La contribution d’assistance doit s’appliquer de façon plus souple

(Inclusion-Handicap)

INITIATIVE PARLEMENTAIRE LOHR 12.409

La Commission sociale du Conseil des États veut que les services d’aide fournis par les proches puissent à l’avenir être rémunérés dans le cadre de la contribution d’assistance de l’AI. Elle a donné suite à une initiative parlementaire du conseiller national Lohr allant dans ce sens. Inclusion Handicap se félicite de cette décision favorable. Les conseillères et conseillers aux États reconnaissent ainsi l’importance de l’autodétermination et du libre choix des personnes handicapées concernées. Cela fait longtemps que la faîtière suisse des organisations de personnes handicapées s’engage pour une flexibilisation de la contribution d’assistance. Les multiples réalités dans lesquelles vivent les personnes concernées sont ainsi mieux prises en compte.

La contribution d’assistance permet aux personnes en situation de handicap ayant régulièrement besoin d’aide d’engager des personnes chargées de les assister dans les actes de la vie quotidienne, dans le ménage ou encore dans l’exercice d’une activité lucrative ou honorifique. Une personne majeure y a droit si elle perçoit une allocation pour impotence et vit chez elle. Le but de la contribution d’assistance est de favoriser l’autodétermination et la responsabilité individuelle.

Obstacles inutiles

Aujourd’hui, il n’est pas possible d’engager des proches directs (parents, enfants, grands-parents et partenaire) comme assistant.e.s. Ce malgré le constat que l’aide fournie par les proches constitue souvent, dans la situation de prise en charge quotidienne, une solution évidente et efficace. Dans certaines situations de vie, cet obstacle restreint inutilement le recours à la contribution d’assistance. De nombreuses personnes concernées ont du mal à trouver des assistant.e.s externes, notamment en vue de leur fournir des services d’aide irréguliers ou durant la nuit. En outre, elles engagent parfois à contrecœur des tierces personnes externes pour des services d’aide touchant à leur intimité (p. ex. pour des soins
corporels).

Meilleure adaptation aux situations réelles des personnes concernées

« Grâce à la décision prise aujourd’hui par la Commission sociale du Conseil des États, l’aménagement de la contribution d’assistance permet de tenir compte des réalités d’un plus grand nombre de personnes handicapées. Vu la multitude des contextes individuels,
l’instrument de la contribution d’assistance doit pouvoir s’adapter aux différentes situations de vie », souligne Maya Graf, coprésidente d’Inclusion Handicap. La mise en œuvre de l’initiative parlementaire rend cela possible, sans rien changer au modèle de l’employeur qui a fait ses preuves. Permettre au plus grand nombre de personnes handicapées d’organiser leur vie de manière autonome reste l’objectif visé. Pour l’atteindre, il faut renforcer la liberté de choix des personnes concernées. L’année prochaine, la Suisse sera examinée par le Comité de l’ONU quant à sa mise en œuvre de la Convention relative aux droits des personnes handicapées (CDPH). L’autonomie de vie est l’une des exigences prioritaires de la CDPH. Un facteur important qui permet de réaliser cet objectif réside dans la flexibilisation de la contribution d’assistance. C’est la raison pour laquelle Inclusion Handicap entend accompagner étroitement les étapes suivantes vers la mise en œuvre concrète de l’initiative parlementaire Lohr.

Renseignements

Maya Graf, conseillère aux États BL et coprésidente d’Inclusion Handicap 079 778 85 71
Julie Tarchini, responsable communication Inclusion Handicap 031 370 08 41, julie.tarchini@inclusion-handicap.ch

Handisport: Philippe Moerch et Daniel Amiguet remportent le titre mondial de voile en classe FS Venture

(Le Nouvelliste)

Champions! Le duo chablaisien s’impose lors des régates disputées à Travemünde sur la mer Baltique.


