David Rossé, le numérique sans barrières

(Le Temps.ch)

Le Jurassien est responsable de l’accessibilité chez Swisscom. Lui-même malvoyant, il réfléchit aux aides que l’on peut offrir, dans le monde digital, aux personnes atteintes d’un handicap
(par Philippe Simon)


David Rossé: «Peut-être que le fait de présenter moi-même un handicap me donne un peu plus de poids pour négocier…» — © Béatrice Devènes pour Le Temps

 

«Le smartphone a révolutionné la vie des personnes aveugles et malvoyantes. Avant, il y avait tout un tas de choses qu’elles ne pouvaient pas faire, ou alors très difficilement: lire le journal, utiliser un GPS, cuisiner. Aujourd’hui, on peut préparer un repas avec plusieurs types d’objets connectés. Mais encore faut-il que les solutions technologiques dédiées leur permettent de le faire correctement.»

Celui qui s’exprime ainsi se nomme David Rossé. Ce Jurassien de 50 ans (il a grandi à Boncourt), docteur en sciences sociales (il a soutenu en 2015, à Paris et à Lausanne, une thèse, d’inspiration wittgensteinienne, consacrée aux «méta-analyses pragmatologiques de l’application de méthodes en sciences sociales»), travaille chez Swisscom, où il est responsable de tout ce qui touche à l’accessibilité. C’est à lui qu’incombe la tâche de conceptualiser et de faire mettre en pratique les protocoles destinés à ouvrir les portes de l’inclusion numérique aux personnes atteintes d’un handicap – que celui-ci soit visuel, auditif ou moteur.

Des «clients mystères»…

Cela implique beaucoup de choses, auxquelles les personnes valides ne pensent pas forcément. Un exemple: il faut apprendre aux employés des boutiques à ne pas tourner le dos aux personnes malentendantes, car celles-ci, pour beaucoup d’entre elles, lisent sur les lèvres – ici, le covid n’arrange pas les choses… «Swisscom s’est associé, explique David Rossé, à Procap [la plus grande association suisse d’entraide aux personnes handicapées], qui envoie dans nos shops ce qu’ils appellent des «clients mystères» chargés de contrôler que tout se passe au mieux.»

«Mais la majeure partie de mon travail, continue-t-il, c’est le numérique. Il s’agit de faire en sorte que nos sites web ou nos applications soient accessibles à tout le monde.» Produisons un autre exemple: les personnes malvoyantes ou aveugles, lorsqu’elles veulent utiliser un ordinateur ou un smartphone, ont souvent recours à ce qu’on appelle des lecteurs d’écran (comme VoiceOver, sur iPhone), c’est-à-dire des logiciels qui rendent par la voix le contenu d’un document – par exemple une page web: le texte qu’on y trouve, bien entendu, mais aussi ses fonctionnalités (hyperliens, etc.).

«Ces applications font des choses assez simples, continue David Rossé: elles lisent du code informatique, repèrent et rendent les zones de texte.» Problème: si l’architecture de la page est mauvaise, si des éléments de programmation se baladent un peu partout, le lecteur d’écran s’y perd, «et pour une personne aveugle, un lecteur qui plante, c’est extrêmement déroutant». Il sait de quoi il parle: il est lui-même malvoyant, il a perdu une bonne partie de la vue à la suite d’un grave accident de la route survenu lorsqu’il avait 18 ans.

 

Le travail de David Rossé consiste dès lors à sensibiliser les développeurs de l’entreprise pour qu’ils s’assurent que la dentelle que représentent les mécanismes de navigation sur le web ne présente pas d’accroc. C’est un lobbying intense. «Dans le domaine du handicap, la Suisse est plutôt généreuse: en comparaison internationale, les aides de l’assurance invalidité (pour la formation, par exemple) sont assez élevées. Sur la thématique de l’accessibilité, par contre, elle est loin d’être la meilleure élève: on a bien une loi sur l’égalité pour les personnes handicapées [la LHand, entrée en vigueur en 2004], mais elle ne contient pas de mesures coercitives.»

