Des centimètres qui coûtent cher

(La Liberté)

Les communes veulent être indemnisées après un changement de normes pour les arrêts de bus

Magalie Goumaz


Des arrêts doivent être rehaussés pour permettre aux personnes à mobilité réduite d’emprunter plus facilement les transports publics. Charly Rappo

 

Mobilité Le canton de Fribourg parviendra-t-il à adapter dans les temps ses arrêts de bus pour les rendre conformes à la loi fédérale sur l’égalité pour les handicapés, c’est-à-dire permettre aux personnes à mobilité réduite de monter sans difficulté et de manière autonome dans un véhicule? Pas certain. Car l’heure est plutôt aux règlements de comptes en lien avec un changement de directives en cours de route, qui demande de prévoir quelques centimètres de hauteur de bordure des quais en plus.

Les collectivités publiques avaient vingt ans, soit jusqu’à fin 2023, pour se mettre en conformité avec la LHand. Mais à Fribourg, des travaux doivent être refaits en raison de cette nouvelle norme, annoncée fin 2020. Et il a fallu revoir toute la planification. Plusieurs communes viennent ainsi d’adresser à l’État de Fribourg une demande d’indemnisation pour ce qui avait déjà été entrepris avant cette date. Une démarche que confirme la Direction du développement territorial, des infrastructures, de la mobilité et de l’environnement (DIME). «Ces demandes d’indemnisation font l’objet d’une procédure en cours et sont examinées par la DIME, qui s’est réservé la possibilité de se retourner contre les Transports publics fribourgeois, à l’origine des surcoûts», explique son porte- parole, Guido Balmer.

Reste que les TPF contestent le bien-fondé de ces prétentions, font-ils savoir. Ils ne sont pourtant pas étrangers à ce changement de directives. Au moment d’entreprendre la mise en conformité des quais, l’entreprise de transports estimait en effet qu’une hauteur de 16 centimètres suffisait car 75% de sa flotte pouvait se pencher suffisamment pour garantir la conformité au droit fédéral, et que ce taux augmenterait encore avec l’acquisition de nouveaux bus. Sauf que ce n’est pas le cas de la nouvelle génération d’engins. S’y ajoute un arrêt du Tribunal cantonal qui a donné raison à l’association Inclusion Handicap, laquelle contestait la hauteur de quai de 16 centimètres à l’arrêt Briegli, sur la commune de Guin, et réclamait des quais d’une hauteur de 22 centimètres.

Communes au front

Depuis une année, Etat et communes revoient ainsi leur copie. Directrice de l’Association des communes fribourgeoises (ACF), Micheline Guerry-Berchier suit évidemment ce dossier de près. Elle estime également qu’il faut trouver une solution pour indemniser les collectivités publiques. «Sinon, les bons élèves, ceux qui ont anticipé des travaux, seraient punis», déclare-t-elle. Selon elle, parmi les 40 arrêts de bus concernés par un rehaussement de 16 à 22 centimètres, il y aurait 17 cas problématiques qui ont fait l’objet d’une analyse par la DIME. Voire davantage.

La ville de Fribourg, par exemple, doit assainir 87 arrêts sur les 124 situés sur ses routes communales. En raison de la nouvelle directive, 25 arrêts qui avaient déjà été mis en conformité devront être refaits, pour un montant qu’une première estimation situe à environ à un million de francs. «Nous nous sommes ainsi ralliés aux démarches entreprises à ce sujet par l’ACE et par l’agglomération», indique Pierre-Olivier Nobs, conseiller communal chargé de la mobilité. «Mais l’an dernier, nous avons aussi dû revoir complètement notre planification alors que nous étions déjà bien avancés. Avec l’ancienne directive, 40% environ de nos arrêts étaient déjà conformes à la LHand. Ce n’est plus le cas», résume-t-il.