Daniel Amiguet et Philippe Moerch posent au bord du lac Léman sur lequel ils se sont entraînés avant de conquérir l’or des Mondiaux disputés sur la mer Baltique.
LE NOUVELLISTE SA / SACHA BITTEL

 

Philippe Moerch et Daniel Amiguet se sont offert un joli voyage à Travemünde. Ils y ont conquis le titre mondial de voile handicap dans la classe FC Venture. Les médailles dorées récompensent une préparation méticuleuse avant leur excursion dans le nord de l’Allemagne, où la traditionnelle semaine de régates sur la Baltique avait intégré les Mondiaux dans son programme.
Le duo gagnant s’est retrouvé durant le printemps. Philippe Moerch fonctionne comme partenaire d’entraînement pour Swiss Disabled Sailing. Il gagne régulièrement ses manches. Michel Darbre, président de SDS, lui demande de revenir en compétition. Il craque.

Une première collaboration en 2009

Le citoyen de Collombey se met en quête d’un coéquipier. «Les candidats potentiels ne sont pas nombreux dans un pays de la taille de la Suisse. Je ne peux pas m’engager avec une personne qui possède le même handicap que moi. Il doit avoir une certaine mobilité, être costaud pour travailler avec les voiles et avoir la capacité de donner des informations sur notre environnement en course», confie le skipper, paraplégique.

Daniel Amiguet est mis au courant de cette ambition de retour par une relation commune. Les deux hommes se connaissent bien. Une première collaboration sur l’eau avait réuni les deux hommes au sein d’un équipage à trois personnes en 2009. «Mon engagement professionnel ne m’avait pas permis de poursuivre l’aventure», confie le résident des Diablerets. Son statut de retraité lui offre désormais toute la disponibilité nécessaire.

Une complémentarité décisive

L’entente se conclut rapidement. Elle est cordiale. «Il faut me supporter», avoue Philippe Moerch. «Quand les choses ne vont pas comme je le veux, je m’engueule moi-même. Les mots peuvent être violents. Lui, il adopte plutôt la zen attitude. Nous nous complétons bien.» Le skipper possède également l’expérience d’une discipline pratiquée depuis l’enfance et poursuivie après l’accident fatal pour sa santé.

Adepte d’aile delta, son coéquipier apporte un bagage appréciable dans la maîtrise des courants ou le travail des voiles. «Philippe possède une grande intelligence de course. Tout est compliqué en voile: le départ, le passage des bouées, le choix des trajectoires. Il sait prendre les bonnes options.»

Le patron du bord et son second partagent un esprit de compétition très poussé. Daniel Amiguet l’a développé sur les parquets de basketball ou les courts de tennis qu’il a fréquentés au côté de Gérald Métroz notamment. Philippe Moerch a assouvi ses envies de dépassement sur les lattes durant la saison hivernale «avec des titres de vice-champion parce qu’il y avait toujours Jacques Blanc devant moi».

La convergence des luttes, c’est quoi exactement?

(rts.ch)

Aujourd’hui, celles et ceux qui se battent pour transformer la société sont de plus en plus nombreuses et nombreux. En s’engageant dans ce processus, beaucoup ressentent la nécessité de mener une lutte simultanée sur plusieurs fronts. Elles et ils sont photographe, avocate, travailleur social, chercheuse en écopsychologie ou encore assistante sociale.

Dans la cour du collège de Grand Champ à Gland, un pâturage de la Vallée de Joux ou encore la gare d’Yverdon, la série « Convergences » vous emmène à leur rencontre, dans le lieu où leurs premières envies de militantisme ont vu le jour.

Dans l’épisode 2 de la série Convergences Maud Theler, assistante sociale, 35 ans nous parle de sa lutte.

« Mes envies de combats c’est vraiment dans l’optique que chacun, quelles que soient les difficultés qu’il peut avoir dans sa vie, que ça soit physique, que ça soit au niveau de la précarité, ait le droit d’avoir une place dans la société, que chacun puisse avoir le droit d’exister. » « Assistante sociale 24 heures sur 24 heures », comme disent ses amis, Maud Theler se bat au quotidien contre le validisme – les discriminations envers les personnes en situation de handicap – ainsi que contre la précarité.