Conséquence: «Dans ce domaine, la formation des développeurs est quasiment nulle. C’est donc à moi de les rendre conscients de la problématique de l’accessibilité: je leur explique le b.a.-ba, et ensuite ils cherchent et trouvent des solutions. Ça prend du temps, mais on avance – peut-être que le fait de présenter moi-même un handicap me donne un peu plus de poids pour négocier…»

Ce n’est pas le seul «avantage» du handicap: «Je n’ai aucun problème à traiter avec les associations de personnes handicapées, confie David Rossé, parce qu’il n’y a pas d’asymétrie entre nous. Les gens peuvent quelquefois être gênés face à quelqu’un qui présente un handicap. Moi, je n’ai pas ce problème. Et réciproquement, ces associations me font peut-être davantage confiance parce que je suis, entre guillemets, un des leurs.»

A l’Ecole de la pomme

En marge de ses activités chez Swisscom, David Rossé est également membre du comité de l’Ecole de la pomme. Fondée en 2016 à Soleure, cette association (une émanation de la Fédération suisse des aveugles et malvoyants, la FSA) propose des cours pour apprendre à utiliser au mieux les smartphones et leurs différents outils d’assistance: face à un écran tactile sans touches palpables, «il y a des gestes à connaître» pour commander correctement l’appareil, explique David Rossé.

En 2019, selon son rapport d’activité, l’Ecole de la pomme a dispensé, sur l’ensemble du territoire national, 700 journées de cours à l’intention de 500 participants. Selon une étude publiée en mars dernier par l’Union centrale suisse pour le bien des aveugles (UCBA), 377 000 personnes – soit plus de 4% de la population – sont, dans notre pays, atteintes dans leur capacité à voir.

Handicapés, les sacrifiés du Covid ?

(tdg.ch)

Les associations Inclusion Handicap et Agile.ch prennent leur défense. Le directeur médical des HUG apaise les inquiétudes.


Les handicapés ne sont pas dans une situation facile, avec le Covid-19. KEYSTONE/MARTIAL TREZZINI

 

Laurence Bézaguet

La circulation virale très élevée met tout le système sanitaire genevois à rude épreuve. Nous vous indiquions dans notre édition de vendredi que l’IMAD – Institution genevoise de maintien à domicile- avait ainsi considérablement modifié son mode de fonctionnement pour soulager les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) et éviter que ceux-ci ne procèdent à un tri des patients. Soit le fait de choisir ceux qui seront soignés et ceux qui seront sacrifiés en cas de surcharge.

Si on devait en arriver à une extrémité aussi épouvantable, les plus vieux seraient privés de soins intensifs, selon les directives nationales élaborées par des experts chevronnés en mars. Ce document de référence précise toute-fois bien que l’âge ne doit pas être un facteur dans l’absolu. Le pronostic à court terme et le bénéfice attendu d’un séjour aux soins intensifs sont les critères décisifs, quelque soit l’âge. Or, celui-ci, dans le cas précis du Covid, influence grandement l’issue de la maladie.«Si, par hypothèse, une étude devait infirmer la valeur de l’âge comme facteur prédictif, il faudrait le retirer des critères d’admission, note la bioéthicienne et médecin genevoise Samia Hurst,qui a participé à l’élaboration des directives suisses. Dans biend’autres maladies, l’âge n’est pas à lui seul un facteur de risque pronostique.»

Échelle de fragilité

On le voit, l’affaire est aussi glaçante que complexe dans son interprétation. Inquiets, les défenseurs des personnes handicapées montent aujourd’hui au front:«L’Académie suisse des sciences médicales (ASSM) vient de renforcer les critères de triage dans les cas de pénurie de ressources en médecine des soins intensifs.Pour les personnes de plus de 65 ans, elle se fonde sur une«échelle de fragilité clinique» quia déjà été fortement critiquée à l’étranger pour son effet discriminatoire sur les personnes handicapées», dénoncent les associations faîtières Inclusion Handicap et Agile.ch, dans un communiqué daté du 10 novembre.


«Aucune discrimination liée à une situation de handicap n’est acceptable.»
Arnaud Perrier Directeur médical des HUG


Précisions de Caroline Hess-Klein, au nom d’Inclusion Handicap: «Parce que«l’échelle de fragilité» est basée sur la dépendance d’une personne à l’aide de tiers, elle conduit au fait que les personnes handicapées sont exclues d’un traitement médical intensif plus souvent que la moyenne, bien que cette dépendance n’indique pas un pronostic plus défavorable ou un besoin accru de soins lors d’un traitement en soins intensifs.»