«Nous avons dû revoir notre planification complètement» Pierre-Olivier Nobs

 

Intégrée au réseau Mobul, Bulle fait également partie des communes qui ont réagi. «Lorsque nous devions faire des travaux à certains endroits, comme le long de la route de Riaz ou encore près du Jardin anglais, nous en avons profité pour rehausser les arrêts à 16 centimètres, conformément à la directive en vigueur à l’époque. Aujourd’hui, nous devons tout refaire», explique la conseillère communale Marie- France Roth-Pasquier, qui estime le montant des travaux entrepris à l’époque à près de 700 000 francs.

Syndic de Villars-sur-Glâne, Bruno Marmier confirme que sa commune demande une indemnisation d’environ 200 000 francs, soit la différence pour des travaux qui doivent être faits en deux fois plutôt qu’une. «Cinq ou six arrêts sont concernés sur notre territoire. Mais nous estimons qu’il s’agit d’une question de principe. Il y avait une directive, elle a été modifiée et celui qui en est responsable doit assumer», estime-t-il. L’Etat de Fribourg est également concerné pour les arrêts se situant sur des routes cantonales. «Aucun arrêt de bus sur route cantonale construit à 16 cm n’a été rehaussé pour l’instant. Et jusqu’à présent, aucun calcul n’a été effectué car les coûts seront différents de cas en cas, en fonction de la solution choisie», indique Guido Balmer.


Des travaux sont en cours, le reste suivra

Pour chaque arrêt, le coût varie en fonction de l’importance des travaux à entreprendre.

En 2018, l’État de Fribourg a demandé et obtenu un crédit de 21.2 millions pour effectuer les travaux sur 334 arrêts se situant au bord d’une route cantonale. Porte-parole de la Direction du développement territorial, des infrastructures, de la mobilité et de l’environnement, Guido Balmer annonce que depuis, 60 arrêts ont été mis aux normes. Des travaux sont en cours pour 149 arrêts, et le reste suivra. Mais les communes doivent aussi délier les cordons de la bourse pour les infrastructures se situant sur une route communale

Dans la capitale. 87 arrêts sur 124 inventoriés sont concernés. Il en coûtera 3,5 millions de francs. «Après le changement de directive, nous avons pu finaliser l’an dernier un inventaire précis des travaux à entreprendre sur l’ensemble de notre réseau», explique le conseiller communal Pierre-Olivier Nobs, chargé du dicastère de la mobilité. En décembre dernier, le Conseil général a ainsi accepté un crédit de 1,75 million de francs. Ln montant similaire lui sera soumis pour l’an prochain. «Se mettre en conformité est une préoccupation de la ville de Fribourg depuis longtemps, car nous voulons offrir le meilleur des services possible aux personnes concernées», poursuit le conseiller communal.

Même exercice en décembre dernier à Villars- sur- Glâne, qui a également fixé des priorités pour les 26 quais concernés se situant sur son territoire. Un montant de 1,6 million de francs permettra de lancer les travaux là où la part de passagers à mobilité réduite est non négligeable, comme à l’hôpital cantonal, devant l’EMS des Martinets ou encore devant le Foyer des Préalpes. A noter que les Transports publics fribourgeois prennent à leur charge 10% des montants engagés par les communes.

Pour chaque arrêt, le montant peut varier en fonction de l’importance des travaux à entreprendre. En 2004, le coût moyen par arrêt était estimé à 45 000 francs. MAG

Des personnes paralysées parviennent à remarcher grâce à une technique révolutionnaire

(Franceinfo)

En Suisse, trois patients en situation de handicap, qui étaient condamnés à ne plus jamais marcher, ont réussi à se remettre debout. Cet exploit scientifique a été possible grâce à des électrodes implantés sur leur colonne vertébrale.