Convergences (2/5): Maud Theler, assistante sociale qui lutte contre le validisme et la précarité (vidéo) / Forum / 11 min. / le 3 août 2021


Lien vers la série complète « Convergences » de la RTS

Ecouter et mieux voir, voir et mieux entendre

(reiso.org)


interprete-lsf © Sarah Carp

 

En Suisse, plus de 10% de la population souffre d’un handicap partiel ou total de la vue ou de l’ouïe. Grâce au surtitrage, à l’audiodescription et à l’interprétation en langue des signes, les arts vivants sont à la portée de tou·te·s en Suisse romande.

Par Marie-Odile Cornaz, Association Ecoute Voir, Yverdon-les-Bains

« Je me sens sur un pied d’égalité avec les autres spectateurs et spectatrices. Je comprends enfin ce qui se passe sur scène. Avec mon entourage proche entendant, je peux partager le plaisir d’assister à un événement culturel. » Pour Francine Collet, malentendante, la magie du théâtre opère désormais grâce au surtitrage.

Sur un écran aux abords de la scène, du texte résume les propos des comédien·ne·s. Il est géré par le·la surtitreur·se, qui s’occupe de le faire défiler au bon rythme depuis une extension de la régie. Grâce à cette technique, le public souffrant d’un handicap auditif peut suivre aussi bien les dialogues, les bruits, les mélodies que les mouvements sur scène.

C’est en amont du spectacle qu’un travail important est réalisé pour découper le texte et le retranscrire. Ce dernier peut également être traduit en allemand ou en anglais afin de permettre au public allophone d’assister à la pièce.

Le surtitrage vient compléter l’audiodescription et l’interprétation en langue des signes des pièces de théâtre effectués par l’association Écoute Voir. La première représentation surtitrée a eu lieu en décembre 2019, au Théâtre du Grütli, à Genève, avec la pièce « Les Italiens ». Elle a fait suite à une étude autour du surtitrage pour les malentendant·e·s et les sourd·e·s, effectuée à la demande du Service de la culture de la Ville de Genève. Celui-ci était soucieux de développer une telle mesure d’accessibilité dans les théâtres, alors que cette volonté affichée n’apparaissait pas encore distinctement ailleurs.

Les conclusions de l’étude mettaient en évidence le réel potentiel de développement auprès des personnes en situation de handicap auditif et des aîné·e·s. Cette prestation se déploie dorénavant en Suisse romande, même si elle a été quelque peu retardée par la crise du Covid.

Ecouter pour mieux voir

La première mesure inclusive mise en place par Ecoute Voir était, en 2014, l’audiodescription des spectacles de théâtre. Pour Michèle Poget, malvoyante, ce procédé représente une opportunité fantastique d’accéder à l’art vivant et de comprendre intégralement une pièce : « Depuis cette atteinte à mon acuité visuelle, j’ai toujours continué à assister à des spectacles, mais je devais être accompagnée. Seulement, parfois, mes ami·e·s ne sont pas disponibles ou pas intéressé·e·s. Je me privais donc de certains événements culturels. Quelquefois aussi, je me rendais aux spectacles choisis par mes proches, même si les conditions visuelles étaient pour moi désastreuses et le contexte incompréhensible. Sans audiodescription, je dois vraiment accepter de ne capter qu’une infime partie et de manquer certains rebondissements. »

Pour que Michèle Poget et d’autres personnes malvoyantes ou aveugles parviennent à se rendre au théâtre, l’accompagnement ne se limite pas à l’audiodescription de la pièce. Un accueil est en effet organisé depuis leur domicile ou à proximité des transports publics. Elles ont ensuite la possibilité, avant la représentation, de visiter le plateau. Cette visite offre à l’individu concerné l’opportunité de se représenter l’espace scénique, de découvrir le volume d’un accessoire, sa forme, sa position ou encore de palper la texture d’un costume. Lorsque les comédien·ne·s sont présent·e·s, les spectateur·trice·s en situation de handicap peuvent même se familiariser avec les voix des personnages.