«Aucune discrimination acceptable»

Inadmissible pour ces deux organismes, qui ont immédiatement demandé à l’ASSM d’adapter ses critères, «car la question de l’admission en unité de soins intensifs pour les personnes handicapées ne doit pas être basée sur l’échelle de fragilité clinique». Avec un demi-succès, estime Caroline Hess-Klein: «L’ASSM a déjà montré une certaine ouverture,on verra jusqu’où elle va…» Pour l’heure, les critères de tri portent préjudice aux personnes handicapées, répète la spécialiste: «Ils violent l’interdiction de discrimination des personnes handicapées contenue dans la Convention des Nations Unies sur les droits des personnes handicapées et dans la Constitution fédérale.»

Le directeur médical des HUG, Arnaud Perrier, qui a lui aussi participé à l’élaboration des directives nationales, tente de rassurer et affirme: «Aucune discrimination liée à une situation de handicap n’est acceptable. Nous ac-cueillons d’ailleurs actuellement des personnes handicapées aux soins intermédiaires et aux soins intensifs.» Le professeur concède toutefois que certaines parties du document peuvent prêter à confusion, «néanmoins, le handicap n’est pas un critère en soi». Il appelle cependant à ne pas tomber dans une vision idéalisée de la non-discrimination en évaluant différemment les personnes en situation de handicap: «Comme pour tout patient, le bénéfice attendu d’un séjour aux soins intensifs reste un critère déterminant.Il serait totalement inadéquat d’envoyer souffrir aux soins intensifs toute personne, handicapée ou pas, n’ayant pas de chance de se tirer d’affaire!»

Les droits politiques de 1200 handicapés sont à un tournant

Les Genevois sont appelés à s’exprimer sur un changement constitutionnel, le 29 novembre. Il vise à accorder le droit de vote cantonal et communal à des personnes incapables de discernement.

Par David Ramseyer/Leïla Hussein


La capacité de discernement: définition

«C’est la capacité à comprendre les informations pertinentes et les enjeux d’un choix qui se présente à nous, d’en apprécier la réalité, c’est-à-dire se rendre compte que ce choix a des implications pour soi et de raisonner avec ces éléments d’une manière suffisamment cohérente, pour finalement exprimer une décision», explique Samia Hurst-Majno, professeure de bioéthique à l’Université de Genève. Et d’ajouter que cette notion, au cœur de la votation soumise au peuple le 29 novembre, ne signifie pas «raisonner parfaitement ou de manière surhumaine, mais se réfère à une mesure de raisonnement ordinaire».


Chaque règle souffre généralement d’une exception. Si voter est un droit fondamental pour tous citoyens, environ 1200 d’entre eux en sont privés à Genève. Jugés durablement incapables de discernement, ils ne peuvent donner leur avis politique sur les plans cantonal et communal. Un projet de loi, soumis au peuple le 29 novembre prochain, veut changer la donne en abrogeant l’alinéa 4 de l’article 48 de la Constitution genevoise et ainsi octroyer à ces personnes la possibilité de voter, d’élire ou encore de signer un référendum. Si la loi passe, une grande variété de Genevois retrouveront le droit de vote. Non seulement des citoyens présentant un handicap mental ou des troubles psychiques, mais aussi des personnes en rupture sociale ou souffrant d’une addiction. Sans oublier des seniors qui se retrouvent parfois sous curatelle car ils ont besoin d’assistance dans certain domaine de leur vie.

Vote sous influence?

«Ce n’est pas anodin de priver quelqu’un de ces droits-là. Si la justice l’a décidé pour des personnes handicapées mentalement, par exemple, c’est qu’il y a une bonne raison, objecte le député UDC Stéphane Florey. L’incapacité de discernement implique a priori que les gens qui en souffrent ne peuvent appréhender le sujet soumis à scrutin.»

Un postulat qui implique une conséquence dommageable, selon l’élu: si le projet devait passer, il y aurait «un risque de captation des suffrages». En clair, les proches ou les aidants «pourraient aisément influencer les individus concernés et, en quelque sorte, voter à leur place». Même si la situation ne concerne que 1200 personnes, «on a vu récemment des scrutins ou l’élection de certains députés se jouer à quelques voix près».


Large front politique pour le «oui»

Une bonne partie de la droite s’était opposée au projet de loi, le 27 février dernier, lors du vote au Grand Conseil. Depuis, le PLR et le MCG ont revu leur position: ils laissent désormais à leurs partisans la liberté de vote sur le sujet. Formellement, seule l’UDC prône le refus de cette modification constitutionnelle, qui permettrait notamment de se conformer à la Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées. Le projet a le soutien du PDC et de tous les partis de gauche, ainsi que celui du Conseil d’Etat.