C’est un pas de plus inespéré. Victime d’un accident de moto cinq ans plus tôt, Michel Roccati est devenu paraplégique. Mais l’espoir renaît avec une technologie révolutionnaire développée en Suisse. « Après l’intervention, je me suis adapté, et j’ai commencé à stimuler ma jambe gauche et droite. C’est un nouveau départ », confie le patient, qui a reçu un implant envoyant des stimulations électriques dans la moelle épinière.

Contrôler les muscles des jambes et du tronc

Cette technique est inédite, et permet notamment « d’accéder à toutes les régions de la moelle épinière qui vont contrôler les muscles des jambes, mais aussi du tronc », explique Grégoire Courtine, neuroscientifique à l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL). La prouesse médicale a permis à deux autres patients paraplégiques de marcher de nouveau dans la rue, en dehors des laboratoires. Désormais, l’équipe médicale espère « en faire un traitement », affirme Jocelyne Bloch, neurochirurgienne au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), à Lausanne. Le but serait ainsi de « ne pas faire uniquement de la recherche », mais de rendre cette technique « normale ».

«Bientôt des paraplégiques pourront remarcher sans aide extérieure»

(Le Temps)

NEUROSCIENCES Des équipes du CHUV et de l’EPFL sont parvenues à faire remarcher des patients atteints de lésions complètes de la moelle épinière grâce à des stimulations électriques, y compris en dehors du laboratoire

Par Sylvie Logean

C’est une nouvelle victoire d’étape pour les équipes de Grégoire Courtine, neuroscientifique à l’EPFL, et Jocelyne Bloch, neurochirurgienne au CHUV. Grâce au développement d’implants optimisés pour stimuler la région de la moelle épinière qui contrôle les muscles du tronc et des jambes, trois patients ayant souffert d’une lésion complète de la moelle épinière ont été capables de marcher en dehors du laboratoire. Ces résultats ont fait l’objet d’une publication dans la revue Nature Medicine, ce lundi. Les explications de Jocelyne Bloch:

On se souvient encore de ces images, en 2018, d’un paraplégique quittant sa chaise roulante pour se mettre à marcher à l’aide d’un déambulateur. Votre concept de réactivation de la moelle épinière à l’aide de stimulations électriques faisait alors ses premières preuves. Qu’est-ce qui a changé, trois ans plus tard?

L’un des grands changements concerne les patients inclus dans notre étude. Ces derniers ne sont en effet plus atteints de lésions partielles de la moelle épinière, mais complètes, ce qui signifie qu’ils ne peuvent absolument pas bouger leurs membres inférieurs. La technologie a également évolué. Il y a trois ans, nous utilisions un dispositif essentiellement conçu pour traiter les douleurs chroniques, désormais nous nous dirigeons vers des dispositifs dédiés aux personnes paraplégiques. Ces nouveaux implants ont rapidement fait leurs preuves: quelques jours après leur insertion, les patients pouvaient déjà commencer à se lever et remarcher.

Qu’apportent concrètement ces implants conçus par l’entreprise ONWARD Medical, dont vous êtes la cofondatrice avec Grégoire Courtine?

Pour marcher, on active différents groupes musculaires bien spécifiques, que l’on peut facilement trouver avec ces nouvelles électrodes, en les dis- posant de telle sorte qu’ils correspondent précisément aux racines nerveuses de la moelle épinière et afin qu’ils nous permettent d’accéder aux neurones contrôlant les muscles. Cette spécificité fait que l’on arrive mieux à mimer la véritable activité de la moelle épinière lorsque l’on marche. Par ailleurs, il nous est également possible d’activer les muscles du tronc – qui sont parfois atteints chez les personnes paraplégiques -, ce qui est important pour la réalisation de mouvements de tous les jours.

Dans votre technologie, vous faites également appel à l’intelligence artificielle, en quoi est-ce utile pour les patients?