14.01.17. Yverdon. le théâtre de l’ Echandole propose le spectacle « Miss Poppins » avec une audio description pour les personnes mal-voyante.
Ces personnes peuvent découvrir la scène, les décors et les accessoires avant le début de la représentation afin de se familiariser avec les détails qu’elles ne peuvent voir.
©Laurent de Senarclens/ Le Matin-Independant

 

Lors de la représentation, les individus malvoyants et aveugles prennent place aux trois premiers rangs afin de sentir les mouvements des acteurs et actrices. Ils assistent au spectacle avec l’ensemble du public et sont munis d’un casque audio. Ils y entendent la voix d’audiodescripteurs·rices, qui leur décrit en direct, entre les dialogues des comédien·ne·s, les éléments visuels du spectacle.

Tou·te·s les audiodescripteurs·rices mandaté·e·s sont issu·e·s des milieux de la comédie ou du chant lyrique et ont suivi une formation à l’audiodescription de théâtre. Leur tâche exige un travail d’écriture conséquent : une minute de spectacle équivaut à une heure de travail. Durant la représentation, installé·e·s dans un local ou un bureau, ils et elles décrivent à haute voix la pièce en direct, grâce à une caméra placée en salle. En 2020, Ecoute Voir s’est associée avec la Haute Ecole de théâtre de Lausanne, la Manufacture, pour former un audiodescripteur et une audiodescriptrice de danse avec le concours de Séverine Skierski, spécialiste française de cette discipline.


Les audiodescripteurs © Guillaume Mégevand

 

Voir pour mieux entendre

L’interprétation de pièces de théâtre en langue des signes française est le fruit d’une collaboration avec le Projet Sourds&Culture, qui propose cette prestation depuis 2013 au public sourd locuteur de cette langue. Au fil des années, Sourds&Culture et Ecoute Voir se sont rapprochés, pour finalement fusionner en 2020 sous le nom d’association Ecoute Voir. Afin de permettre l’accessibilité au spectacle, un·e interprète (parfois deux) est positionné·e sur scène et traduit simultanément les dialogues des comédien·ne·s. Selon Olivier Trolliet, spectateur sourd, « la compréhension du spectacle est meilleure selon l’emplacement de l’interprète sur la scène. Il est important qu’il ou elle ne soit pas trop loin de l’action si l’on veut pouvoir le·la regarder en même temps que les comédien·ne·s. »


Interprète LSF © Sylvain Chabloz

 

Les interprètes préparent leur traduction sur la base des supports transmis par la compagnie (texte et captation) en collaboration avec des médiateurs·rices sourd·e·s. Ils et elles assistent aux répétitions, collaborent avec les comédien·ne·s et les technicien·ne·s, participent à des répétitions et des filages, afin de s’imprégner de l’atmosphère et des intentions de jeu. Dans le domaine culturel, l’interprétation nécessite une préparation bien spécifique et un partenariat fort avec les organisateurs·rices. L’interprète fait partie intégrante du spectacle.

Un travail à continuer

Pour ces trois actions d’accessibilité, l’association Ecoute Voir collabore avec les personnes en situation de handicap ainsi qu’avec les institutions partenaires. Elle apporte à ces dernières une prestation « clé en main ». Elle assure une grande partie de la recherche de fonds, sensibilise les équipes, s’occupe de la promotion de ces événements, mobilise ses propres ressources humaines et fournit le matériel requis.

