(journaldujura.ch)
Les assurés soupçonnés de fraude ne devraient pas pouvoir être surveillés sans l’autorisation d’un juge. Le comité contre la nouvelle loi, en votation le 25 novembre, a dénoncé lundi une surveillance arbitraire et un chèque en blanc donnés aux assurances.
(ats) Selon Kurt Pärli, professeur en droit social privé de l’Université de Bâle, « il faut se demander avant tout si les assurances sociales doivent surveiller ou si ce domaine ne devrait pas être exclusivement réservé à la police ».
« Si le législateur décide que les assurances sociales doivent avoir le droit de se mêler de la sphère privée des assurés par des surveillances, il est indispensable d’élaborer une loi bien réfléchie qui définisse les bases claires des modalités et limites de la surveillance », a-t-il poursuivi devant les médias à Berne. A ses yeux, le texte soumis au peuple ne remplit pas ces conditions.
Pour le professeur bâlois, la base légale n’est pas claire. Elle ne définit pas précisément si l’observation d’une personne n’est possible que sur son balcon ou si elle peut aller jusque dans l’appartement.
Pour le conseiller national Adrian Wüthrich (PS/BE), président de l’organisation syndicale Travail.Suisse, la nouvelle loi est un chèque en blanc donné aux assurances. Celles-ci pourraient décider elles-mêmes d’une surveillance et la confier à des détectives privés. Elles auraient toute latitude pour décider si la suspicion initiale suffit à justifier une surveillance.
L’expertise d’un juge ne serait pas nécessaire et aucun organe indépendant ne devrait vérifier si l’ingérence dans la sphère privée est justifiée ou non, a expliqué M. Wüthrich. Lors des débats parlementaires, la commission compétente avait décidé dans un premier temps que les assurances devaient obtenir l’autorisation d’un juge pour surveiller un assuré.
« Toutefois, après un lobbying intense de la caisse nationale d’assurance accident (SUVA) et de l’Association suisse d’assurance, cette même commission a changé d’avis lors de la séance suivante et supprimé cette disposition », dénonce le président de Travail.Suisse. L’autorisation d’un juge n’est ainsi requise que pour localiser des personnes à l’aide de traceurs GPS.
Selon le Code pénal, toute fraude à la sécurité sociale est punissable et doit être sanctionnée, a rappelé Adrian Wüthrich. « Mais il appartient à la police et à la justice de clarifier la situation, et non pas aux assurances ni à leurs détectives privés. On ne saurait privatiser de telles tâches », insiste le socialiste.
Sara Stalder, directrice de la fondation pour la protection des consommateurs, s’oppose aussi clairement à la loi. Avec ce texte, « les assurés, soit nous tous, allons subir un traitement moins favorable que des criminels ou même des terroristes ». Pour elle, il ne faut pas se laisser manipuler par le puissant lobby des assurances. Le Parlement doit améliorer ce projet.
Les personnes handicapées craignent aussi de faire les frais de cette nouvelle base légale. « L’arbitre qui ordonne la surveillance ne peut faire partie ni de l’assurance invalidité (AI) ni de la SUVA, ni travailler pour une caisse maladie. Il doit être un juge indépendant. Ce principe de l’Etat de droit doit s’appliquer à nous tous », a plaidé Francesco Bertoli, membre de la fondation AGILE.
Le référendum a été lancé notamment par les socialistes, les Verts, le PDC genevois et les syndicats. Une multitude d’associations, à l’instar d’Amnesty International, soutiennent aussi le camp des opposants. La semaine passée, un comité libéral lancé par de jeunes politiciens de droite a lui aussi dénoncé la trop grande liberté donnée aux compagnies d’assurance.
Le Parlement a dû légiférer suite à une décision de la Cour européenne des droits de l’homme critiquant le manque de bases légales en Suisse concernant l’assurance accident. En juillet 2017, le Tribunal fédéral a considéré qu’il n’existait pas non plus de base légale suffisante pour l’AI. A la suite de ces arrêts, les deux assurances ont suspendu les observations.