côté.

Faire Face:La plupart des prestataires de transports privés sont plus à même de créer les conditions pour une utilisation autonome des transports par les personnes en situation de handicap (Services des transports publics de Berne, BLS, diverses lignes de chemins de fer de montagne) que les CFF, compagnie d’ État. Les gares et les arrêts (bus, train) sont du ressort des cantons et des communes. Toutefois, ces organismes ne disposent pas de la base juridique pour faire respecter l’accessibilité. C ‘est une exigence de la Convention, mais elle n’est pas définie dans le temps et il existe plusieurs façons de les contourner. Comment la politique fédérale peut-elle influencer la mise en place de l’égalité pour les personnes en situation de handicap au niveau cantonal ? Comment pouvons-nous (les organisations de personnes en situation de handicap) soutenir cette politique ?

C.L. : Ici aussi, il s’agit d’initier le dialogue. Les lois ont beau être justes et adéquates. A Bâle, où la loi cantonale sur l’égalité est si avancée, les transports publics, par exemple, sont encore loin d’être optimaux. Si nous voulons rentrer en procès, c’est complexe, c’est cher et je ne sais pas si cela nous permet vraiment d’atteindre les objectifs souhaités. Je soutiens davantage un dialogue structuré avec les cantons. Nous devrions rechercher le dialogue avec les conseils-exécutifs et les parlementaires.

C’est la première étape nécessaire. Il n’y Ca pas de deuxième étape sans première étape. Il faut également préciser que les personnes en situation de handicap ont trop peu de lobby qui les représentent, même si elles-mêmes représentent 2o% de la population. Si ces 2o% auxquels nous ajoutons,disons, 15 à 20% de sympathisants, votaient directement, toute votation serait adoptée.Mais nous savons que cela ne fonctionne pas de cette façon. L’égalité peut fonctionner grâce à un lobby plus fort. Je pense qu’il faut « vendre » ses droits, ses capacités – même si « vendre » n’est pas un joli mot- mais il faut, d’une manière, être capable de montrer ses droits. Je suis fermement convaincu que les personnes en situation de handicap apportent une valeur ajoutée à la société. Mais nous devons être en mesure d’attirer l’attention de la société sur ce point.

«Les organisations devraient accroître leur travail de lobbying. Il n’est, selon moi, pas assez développé pour faire pression au niveau politique.»

Bien entendu, la volonté politique est nécessaire, pour engager un-e représentant-e pour les questions de handicap dans une commune, par exemple.Si nous, personnes en situation de handicap, employons une culture du dialogue en expliquant nos contraintes, alors je suis convaincu que nous serons mieux écoutés.

Je vois aussi des priorités dans le choix des domaines à aborder. Ce qui est important pour moi dans la question de l’intégration, ce sont les conditions de vie, de travail et d’éducation, plutôt que la question des pensions. L’intégration passe par l’amélioration de ces questions qui, d’ailleurs, recueillent une meilleure approbation de la part de la politique et de la société. La loi sur l’égalité pour les handicapés, (LHand), ne devrait faire partie d’une politique de handicap, mais d’une politique de société. La façon dont nous,citoyens, vivons les uns avec les autres n’appartient pas à la politique sociale, mais à celle traitant des sujets de sociétés.

Faire Face: Quelle est actuellement la place du handicap dans les discussions politiques ?

C.L. : Il y a des personnes à la Commission qui sont très ouvertes à cela,d’autres qui poursuivent d’autres sujets. Voyons avec le nouveau Parlement comment le sujet sera abordé. Je suis confiant que nous allons progresser sur diverses questions.
Propos recueillis par Florence Montellier,Responsable de la communication ASPr-SVG


Christian Lohr

 

Appeler les secours? Dur pour un sourd!

(le Matin.ch)

Utilisables uniquement par téléphone, les numéros des secours comme le 144 posent problème aux sourds et malentendants. À Bienne, Béatrice Grimm connaît cette lacune: «Ce qui fonctionne au niveau national avec la Rega ne marche pas à l’échelon cantonal avec la police», indique cette animatrice socio-culturelle à la Fédération suisse des sourds.


Béatrice Grimm, animatrice socio-culturelle à la Fédération suisse des sourds: «On nous a tout proposé, sauf un simple numéro. Image: DR

 

Béatrice Grimm baisse les bras, après l’échec d’une négociation avec la police jurassienne: «On nous a tout proposé, sauf un simple numéro. Au fil du temps, ce projet est tombé aux oubliettes», rapporte Béatrice Grimm, guère disposée à entreprendre 26 fois la même démarche dans les cantons.