Une démocratie digne

Les partisans du projet en font de leur côté une question de principe et de dignité. «Le message actuel est: «Vous ne faites pas partie de la société et n’avez rien à dire, alors que l’on parle de suffrage universel», s’insurge le député PS Cyril Mizrahi. Selon lui, il n’y a pas de critères fiables pour décrire l’incapacité de discernement, si l’on parle de politique. «Cela reste aussi aléatoire que de déterminer objectivement ce qu’est une décision raisonnable, lors d’un vote.»

L’élu fait aussi remarquer que les individus dans l’incapacité de comprendre le sens d’un scrutin «ne voteront de toute façon pas». Quant au risque de bulletins remplis sous influence, comme le craignent les opposants, «la possibilité existe en réalité pour n’importe qui, surtout pour le vote par correspondance…»


Genève, pionnier en la matière

En cas de oui le 29 novembre, Genève serait le premier canton à restituer les droits politiques aux personnes durablement incapables de discernement. La question est toutefois en discussion dans plusieurs cantons romands. «La révision de la loi sur l’exercice des droits politiques est en cours. Il appartiendra au Conseil d’Etat d’arrêter son projet et de le soumettre au Grand Conseil, ce qui pourrait être le cas dans les prochains mois», confie Vincent Duvoisin, directeur des affaires communales et droits politiques du canton de Vaud. Idem du côté de Neuchâtel, où une motion populaire en faveur d’une politique d’égalité pour les personnes en situation de handicap a été acceptée en 2015. Un projet de loi devrait voir le jour lors de la prochaine législature, en 2022. A Fribourg, où près de 900 personnes sont privées de leur droit de vote, le Parlement a tranché en septembre dernier en rejetant une motion visant à rétablir les droits civiques.

Enfin, dans les cantons du Jura et du Valais, aucune disposition particulière n’est prévue pour l’heure. «Nous n’avons pas reçu de réclamations en la matière, affirme le secrétaire du Parlement jurassien, Jean-Baptiste Maître. La problématique ne se pose donc pas pour le moment.»


Le masque complique la vie des personnes handicapées

(Le Temps.ch)

Le port du masque amène des problèmes particuliers pour les personnes en situation de handicap. Le Bureau fédéral de l’égalité pour les personnes handicapées (BFEH) appelle à tenir compte de leur situation et à montrer de la compréhension. Des personnes handicapées ont été refusées à l’entrée d’un restaurant ou d’un commerce parce qu’elles ne portaient pas de masque – même lorsqu’elles disposaient d’une attestation médicale, a déclaré mardi Urs Germann, collaborateur scientifique au BFEH. ATS

Soins intensifs: Les handicapés craignent un «triage» défavorable

(Le Matin)

L’association faîtière Inclusion Handicap craint qu’en cas de surcharge aux soins intensifs, les handicapés soient davantage laissés de côté.

Par Eric Felley


Avec la méthode «l’échelle de fragilité clinique» aux soins intensifs, les handicapés risquent de voir leur accès restreint. Getty Images

 

Le 4 novembre dernier, l’Académie suisse des sciences médicales (ASSM) a renforcé les critères de triage pour les cas de pénurie de ressources en médecine des soins intensifs dans la perspective d’une saturation.

Pour les personnes de plus de 65 ans, elle se fonde sur une «échelle de fragilité». Les associations de défense des handicapés Inclusion Handicap et Agile.ch demandent à l’ASSM de ne pas l’appliquer ou d’adapter les critères. Cette «échelle de fragilité clinique» s’applique aux personnes de plus de 65 ans. Selon les associations, elle a été fortement critiquée où elle a été appliquée en Allemagne, en Grande-Bretagne ou au Canada et au niveau international pour son effet discriminatoire sur les personnes handicapées

En effet, cette «échelle de fragilité» prend en compte la dépendance d’une personne à l’aide de tiers. Cette situation désavantage les personnes handicapées et elles sont exclues des soins intensifs plus souvent que la moyenne. Pour les associations «cette dépendance n’indique pas un pronostic plus défavorable ou un besoin accru de soins lors d’un traitement en soins intensifs». Elles dénoncent dès lors «la violation de l’interdiction de discrimination des personnes handicapées contenue dans la Convention des Nations Unies sur les droits des personnes handicapées et dans la Constitution fédérale».