L’association tisse des liens entre le monde du handicap et celui de la culture. Elle sensibilise le milieu culturel aux besoins de ce public. Elle agit non seulement dans les grands centres urbains mais aussi dans les parties excentrées et honore ainsi le maillage culturel entre toutes les régions et tailles d’institutions. Grâce à sa démarche, l’association rend possible la découverte de tout un pan de la culture et de la richesse de la programmation des arts scéniques proposés en Suisse romande à celles et ceux qui n’y ont pas facilement accès normalement. Elle permet à ce public particulier de partager les mêmes événements que l’ensemble des spectateur·trice·s présent·e·s dans les salles.

Cette démarche a été récompensée en 2018 par l’attribution du label « Culture Inclusive » de Pro Infirmis. Sensibilisés par cette reconnaissance et les mesures d’Ecoute Voir, plusieurs théâtres de Suisse romande commencent à s’engager plus activement pour promouvoir l’accès à tous les publics, y compris les publics en situation de handicap sensoriel. Une tendance réjouissante selon l’association, qui est régulièrement sollicitée pour son expertise et son expérience. Mais bien du travail reste à accomplir.


L’association Ecoute Voir

L’association démarre son activité en 2014 en proposant l’audiodescription au public malvoyant et aveugle. Elle devient alors pionnière en la matière, car l’accessibilité à la culture n’est pas encore appliquée partout sur le terrain. Seules des actions isolées sont entreprises. La Suisse a pourtant ratifié, en 2016, la Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées (CDPH, 2014) et l’article 8 de sa Constitution stipule que tous les êtres sont égaux devant la loi. Il existe également la Loi fédérale sur l’élimination des inégalités frappant les personnes handicapées (LHand, 2004). Ecoute Voir se lance alors dans la première prestation qu’elle propose à un public en situation de handicap sensoriel : l’audiodescription.

Des signes positifs: la Fédération suisse des sourds fête 75 ans d’adversité

(Swissinfo.ch)

En Suisse, les personnes sourdes subissaient autrefois des pressions pour qu’elles ne se marient pas et n’aient pas d’enfants. Dans les années 1970, celles qui utilisaient la langue des signes étaient encore battues à l’école. Des pratiques choquantes qui mettent toutefois en lumière les progrès réalisés en 75 ans.


Journée mondiale des sourds, Genève 2018. © Keystone / Martial Trezzini

 

par Thomas Stephens

«Nous avons été totalement oubliés. Dans la phase la plus dramatique de la pandémie, les personnes sourdes n’avaient absolument aucun accès aux informations susceptibles de sauver des vies. C’était une source de grande inquiétude partout», explique Tatjana Binggeli, présidente de la Fédération suisse des sourds

Mais avant d’aborder les questions d’actualité, revenons au 17 février 1946, lorsque huit associations de sourds de Suisse alémanique, lassés d’être traités comme des citoyens de seconde zone, unissent leurs forces pour donner aux sourds une voix plus forte. Huit autres organisations les rejoignent la même année, dont une de Suisse romande et une du Tessin italophone.


La Journée des sourds, le 12 septembre 1948 à Lucerne. SGB-FSS

 

«Les personnes sourdes étaient massivement discriminées par la société en raison de leur surdité. De plus, elles n’avaient pas de voix propre et étaient contrôlées par les entendants, qui agissaient comme leurs tuteurs», explique Tatjana Binggeli, par l’intermédiaire d’un interprète, au siège de la fédération à Zurich.

Cliquez sur l’image pour voir ou écouter la Vidéo

En Suisse, la situation des sourds était sombre. On estimait qu’ils étaient moralement déficients – en particulier les femmes qui, craignait-on, pouvaient être sexuellement actives et, Dieu nous en préserve, tomber enceintes. Les hommes sourds étaient accusés d’être têtus et irascibles et avaient fréquemment des conflits au travail, selon un livre publié par la fédération à l’occasion de son 75e anniversaire.

Même un pionnier comme Eugen Sutermeister, qui a fondé l’Association suisse d’aide aux sourds et muets (aujourd’hui appelée Sonos), n’avait pas exactement une image positive de lui-même. Dans ses Six règles pour interagir avec les adultes sourds-muets, écrites pour les entendants en 1900, il disait qu’un entendant devait «supporter patiemment un sourd avec toutes ses faiblesses» et que «les défauts de caractère d’un sourd font partie de son affliction».