Mieux que rien

Faute d’un numéro à trois chiffres, les sourds doivent donner l’alerte par SMS via le service Procom, disponible 24h sur 24h, «C’est mieux que rien, mais on n’est pas en direct 1:1», poursuit Béatrice Grimm, pour qui l ‘égalité n’est pas établie avec les entendants.

Problème supplémentaire: certains urgentistes ne connaissent pas le relais proposé: ils raccrochent au nez de l’interlocuteur de Procom sans comprendre qu’il relaie une personne sourde.

L’histoire de Danièle

Cette semaine, «Le Journal du Jura» a raconté l’histoire de Danièle, une grand-maman sourde qui après avoir heurté le coin d’un îlot, n’a pas pu joindre le service de dépannage du TCS.

Après avoir tenté en vain de joindre ses proches par SMS, Danièle a poursuivi sa route avec un pneu crevé qu’elle n’a pas entendu exploser. Arrêtée par une patrouille de police, cette retraitée s’est vue infliger une amende et un retrait de permis.

Milieu de la nuit

Il y a aussi le récit de Walter, octogénaire souffrant de douleurs au bas-ventre, contraint de se traîner chez une voisine et de la réveiller au milieu de la nuit pour lui demander d’appeler une ambulance.

La surdité s’accompagne souvent d’un trouble de l’élocution, si bien qu’en France ou en Belgique, pompiers, policiers et ambulanciers sont atteignables via un numéro d’appel unique à trois chiffres. Numéro accessible par texto, visiophonie, tchat ou fax.

Pourquoi pas un 144 accessible par SMS? «Afin de mettre en pratique un système commun, il faudrait une solution applicable sur l’ensemble du territoire. Mais en Suisse, les antennes du 144 dépendent d’une organisation cantonale», a expliqué au «JdJ» la Fédération suisse des sourds (FSS).

À trois chiffres

À Bienne, le député Mohamed Hamdaoui (PDC) demande une reconnaissance officielle de la langue des signes dans l’administration bernoise, comme à Genève et à Zurich.

Mohamed Hamdaoui exige en particulier un accès «adapté au système judiciaire, à l’administration et aux services publics aux personnes communiquant par le langage des signes».

Béatrice Grimm l’applaudit, mais le gouvernement l’éconduit: le Conseil-exécutif considère «disproportionné d’adopter un acte législatif fondé sur une seule forme spécifique de handicap».

En cas de besoin

«En cas de besoin, par exemple pour un entretien dans un office, au tribunal ou à l’hôpital, il est possible de faire appel à des interprètes en langue des signes via Procom», estime l’Exécutif cantonal.

«Face à ce juridisme froid, je ne lâcherai rien! Le handicap d’un sourd est invisible et cette minorité ne fait pas de bruit», prévient Mohamed Hamdaoui, sachant que sa motion sera débattue dans trois mois.

Sur les lèvres

Pour renouveler son passeport ou discuter de ses impôts, Béatrice Grimm continuera de demander au fonctionnaire de la regarder: «Au guichet, je lis sur les lèvres», dit-elle. Une attention qui n’est jamais accordée très longtemps: le fonctionnaire retourne vite à son clavier…

Jeudi, une journée de sensibilisation sera organisée au Palais fédéral par plusieurs associations de défense des sourds. La Suisse compte 10 000 personnes sourdes et 800 000 à un million de personnes malentendantes.

Vincent Donzé

La politique du handicap de la Ville se concrétise

(Ville de Lausanne / Le Journal)

Des actions ont été entreprises depuis ce printemps et la Ville souhaite favoriser et propager davantage une culture de l’accessibilité universelle au sein de, son administration. Rencontre avec David Rodriguez, coordinateur de cette politique depuis le 4 mars 2019.


David Rodriguez, coordinateur en matière d’accessibilité universelle.

 

Moins d’une année après votre prise de fonction, quel bilan pouvez-vous d’ores et déjà tirer?

David Rodriguez: Cette année a été riche avec la prise de ce poste de coordinateur en matière d’accessibilité universelle à 40%, la découverte du fonctionnement de l’administration communale et la rencontre de nombreuses organisations actives dans le milieu du handicap.

