(Le temps)
Un cabinet d’expertise privé s’est vu retirer son autorisation pour trois mois. La justice genevoise a fait interdire un reportage et des articles à paraître.
La décision est rare. Elle a été publiée dans la Feuille d’avis officielle (FAO) du canton de Genève en date du 21 février. Le Département de l’emploi, des affaires sociales et de la santé retire à Medlex SA (anciennement Corela SA) l’autorisation d’exploiter une institution de santé. La sanction entre en vigueur le 1er mars pour trois mois.
«Cette décision définitive est une victoire d’étape, dit Mauro Poggia, conseiller d’Etat chargé de la Santé. Mais la structure demeure et je n’ai pas l’impression de faire face à des gens qui ont compris la leçon. Nous allons être très attentifs.» Le ministre indique avoir dénoncé les faits au procureur général.
La FAO cite un arrêt du Tribunal fédéral (TF) du 22 décembre 2017. Il fait suite à des procédures lancées en 2011 déjà, qui ont amené les autorités genevoises à sanctionner la clinique le 25 juin 2015. Après deux recours successifs, le TF conforte la décision initiale du Département de la santé genevois.
L’arrêt du Tribunal fédéral parle de «très importants manquements dans la gestion de l’institution de santé»
La description du contenu de l’arrêt, et donc de ce que les autorités et la justice reprochent à cette clinique, a valu à la RTS et au groupe Tamedia (éditeur notamment de la Tribune de Genève et du Matin) des mesures superprovisionnelles. Interdiction leur est faite par la justice civile genevoise de publier les informations recueillies au cours de leurs enquêtes respectives concernant cette institution. Le juge a entendu les arguments de la RTS et de Medlex SA. Vendredi, il n’avait pas encore convoqué Tamedia.
La publication de la FAO et celle de l’hebdomadaire Vigousse, qui cite ce vendredi le nom de la clinique en relation avec l’arrêt du Tribunal fédéral, ont, de facto, rendu publics les agissements de l’établissement.
Mandats des assureurs
Plusieurs avocats ainsi que des associations de défense des patients et des personnes handicapées ont signé un communiqué, dénonçant le fait que la clinique «met tout en œuvre pour cacher ses agissements».
A son adresse genevoise, une enseigne indique l’emplacement de la Clinique Corela. En réalité, l’établissement ne reçoit pas de patients. Il serait plus juste de parler de cabinet d’expertises médicales pluridisciplinaires, agissant sur mandat d’assurances sociales (AI) ou privées (accidents, pertes de gain, etc.).
L’arrêt du TF parle de «très importants manquements dans la gestion de l’institution de santé». L’histoire commence au premier semestre 2011, sur dénonciation du docteur C., spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie. Ce collaborateur de Corela se plaint que ses rapports d’expertise ont été modifiés de manière importante, sans son accord, à compter de 2010. Il détaille ses griefs durant la procédure administrative diligentée par la Commission genevoise de surveillance des professions de la santé et des droits des patients.
Au moins onze expertises seraient concernées. On comprend des différents documents relatifs à l’affaire que les rapports auraient été modifiés pour complaire aux mandants de la clinique, à savoir les assurances.
Des dizaines d’expertises concernées
Ces modifications ont été apportées par le docteur B., médecin répondant de Corela auprès des autorités. Ce praticien reconnaît «avoir modifié des expertises sans avoir vu les expertisés», dit l’arrêt. Il a agi, selon ses déclarations durant la procédure, afin de ne pas déranger ces patients six mois après la première consultation. Ses interventions visaient à «répondre à des critères de qualité jurisprudentiels». Il a précisé avoir pris sur lui de «finir» les rapports du docteur C. et de «ne pas laisser passer des choses qui seraient manifestement erronées».
«Le docteur B. a modifié (notamment sur des points non négligeables et en particulier des diagnostics) et signé des dizaines d’expertises sans avoir vu les expertisés et sans l’accord de l’expert», écrit le Tribunal fédéral.
Le cabinet médical a contesté, devant la Haute Cour, les conclusions des différentes instances cantonales. A la Cour de justice genevoise, il reproche de ne pas avoir établi que, dans un cas qui n’est pas détaillé, le docteur B. avait informé l’assureur et l’expertisé du fait que, confronté au refus du docteur C., il avait dû signer lui-même l’expertise et qu’il s’offrait de refaire gratuitement le travail.
Il n’existe aucune base légale, estime encore le cabinet, pour «lui retirer son autorisation d’exploiter son «département expertises», dès lors que seul son «département psychiatrie» a fait l’objet d’une autorisation et que tous les reproches formulés à son encontre ont trait au «département expertises».
Dans sa réponse, le TF souligne que l’établissement est bien constitué de trois départements. «Toutefois, il convient ici de rappeler que l’institution de santé sujette à autorisation est tout établissement, organisation, institut ou service qui a, parmi ses missions, celle de fournir des soins», souligne le TF, pour qui l’autorisation ne saurait être délivrée que pour une partie de l’institution.
Le juge du TF admet cependant partiellement le recours du cabinet sur cet aspect: la suspension de l’autorisation est annulée concernant le troisième département, celui des soins ambulatoires. La justice genevoise doit se prononcer une nouvelle fois sur ce point uniquement.