Nous utilisions déjà l’intelligence artificielle en 2018, mais les nouveaux logiciels que nous avons développés permettent de générer des stimulations bien spécifiques pour des activités différentes. Ainsi le programme ne sera pas le même si le patient est debout ou s’il souhaite marcher, nager ou faire du vélo. Le thérapeute peut choisir le programme voulu en fonction de l’activité. Cela signifie que pour l’heure nous avons toujours besoin d’un dispositif externe mais il est fort probable que, bientôt, les patients puissent eux-mêmes décider, avec leur cerveau, de l’activité qu’ils souhaitent entreprendre et cela sans aucune intervention extérieure. Nous n’en sommes pas encore tout à fait là, mais nous sommes déjà parvenus à faire une preuve de concept.

Tous les patients paraplégiques pourront-ils en profiter?

Oui. L’important, c’est que les derniers centimètres de la moelle épinière soient intacts, car c’est là que l’on place les électrodes. Tous les patients pourront bénéficier de cette technologie dès qu’elle sera produite sur un plan commercial, or actuellement nous en sommes encore au stade de la recherche.

Lire également l’article du 09.02.2022 (+vidéo)

La communication pour tous (FR)

(La Liberté)

Des tableaux pictogrammes devraient voir le jour cette année dans divers lieux publics du canton


Stéphane Jullien, logopédiste, expose l’un de ces tableaux développés par l’équipe de logopédistes du Home-Ecole romand de la Fondation des Buissonnets.Alain Wicht

 

Stéphanie Scroeter

Fribourg C’est un tableau magique! Même s’il n’a l’air de rien, comme ça, avec ses dessins a priori enfantins. Installé depuis quelques mois dans la cour du Home-Ecole romand (HER) de la Fondation des Buissonnets, à Fribourg, ce tableau de pictogrammes permet pourtant de communiquer. Ses images représentant une balançoire, un toboggan ou encore une balle servent à celles et ceux qui l’utilisent en les pointant de s’exprimer et d’échanger. Dans le langage technique, cela s’appelle la Communication alternative et améliorée (CAA, lire ci-après).

Ainsi, le petit Louis qui ne peut pas parler saura, en choisissant l’image idoine, expliquer à un camarade ou à un adulte qu’il a envie de jouer, qu’il est fatigué ou qu’il a soif, notamment. Le vocabulaire spécifique qui y figure est choisi en fonction du contexte auquel il s’applique. Mais pas seulement. Un vocabulaire de base, qui fonctionne dans toutes les situations, comme le besoin d’aide, les sentiments de colère ou de tristesse, en fait partie. «Il existe trois panneaux similaires dans la cour du HER», résume Stéphane Jullien, logopédiste au HER, qui a proposé ces tableaux lesquels ont été développés par l’équipe des logopédistes du HER.

Handicap répandu

De tels panneaux de pictogrammes devraient faire des petits prochainement dans certains lieux publics et communes du canton de Fribourg. Ils s’adressent aux personnes dites «non verbales», en situation de handicap de la communication, enfants ou adultes, qui présentent des déficiences diverses comme une déficience intellectuelle, un trouble du spectre de l’autisme, une trisomie 21, un trouble du développement du langage ou un trouble neurologique acquis. Ils peuvent également être employés par les personnes allophones. «Le handicap de la communication affecte une proportion significative de la population», note le logopédiste.

«Ce handicap affecte une proportion significative de la population»
Stéphane Jullien

Objectif premier: améliorer l’inclusion, la participation sociale et l’autodétermination des personnes en situation de handicap de la communication. Le concept a, en effet, reçu le feu vert et le soutien financier du Service de la prévoyance sociale de la Direction de la santé et des affaires sociales. Divers organismes comme Pro Infirmis Fribourg ou encore le Service de l’enseignement spécialisé et des mesures d’aide (SESAM) du canton de Fribourg soutiennent également ce projet.

Ces panneaux devraient être installés dans les lieux publics, comme des places de jeux, des lieux culturels, à l’instar de musées ou bibliothèques, et des infrastructures sportives, qui feraient part de leur intérêt auprès de la Commission romande d’ISAAC Francophone que Stéphane Jullien a constituée et dont il est chargé. Une mission que le logopédiste remplira cette année en prenant contact avec ces éventuels partenaires.