Les organisations d’aide ont adopté une attitude fondamentalement paternaliste à l’égard des personnes sourdes. Elles leur offraient de l’aide pour la recherche d’un emploi, réglaient les différends auxquels elles devaient faire face au travail et dans la vie quotidienne, mais ne leur accordaient pas beaucoup d’indépendance. Les personnes sourdes étaient parfois mises sous tutelle et avaient besoin de l’autorisation de leur tuteur pour changer d’emploi ou se marier.

«Les personnes sourdes étaient complètement exclues des programmes éducatifs», note Tatjana Binggeli. «Cela commençait à l’école primaire, qui ne proposait pas d’enseignement en langue des signes, et se poursuivait tout au long de leur vie. Nous sommes toujours confrontés à ce type de problèmes aujourd’hui», ajoute-t-elle.

Tatjana Binggeli fait figure d’exception. Née sourde, elle a fréquenté diverses écoles pour sourds avant d’intégrer, à 17 ans, un lycée de Berne avec des élèves entendants. Cependant, le directeur de l’école considérait les personnes sourdes comme des personnes handicapées incapables d’étudier dans une école ordinaire. Tatjana Binggeli a été ainsi renvoyée. Elle a ensuite rejoint un autre établissement où elle a réussi ses examens, avant d’entamer des études universitaires en médecine et en biomédecine, tout en travaillant dans divers hôpitaux. Plus tard, elle est devenue la première personne sourde en Suisse à obtenir un doctorat en médecine scientifique, avec la mention summa cum laude.

 
Tatjana Binggeli with Doris Leuthard
Tatjana Binggeli (à droite) à la Chambre basse en 2017 avec Doris Leuthard, qui était alors présidente de la Confédération. SGB-FSS

Pas de langue des signes

Les premières écoles pour sourds en Suisse sont apparues au début du 19e siècle, grâce à des initiatives privées. L’objectif était de donner aux sourds une éducation scolaire et religieuse, ainsi qu’une formation professionnelle.

Les choses se sont gâtées en 1880. Lors d’un congrès à Milan, des experts en éducation et des médecins de toute l’Europe – presque tous entendants – ont discuté de la manière d’éduquer les sourds. Ils ont décidé que la langue des signes devait être bannie des salles de classe et que les sourds devaient apprendre à lire sur les lèvres et à parler. En conséquence, la langue des signes a été interdite dans les salles de classe suisses jusque dans les années 1970 au moins, les contrevenants étant souvent exposés à des châtiments corporels.

«Historiquement, ce congrès a été extrêmement important. Il a eu une influence considérable sur l’éducation et la vie des personnes sourdes», commente Tatjana Binggeli. «Les gens avaient l’interdiction d’utiliser leur langue maternelle, ce qui a compliqué l’accès à l’emploi, à la politique et à la vie en société. Cela a évidemment compromis la possibilité de vivre de manière autonome. La décision a été prise pour nous. La situation n’est pas aussi extrême qu’à l’époque, mais elle existe toujours.»

Le problème est que l’on passait souvent tellement de temps à apprendre à parler et à lire sur les lèvres qu’il restait peu de temps pour l’éducation de base. Qui plus est, malgré le temps consacré à l’oralisme, de nombreux élèves étaient toujours incapables de suivre les cours oraux et étaient donc désavantagés en classe et plus tard sur le marché du travail.


Une marche de solidarité à St-Gall lors de la Journée nationale des sourds, en 1991. Ils protestent contre l’utilisation de l’expression «sourds et muets» par le tabloïd Blick. SGB-FSS

 

Le mouvement américain

Petit à petit, les choses ont cependant commencé à changer. En 1960, un délégué suisse qui avait assisté au troisième congrès mondial des sourds à Wiesbaden, en Allemagne, a conclu que les personnes sourdes en Suisse comptaient trop sur leurs aides entendants. La même année, un bulletin d’information suisse pour les personnes sourdes a noté qu’«en Allemagne ou en Italie, une grande partie du lobbying difficile était effectuée par les personnes sourdes elles-mêmes».

