(Le Temps)
Inclusion Handicap avait déposé un recours contre l’autorisation d’exploitation temporaire du train duplex des CFF. L’arrêt rendu par le Tribunal administratif fédéral remet toutefois en cause l’égalité pour des personnes en situation de handicap, écrit Pascale Bruderer, conseillère aux États et présidente d’Inclusion Handicap.
Impossibilité pour les passagers et passagères en fauteuil roulant de monter dans le train et d’en sortir par leurs propres moyens ou d’actionner les touches d’ouverture des portes placées trop haut, impossibilité pour les personnes aveugles de repérer la porte sans aide, ou pour les voyageurs malentendants, ne pouvant compter sur les annonces acoustiques, de lire les infos aux passagers en raison de l’effet d’éblouissement des moniteurs: force est de constater que l’utilisation autonome du nouveau train duplex des CFF n’est pas assurée pour bon nombre de personnes en situation de handicap. Or, la loi sur l’égalité des personnes handicapées (LHand) exige justement cette autonomie.
C’est pourquoi Inclusion Handicap avait déposé, début 2018, un recours contre l’autorisation d’exploitation temporaire du train duplex. L’arrêt profondément décevant qui vient d’être rendu par le Tribunal administratif fédéral (TAF) remet toutefois en cause des avancées précédemment obtenues dans le domaine de l’égalité des personnes en situation de handicap. Il ne laisse pas d’autre choix à Inclusion Handicap qu’un recours devant le Tribunal fédéral.
Mobilité autonome des handicapés
L’enjeu ne porte en l’occurrence pas uniquement sur le train en question. Il s’agit bien davantage de garantir, de façon plus générale, la mobilité autonome des personnes handicapées. Une des clés essentielles pour une vie indépendante et responsable réside en effet dans la mobilité. On attend des personnes handicapées qu’elles prennent leurs responsabilités en s’intégrant notamment dans le monde du travail; or en même temps, on les empêche de se rendre sur leur lieu de travail de façon indépendante. Cela n’a aucun sens, ni du point de vue social ni du point de vue économique.
L’arrêt du TAF remet même en cause des acquis précédemment obtenus, autre raison pour laquelle il est absolument incompréhensible
L’arrêt du TAF est diamétralement opposé aux développements politiques et sociaux qui s’opèrent à d’autres niveaux. La Convention relative aux droits des personnes handicapées exige la mise en place d’une société inclusive basée sur la participation égalitaire des personnes handicapées ainsi que sur la mise en valeur de leur potentiel. En ratifiant la Convention, la Suisse s’est engagée à éliminer les obstacles et à promouvoir l’autonomie. La Convention déploie des effets tangibles à divers échelons politiques: en mai dernier, le Conseil fédéral a adopté un rapport sur la politique du handicap qui ouvre la voie à la promotion de l’autonomie des personnes handicapées; d’autre part, le projet de développement continu de l’AI met à juste titre l’accent sur l’intégration professionnelle dans le marché du travail. Ces acquis tout à fait remarquables présupposent en toute logique une mobilité autonome et, par conséquent, un réseau de transports publics librement accessible.
Dans ce contexte, la LHand exige elle aussi – dès 2023 – des transports publics utilisables en toute autonomie par les personnes en situation de handicap. Or, à quoi sert un cadre juridique progressiste si ses exigences ne sont pas respectées? Si des fonds publics qui se chiffrent en milliards sont investis de sorte que la loi devienne lettre morte? Le nouveau train des CFF restera en service pendant près de quarante ans. L’arrêt du TAF remet même en cause des acquis précédemment obtenus, autre raison pour laquelle il est absolument incompréhensible.
Recours au Tribunal fédéral
L’attente des personnes concernées a assez duré. En témoignent les réactions face à l’arrêt du TAF. L’incompréhension est grande et elle se manifeste même largement au-delà des milieux des organisations de personnes handicapées. Elle résulte entre autres du fait qu’il existe suffisamment d’exemples de trains qui offrent des conditions de libre accessibilité. Pourquoi des défauts à ce point inacceptables concernent-ils précisément un projet d’avenir de cette envergure? Un projet qui constitue la plus importante acquisition jamais réalisée dans l’histoire des CFF? Si l’indignation est aussi vive, c’est aussi parce qu’il s’agit en l’occurrence d’une dépense de 1,9 milliard de francs – et que le contribuable exige avec raison qu’il en soit fait un usage judicieux et conforme à la loi. Le but d’Inclusion Handicap est de servir la cause, pas de se profiler ou d’obtenir des retards. Nous avons donc renoncé à viser un effet suspensif. C’est en revanche avec conviction que nous avons porté l’arrêt lui-même devant le Tribunal fédéral. Nous espérons à présent que l’instance suprême y apportera le correctif nécessaire – dans l’intérêt des personnes handicapées et conformément au cadre juridique en vigueur.
Pascale Bruderer est présidente d’Inclusion Handicap et conseillère aux États.