Les installations de ces panneaux s’accompagneront de formations quant à leur utilisation et d’une sensibilisation de la société civile à propos de la CAA par le biais de codes QR permettant d’accéder à davantage d’informations. Des formations pourront en outre être proposées aux personnes chargées des lieux publics. Chaque panneau sera ainsi réalisé avec le vocabulaire correspondant à l’activité du lieu, afin que les tableaux soient fonctionnels pour les utilisateurs. «Dans les lieux culturels, ces tableaux permettent au personnel responsable de l’accueil de se faire comprendre auprès de ces personnes, enfants et adultes, en rendant les informations qui leur sont données accessibles à leur compréhension. Les utilisateurs de tels outils sont donc les personnes en situation de handicap de la communication et leurs partenaires de communication», tient à préciser Stéphane Jullien.

Déjà à l’étranger

Une démarche qui n’est pas nouvelle puisque le concept est déjà utilisé depuis plusieurs années à l’étranger, dans des pays anglophones. La création des tableaux, leur impression et leur installation sont financées par le soutien du Service de la prévoyance sociale du canton de Fribourg qui a accordé un montant de 10 000 francs. «Le coût de l’installation des panneaux varie en fonction du type de tableau, sur pied en extérieur ou accroché sur un mur à l’intérieur», indique Stéphane Jullien.

Le nombre de tableaux évoluera en fonction des différentes situations. L’aide des communes, pour l’installation, et le soutien des lieux publics intéressés par le projet pourraient aider à réaliser davantage de tableaux. «Des aides supplémentaires seront recherchées et sont les bienvenues.» Les tableaux, une dizaine en fonction des besoins et demandes, devraient être élaborés et installés durant cette année.


Stephen Hawking, un précurseur

La communication alternative et améliorée (CAA) est la traduction du terme américain AAC (Alternative and Augmentative Communication). Elle concerne tous les moyens humains et les outils permettant à une personne de communiquer malgré ses difficultés. Elle remplace ou améliore le langage oral s’il est absent, déficient ou perdu. La CAA s’est beaucoup développée durant ces dernières décennies. Il existe diverses sortes de communications alternatives et améliorées. Celles qui ne nécessitent pas de matériel mais font appel au corps (mimiques, etc.). Il y a aussi les pictogrammes et les assistances techniques.

Astrophysicien décédé en 2018, Stephen Hawking a été un précurseur en la matière et utilisait un appareil de communication lors de ses interventions. L’association ISAAC (International Society for Augmentative and Alternative Communication) a été créée en 1983 et vise à améliorer la qualité de vie de toute personne momentanément ou définitivement privée de parole. ISAAC francophone est rattaché à ISAAC international et regroupe la Belgique, la France et la Suisse. La commission romande d’ISAAC, basée à Fribourg et composée de 13 membres des différents cantons romands, vient d’être créée. SSC

Vincent Guyon, premier malentendant de Suisse à siéger dans un exécutif

(Le Temps)

Le Vaudois de 49 ans a été élu en 2020 dans la petite commune de Rances. Une avancée de taille pour la communauté sourde, encore marginalisée à différents niveaux de la société.


Diagnostiqué sourd dans sa tendre enfance, Vincent Guyon ambitionne de repousser, à travers son mandat communal, les ultimes limites de son handicap. — © Valentin Flauraud pour Le Temps

 

par Sylvia Revello

Depuis un an, le petit village de Rances, dans le Nord vaudois, compte une particularité: un élu à l’écoute, qui ne fait pas de grandes promesses mais lit sur les lèvres les besoins de ses administrés. A 49 ans, Vincent Guyon est le premier sourd de Suisse à intégrer un exécutif. Un défi aux allures d’évidence pour cet amoureux de la politique qui compte bien repousser, à travers son mandat communal, les ultimes limites de son handicap.