Un groupe de travail sur l’accessibilité composé d’un.e référent.e par Direction a été créé. Son objectif est de centraliser les informations et accompagner les projets avec une dimension d’accessibilité. Une sensibilisation à l’accueil de personnes-avec un handicap visuel a été dispensée aux collaboratrices et collaborateurs des bibliothèques communales. Ceci nous permet de renforcer nos compétences à l’interne et permet de sonder le terrain sur les besoins du public-cible. Afin de.faciliter la lecture pour ce public, un télé-agrandisseur a été mis à disposition pour leurs lectrices et lecteurs. Une des avancées majeures a été la parution d’un nouveau point dans les préavis et rapports-préavis de la Municipalité qui prévoient dès à présent l’évaluation des projets de la Ville sous l’angle de l’accessibilité. De plus, un guide d’auto-évaluation de l’accessibilité accompagne ce nouveau point pour aider les rédactrices et rédacteurs de politiques publiques dans cette nouvelle évaluation.

Quels sont les projets que vous souhaitez implémenter à court,moyen et long terme?

À court terme, nous allons créer une commission handicap avec le concours des organisations régionales. Cette commission sera le lieu de rencontre privilégié entre les organisations et la Ville, afin de renforcer les collaborations existantes et créer de nouvelles synergies.

Puis, nous prévoyons de mettre sur pied une nouvelle formation pour toutes les employée de l’administration autour’ des principaux axes d’accessibilité, à savoir l’accueil de personnes en situation de handicap dans l’administration et la confection de documents accessibles.

A long terme, la Ville disposera des ressources lui permettant d’inclure systématiquement les besoins des personnes en situation de handicap dans ses projets, en collaboration avec les organisations.
Propos recueillis par WK

Lien: http://www.lausanne.ch/accessibilite

Les oubliés des urgences

(Journal du Jura)

Les numéros des secours ne peuvent être utilisés que par téléphone. Impossible pour les personnes sourdes ou malentendantes de les contacter. Une situation terrible et contraire à la loi.


Victime ou témoin d’un accident, impossible pour une personne souffrant d’un déficit auditif ou de difficultés à s’exprimer de prévenir directement les secours, que ce soit la police, les pompiers les urgences sanitaires. Cette situation représente un manquement grave aux obligations prévues par la loi. Matthias Käser / Archives

 

PAR NICOLE HAGER

Danièle, alerte grand-maman,roule en pleine nuit quand, soudainement,elle heurte le coin d’un îlot et constate que la conduite de sa voiture n’est plus aussi aisée. Mais comment joindre le TCS? Elle est sourde et le service de dépannage ne peut être atteint que sur appel téléphonique. Elle tente de contacter des proches par SMS, mais personne ne lit ses messages en pleine nuit. Craignant pour sa sécurité si elle s’arrête au milieu de nulle part, Danièle n’a dès lors pas d’autre choix que de poursuivre sa route. Une patrouille de police mettra un terme à son escapade. Un de ses pneus avant a explosé. Danièle n’a évidemment rien entendu. Elle est emmenée au poste de police, avant qu’un agent ne la raccompagne à la maison. L’aventure se terminera avec une amende pour conduite avec un véhicule endommagé doublée d’un retrait de permis.

Angoisse et douleurs

Walter, octogénaire vivant seul après le décès de son épouse,constate que ses douleurs au bas-ventre se sont intensifiées pendant la nuit. N’en tenant plus, il aimerait contacter les urgences, mais impossible, il est malentendant et le seul moyen pour joindre le 144 passe par le téléphone. Il tente tout de même de prévenir des proches, via WhattsApp, en leur demandant instamment d’appeler une ambulance. Mais, au milieu de la nuit, personne ne réagit. Après plusieurs heures de douleurs et d’angoisse, Walter n’a pas d’autres solutions que de se traîner comme il peut jusque chez une voisine pour la réveiller et lui demander d’appeler une ambulance.

Inégalités illégales

Tristement réels, ces deux casont été vécus par deux retraités de la région.