Alors que de nombreux sourds en Suisse étaient fiers de pouvoir s’exprimer sans signer, dans les années 1970, la langue des signes était de plus en plus utilisée lors des congrès internationaux et certains délégués suisses ne pouvaient pas suivre ce qui se passait.

L’épicentre du mouvement des sourds était à l’époque le Gallaudet College (aujourd’hui Université) à Washington. Fondé en 1864 et récemment le cadre d’une série de télé-réalité Netflix (Deaf U), il s’agit de la première, et la seule, institution au monde pour l’éducation avancée des sourds et des malentendants.

«Un couple de sourds suisses a passé du temps à l’Université Gallaudet dans les années 1970 et 1980. Ils ont fait l’expérience de l’utilisation libre de la langue des signes dans une société où tout était possible pour les sourds», raconte Tatjana Binggeli, qui a également visité Gallaudet. «Ils ont été très, très impressionnés par ce qu’ils ont vu, et lorsqu’ils sont rentrés en Suisse, ils ont travaillé dur pour obtenir la même chose ici, notamment une plus grande acceptation de la langue des signes.»

Les obstacles n’ont pas manqué, qu’il s’agisse du manque d’argent et de volonté politique ou de l’opposition des parents entendants qui craignaient que la langue des signes n’entraîne l’isolement social de leurs enfants sourds. Certaines personnes sourdes elles-mêmes étaient opposées à l’utilisation de la langue des signes dans les salles de classe. Mais dans les années 1980, la sensibilisation du public suisse aux personnes sourdes et l’efficacité de la représentation de leurs intérêts ont considérablement augmenté.


Photo non datée (probablement du début des années 1980) d’un textphone, également appelé téléimprimeur. Le texte est transmis en direct, via une ligne téléphonique, à un appareil compatible. SGB-FSS

 

De nombreuses victoires

Depuis lors, la fédération a réalisé d’importants progrès. Elle a notamment développé des programmes éducatifs, des séminaires et des cours organisés par des sourds pour des sourds. Elle est également devenue plus professionnelle et plus puissante, faisant un lobbying intense pour la reconnaissance légale de la langue des signes et les intérêts des 10’000 personnes sourdes et des 800’000 personnes malentendantes du pays.

Et qu’a fait le gouvernement? «Malheureusement pas grand-chose», selon Tatjana Binggeli. La loi sur l’égalité des personnes handicapées est entrée en vigueur en 2004, mais certaines de ses dispositions sont formulées de manière assez vague, dit-elle, et il y a toujours une «discussion sans fin» pour savoir qui couvre les coûts: les municipalités, les cantons ou le gouvernement fédéral.

«La Suisse reste un pays très conservateur sur le plan social. Comparée à d’autres pays plus progressistes, elle n’a pas une image très positive», dit-elle.

Selon elle, il manque également en Suisse un centre d’information neutre et indépendant pour les parents d’enfants sourds. «La chose la plus importante est que le bébé puisse communiquer avec sa famille. Et pour cela, nous recommandons à toute la famille d’apprendre la langue des signes. Avec la langue des signes, les enfants disposent d’une langue avec laquelle ils peuvent s’exprimer et interagir avec leur famille, et ils apprennent en même temps la langue parlée. La Fédération suisse des sourds encourage une éducation bilingue.»


Un cours de langue des signes donné à domicile, en 2009. A.schwaiger

 

Démocratie directe

L’arrivée d’Internet a à bien des égards changé la donne pour les personnes sourdes, leur offrant de nouvelles possibilités de communication. Tatjana Binggeli regrette toutefois le fait que les logiciels de reconnaissance vocale sont inaccessibles pour de nombreuses personnes sourdes et qu’Internet est toujours basé sur le texte, ce qui peut également poser problème.