«Je voulais faire comme les autres»

Né en République démocratique du Congo où ses parents, alors missionnaires pour l’Armée du Salut, ont vécu un temps, Vincent Guyon est sourd de naissance. «Enfant, j’étais très turbulent, sourit l’élu, installé dans le carnotset de la municipalité. Un jour, je trottinais sur la chaussée, juché sur un petit cheval en plastique. Ma mère avait beau s’époumoner pour me dire de m’arrêter, je ne répondais pas. C’est là qu’elle a compris qu’il y avait un problème.» Diagnostiqué sourd, le petit garçon perçoit uniquement les bruits très aigus durant les premières années de sa vie. Suite à une chute à son retour en Suisse, sa surdité s’aggrave encore. Il n’entend alors plus rien.

Plutôt que de lui enseigner exclusivement la langue des signes, les parents du jeune Vincent s’évertuent à lui donner une éducation aussi normale que possible. «J’ai fréquenté l’école régulière à Orbe, Valeyres-sous-Rances et Chavornay», raconte-t-il, évoquant les longues heures de logopédie pour apprendre à contrôler sa voix et à prononcer correctement des mots qu’il ne peut pas entendre. «Ma mère aurait préféré me mettre dans une école spécialisée, mais mon père a insisté pour que je me confronte au monde.» Face à ses petits camarades, il tente de gommer ses différences. «J’étais très curieux, volontaire, je voulais faire comme les autres, jouer au foot, faire des études, mais surtout cesser d’être le souffre-douleur de la classe.» Au début de l’adolescence, il intègre une école privée à Lausanne qui, grâce à son encadrement individualisé, lui permet de finir sa scolarité obligatoire sans encombre.

Aujourd’hui, Vincent Guyon s’exprime comme tout un chacun et répond avec aisance aux questions de son interlocuteur, qu’il regarde attentivement pour suivre le mouvement des lèvres. Accent vaudois en prime. Les difficultés commencent lors des discussions de groupe. «Lorsque tout le monde parle en même temps, je n’arrive plus à suivre», confie-t-il. Dans ces moments-là, il a recours à une interprète en langage parlé complété, qui lui permet de suivre le fil du débat. Avec la pandémie et l’usage généralisé du masque, les échanges se sont brusquement compliqués. «Dans les magasins, lorsque j’explique au vendeur que je n’entends pas, certains baissent leur masque, d’autres prennent peur et écrivent sur un petit papier», explique le Vaudois, qui salue au passage l’existence de masques transparents.

«Je me suis dit: pourquoi pas?»

Autre objet de tous les jours qu’il utilise pour communiquer par message et e-mail: son smartphone. «De ce point de vue, la technologie a permis une véritable avancée pour les malentendants», souligne l’élu communal tout en tapotant sur son clavier. Un domaine reste toutefois lacunaire à ses yeux: les services d’urgence tels que les dépannages ou la police. «Il faudrait que les centrales disposent d’une messagerie pour que les sourds puissent appeler à l’aide en cas de besoin.»Au fil de la discussion, le mot «handicap» n’est jamais prononcé. Il faut dire que Vincent Guyon n’a jamais fait de sa surdité une montagne.

Passionné de sport, il pratique d’abord le ski, la gymnastique, le foot, et enfin le basket, son domaine de prédilection. Il devient ainsi joueur, entraîneur puis arbitre, deux postes qu’il occupe toujours dans des équipes d’entendants. «Sur le terrain, je suis dans mon univers, confie-t-il. Un œil sur le chronomètre, j’oublie le quotidien pour me concentrer sur le jeu.» Entre 2017 et 2020, il fut le responsable romand pour le sport suisse des sourds puis secrétaire général de la Fédération sportive des sourds de Suisse, emploi qu’il a aujourd’hui quitté.

