(Le courrier.ch)
Les voyages sont-ils vraiment sans barrière pour les personnes sourdes et malentendantes? Explications.
Pour Sandrine Burger, «les sourds partent plus volontiers en groupe. Isolés au travail, dans un monde d’entendants dans lequel ils doivent faire beaucoup d’efforts, le voyage avec les semblables est plus agréable pour eux». SANDRINE BURGER
Souffrir d’un important déficit auditif n’empêche pas de devenir un globe-trotter actif. Mais ce handicap sensoriel, invisible à l’œil nu, peut parfois mettre de sérieux bâtons dans les roues.
«Il ne me reste plus que 18% d’audition à l’oreille gauche et 12% de l’autre. Je ne voyage plus toute seule à cause de cela», explique Simone Jeannet, ex-présidente de l’Association des malentendants de La Côte. Si elle aime se rendre dans les contrées lointaines pour découvrir d’autres cultures, Simone Jeannet ne supporte plus le manque de considération à son égard. «Je suis allée en Tunisie avec mes petits-enfants. C’était la première fois qu’ils prenaient l’avion. Enregistrer mes bagages à l’aéroport de Cointrin a été compliqué. L’hôtesse d’accueil était assise derrière son guichet. Son visage tourné vers le bas. Elle ne me regardait pas en parlant. Il y avait du bruit autour, des annonces. Elle voulait m’expliquer qu’on serait séparés dans l’avion. Je ne voulais pas qu’on le soit. Elle refusait ma demande, mais je ne la comprenais pas et elle s’énervait.»
«Plus facile en Suisse»
Pour faire face à ce genre de situation, Simone Jeannet garde toujours avec elle une carte expliquant qu’elle est malentendante. Sur celle-ci, on peut y voir écrit: «Je suis malentendante, regardez-moi, parlez-moi à voix normale, articulez lentement.» Malgré ces instructions, la Morgienne, souffrant d’une perte d’audition importante depuis soixante ans, ne constate aucune adaptation de la part des entendants. «A l’Hôtel, en Tunisie, la réceptionniste n’a pas été plus accueillante. C’est un Tunisien de passage qui m’a aidée.» Depuis, elle ne voyage plus seule à l’étranger. «Je suis partie cinq semaines en Patagonie, puis au Brésil et au Chili. C’était un voyage plus facile car j’étais accompagnée d’une amie entendante. Elle me répétait les choses», poursuit-elle. Cette année, elle a choisi de passer ses vacances d’été toute seule dans un camping à Moudon. «Parce qu’en Suisse, cela reste tout de même plus facile.» Simone Jeannet reproche surtout aux entendants de ne pas prendre le temps et de ne pas être à l’écoute. «Nous, les malentendants, nous avons le cul entre deux chaises. Nous ne sommes pas considérés comme des sourds, mais pas comme des entendants non plus.»
Moins de défis à surmonter
Pour Sandrine Burger, porte-parole de la Fédération suisse des sourds, organisation faîtière basée à Lausanne, il n’y a plus autant de défis à surmonter qu’auparavant dans l’organisation de voyages, notamment grâce à l’arrivée d’internet. «C’est vrai qu’autrefois c’était compliqué. Il fallait aller dans une agence, accompagné d’un interprète de langue des signes. Mais tout s’est simplifié. Il est facile de s’informer sur les différentes offres, notamment pour les visites guidées. Au final, les malentendants voyagent comme les personnes valides», explique-t-elle. Selon la porte-parole, les sourds ont même un avantage sur les entendants. «Ils ont l’habitude de devoir se débrouiller. Un Français qui part en Chine mais ne connaît pas l’anglais ni le chinois aura plus de peine à communiquer qu’un sourd. Les personnes sourdes vont spontanément vers les autres et parlent avec le visage et les mains. On appelle ça le deaf gain, l’atout des sourds.» Autre avantage: la langue des signes. «Si elle n’est pas la même partout, elle a une composante similaire. Un sourd suisse et un sourd vietnamien ont plus de chance de se comprendre que les touristes entendants.»
Une fois sur place, les sourds se rendent plutôt dans une association locale pour personnes sourdes au lieu de se diriger vers un office de tourisme classique. Ils partent aussi plus volontiers en groupe. Isolés au travail, dans un monde d’entendants dans lequel ils doivent faire beaucoup d’efforts, le voyage avec les semblables est plus agréable pour eux, poursuit Sandrine Burger.
Quant aux activités, certaines restent compliquées. Surtout celles qui nécessitent une communication par voie orale. «On connaît le cas de cette avalanche de pierres qui a emporté une partie d’un groupe de touristes sourds. Certains ont dû être hospitalisés. S’ils avaient été entendants, ils auraient pu percevoir le bruit des roches qui dévalaient et peut-être éviter l’accident. Mais, précisément, c’est un accident. Cela peut arriver à tout le monde.» Par ailleurs, d’autres situations peuvent rendre les compétences des malentendants fort utiles: «En plongée sous-marine, il n’est pas possible de se parler, mais il est possible de discuter en signant», relève Sandrine Burger.
Barrière de la communication
En Suisse, 10 000 personnes sont concernées par la surdité et 800 000 sont malentendantes selon la Fédération suisse des sourds. Un chiffre en hausse au vu de la population vieillissante.
«La vraie barrière à surmonter est celle de la communication», martèle la porte-parole. Papier, stylos, réveils vibrants ainsi que le portable font toujours partie des bagages des personnes sourdes. Côté destination, les Etats-Unis ont la cote. «C’est un pays extrêmement bien équipé pour ce handicap, mais beaucoup parcourent le monde sans trop de problème.» Elle note toutefois que dans certaines régions, comme le Moyen-Orient, on considère d’office la personne sourde comme handicapée et on lui assigne un accompagnant, ce qui entrave l’autonomie du voyageur. En Suisse, il manque toutefois pour Sandrine Burger une agence vraiment spécialisée pour ce handicap, qui prenne en compte toutes les adaptations techniques à disposition et la recherche de guide en langue des signes dans le pays du voyage.