«L’une des raisons à cela est que le niveau d’éducation des personnes sourdes est souvent très bas, pour les raisons mentionnées précédemment [difficultés en classe]. Mais cela n’a absolument rien à voir avec l’intelligence, plutôt avec les barrières qui empêchent l’accès à l’information en langue des signes», explique-t-elle.

Le système suisse de démocratie directe, qui implique que le public se rende aux urnes quatre fois par an pour voter sur diverses questions, pose aussi problème. Chaque citoyen suisse reçoit une brochure du gouvernement expliquant les avantages et les inconvénients de l’enjeu. Mais comme le souligne Tatjana Binggeli, «ces textes sont très complexes et souvent pas très faciles à lire – même pour les personnes entendantes».

«Mais les personnes entendantes ont des alternatives [pour obtenir des informations, comme la télévision et la radio] que nous n’avons pas. Et c’est pourquoi nous avons besoin de ces textes en langue des signes. Tout comme ils sont lus à haute voix aux aveugles, nous avons besoin d’une forme visuelle en langue des signes au même niveau.»

Elle précise que grâce à la pression de la fédération, depuis 2018, le gouvernement publie également les informations sur les votations nationales dans les trois langues des signes du pays (allemand/DSGS, français/LSF et italien/LIS). Cette vidéo, par exemple, explique les enjeux de la votation du 13 juin dernier sur la loi Covid-19 (acceptée par le peuple):

Informations en cas d’urgence

La plupart des personnes sourdes ne se considèrent pas comme des handicapés, mais comme des membres d’une minorité culturelle et linguistique, dont la langue des signes est la langue maternelle.

Aujourd’hui, l’objectif principal de la fédération est d’obtenir la reconnaissance légale de la langue des signes. Cela ne doit toutefois pas être un geste symbolique, selon Tatjana Binggeli, mais doit prévoir une protection et une promotion de la langue, comme pour le romanche, une langue nationale suisse parlée par environ 50’000 personnes.

Bien que des mesures telles que l’application Alertswiss informent les personnes sourdes sur les éventuelles catastrophes ou dangers, la pandémie de Covid-19 a mis en évidence les limites de cette approche. Sans parler de l’impossibilité de lire sur les lèvres lorsque des masques sont portés.

«La pandémie de coronavirus est un très bon exemple de la difficulté d’accéder aux informations importantes. Nous avons été totalement oubliés», estime Tatjana Binggeli. «Nous avons alors contacté le gouvernement et exigé que des interprètes en langue des signes soient mis à disposition pour les informations publiques. Très rapidement, des interprètes sont apparus à toutes les conférences de presse du gouvernement à la télévision.»

Aucune personne sourde n’a jamais été élue au Parlement fédéral en Suisse, contrairement à de nombreux autres pays, comme par exemple Shirley Pinto en Israël le mois dernier.

Tatjana Binggeli voulait faire de la politique quand elle avait 20 ans, mais ce n’était pas possible. «La participation politique des personnes sourdes reste impossible. De très nombreuses barrières existent encore. Par exemple, nous ne pouvons pas suivre les débats politiques au Parlement. La conscience politique progresse lentement, et il se peut qu’il y ait maintenant des interprètes aux réunions des délégués des partis, mais cela reste l’exception. Ils devraient être disponibles pour tout le monde, c’est une évidence. Les gens ne devraient pas avoir à demander: «Est-ce que quelqu’un [de sourd] va venir? Devons-nous fournir un interprète? Un interprète devrait simplement être là.»

Verrons-nous donc un ministre suisse sourd de notre vivant? «J’aimerais vraiment voir cela. Entrer en politique en tant que personne sourde a toujours été mon rêve, mais pour l’instant, ce n’est tout simplement pas faisable. Je me bats pour que ce rêve devienne un jour réalité et pour la génération suivante.»