Avec le recul, le plus grand obstacle reste selon lui le regard des autres. «Lorsqu’il s’agissait de tâches ne dépendant que de moi, je n’ai jamais eu de problème, détaille l’élu. Avoir une copine ou trouver un travail, en revanche, s’est révélé plus compliqué.» Des obstacles que le Vaudois a toutefois réussi à contourner. Après un apprentissage d’employé de bureau, il travaille dans différentes entreprises et rencontre une jeune Estonienne avec qui il aura un fils. Aujourd’hui séparé, Vincent Guyon conserve la garde partagée.

Comment son activité politique a-t-elle commencé? Installé depuis 1997 à Rances, il aime ce village de 500 habitants «comme une épouse à marier». S’engager en politique pour la commune était pour lui un ultime défi. «Au départ, je n’osais pas me présenter», souligne l’élu indépendant, autrefois tourné vers la gauche et qui a peu à peu évolué vers le centre. C’est en écoutant le témoignage d’un maire français que l’idée germe en lui. «Je me suis dit: pourquoi pas?» En juin 2020, il est candidat aux élections complémentaires de la municipalité. «Sur le chemin de la salle communale, où les résultats étaient affichés, j’ai rencontré un autre candidat qui m’a félicité, raconte-t-il. En découvrant mon nom sur la feuille, le ciel m’est tombé sur la tête.»

En juillet, il entre en fonction avec, à sa charge, un dicastère qui comprend l’éclairage, les routes, les eaux ou encore les pompiers. Et des objectifs multiples: rénover les chaussées datant de 1940, créer de nouvelles places de parking ou encore réparer les canalisations bouchées par des intempéries cet été. Pour suivre les débats, Vincent Guyon dispose d’une interprète. Un soutien financé en partie seulement par l’assurance invalidité. En décembre 2020, le conseil général de Rances a validé un budget «interprète» dans les finances de la municipalité pour l’année 2021. Un soulagement pour le nouvel élu.

Attendu au tournant

D’abord surpris, les autres membres de la municipalité lui réservent finalement un bon accueil. «La collaboration se passe plutôt bien, ils ont remarqué que le travail avec moi était beaucoup plus calme, il y a davantage d’attention, d’écoute, de patience», raconte Vincent Guyon. L’élu sait toutefois qu’il risque d’être attendu au tournant: «Si je ne remplis pas ma mission, on dira que c’est à cause de mon handicap, je veux à tout prix éviter ça.» Réélu en 2021, il nourrit déjà un prochain défi: se présenter aux élections cantonales vaudoises de 2022 sous les couleurs du Centre.

« Qui est mieux placé qu’une personne concernée elle-même par un handicap pour parler inclusion et prendre des mesures dans ce sens? »

Quel peut être l’impact d’un tel engagement pour la communauté sourde de Suisse? Pour Sandrine Burger, porte-parole de la Fédération suisse des sourds, l’élection de Vincent Guyon est une formidable occasion de faire parler de la surdité dans la commune et de sensibiliser la population à ce handicap invisible. «Qui est mieux placé qu’une personne concernée elle-même par un handicap pour parler inclusion et prendre des mesures dans ce sens?» questionne-t-elle.

Si, en théorie, l’intégration des personnes sourdes est inscrite dans la loi, de nombreuses lacunes demeurent, rappelle Sandrine Burger. «Preuve en est le rapport que nous publions depuis 2017 et qui recense chaque année plus de 100 discriminations envers des personnes sourdes.» Des cas qui auraient même tendance à augmenter. Scolarité, vie professionnelle, formation continue ou encore accès à la santé, les domaines concernés restent encore trop nombreux pour la Fédération suisse des sourds. A travers son parcours, Vincent Guyon, lui, espère inspirer la jeune génération: «Pour beaucoup, un sourd est quelqu’un qui ne peut pas aller loin dans la vie, qui restera toujours limité. Je veux prouver que c’est faux.»