Le cantonalisme fait obstacle à une solution à l’échelle du pays.
SANDRINE BURGER PORTE-PAROLE DE LA FÉDÉRATION SUISSE DES SOURDS

Comme de nombreuses personnes sourdes, malentendantes ou atteintes d’un trouble de l’élocution, il a fallu qu’un événement malheureux survienne dans leur vie pour qu’elles et leurs proches se rendent compte de la situation choquante dans laquelle leur handicap les accule. En cas de détresse, elles n’ont aucun moyen de joindre directement les numéros d’urgence. Pourtant, selon les dispositions légales, les personnes sourdes et malentendantes doivent avoir accès, comme tout citoyen, à ces services.Dans le domaine des droits des personnes handicapées,la Suisse est législativement à la pointe. Elle a signé la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées et possède également une Constitution interdisant toute discrimination. Néanmoins, en matière d’accès aux urgences, l’inégalité de traitement est flagrante.Des exemples à suivre La France ou encore la Belgique, pour ne reprendre que deux exemples parmi des pays proches, ont mis en place des dispositifs pour répondre à une obligation de la loi qui impose aux services d’urgence d’être accessibles à tous ,même aux personnes qui ne peuvent faire appel à eux parla voie classique de l’appel téléphonique.

Depuis plusieurs années, chez nos voisins, il est possible de solliciter l’intervention des pompiers, de la police et d’une ambulance via un seul numéro d’appel d’urgences à trois chiffres, réservé aux sourds et mal-entendants. Ce numéro est ac-cessible par SMS, visiophonie,tchat ou fax, les moyens de communication habituels des personnes présentant un déficit auditif ou des difficultés d’élocution. En Suisse, rien de tel au niveau des numéros officiels. Pourtant, le système ne doit pas être sorcier à appliquer puisque la Rega, la garde suisse de sauvetage, a mis en place une telle solution. Elle peut être alertée par SMS. Pourquoi n’est-il pas possible d’adapter un tel procédé au 144? «Afin de mettre en pratique un système commun, il faudrait une solution applicable sur l’ensemble du territoire. Mais en Suisse, les antennes du 144 dépendent d’une organisation cantonale, et ce cantonalisme fait obstacle à une coordination des services d’urgence sur un plan national», déplore Sandrine Burger, la porte-parole de la Fédération suisse des sourds (FSS).

Secours pas garantis

La Suisse compte 10 000 personnes sourdes et 800 000 à un million de personnes malentendantes. Ce nombre va croissant avec le vieillissement de la population et le nombre de plus en plus conséquent de jeunes faisant un usage fréquent et intensif d’écoute de musique à des niveaux sonores trop élevés, selon l’Organisation mondiale de la santé(OMS). A toutes ces personnes,l’efficacité des secours n’est actuellement pas garantie.

Une solution existe, mais elle n’est pas satisfaisante

En Suisse, il existe bien un dispositif qui permet aux personnes sourdes et malentendantes de joindre les secours, mais il passe par un service de relais. En fonction24h sur 24, Procom assure la communication entre personnes souffrant de déficiences auditives et entendantes. Quand une personne sourde ou malentendante souhaite passer un appel, elle envoie à Procom un SMS ou un message par téléscrit, un téléphone spécial muni d’un clavier alphabétique et d’un écran intégré. L’employé du relais compose le numéro de téléphone du destinataire du message. Aussitôt que la liaison est établie, le dialogue direct est possible. Une communication presque classique peut se dérouler. Le malentendant écrit un message sur son clavier de téléscrit ou un SMS sur son natel que l’employé du relais lit simultanément à haute voix à l’intention de l’interlocuteur entendant. Dans l’autre sens, la personne entendante transmet verbalement son message au téléphoniste qui le dactylographie sur le téléscrit ou un téléphone mobile à l’intention de l’interlocuteur sourd. La Fédération suisse des sourds (FSS) n’est pas satisfaite de ce système. «Passer par un relais augmente le temps de réaction. Et en plus, les principaux intéressés ne connaissent pas forcément Procom, loin de là», remarque Sandrine Burger, porte-parole de la FSS. Le fils de Danièle confirme. Il a découvert cette option après les déconvenues de sa maman en voiture (lire ci-dessus). Quant à Walter, quand il a tenté d’actionner cette opportunité, dans la panique, il s’est trompé de numéro. C’est que, sur son site, Procom affiche des numéros différenciés à dix chiffres, selon le type de demande à formuler. «Il est certain qu’en situation de détresse, nos réactions ne sont pas toujours les bonnes. Les erreurs de manipulation ou les confusions ne sont pas rares», observe Sandrine Burger. D’où l’importance de résoudre ce problème de communication entre personnes sourdes, malentendantes ou sujettes à des problèmes d’élocution avec les services d’urgence. La FSS a pris le sujet en main et réfléchit à une solution acceptable en collaboration avec l’Office fédéral de la communication (OFCOM) – les numéros à trois chiffres relevant de la Confédération – afin que les obligations légales auxquelles sont tenues les autorités suisses soient enfin appliquées. NH