(Le Nouvelliste)
L’assurance invalidité a refusé de prendre en charge le renouvellement de deux monte-escaliers nécessaires à l’autonomie d’un jeune myopathe.
PAR LENA WUERGLE
L’assurance invalidité a refusé de payer le remplacement des monte-escaliers arrivés en bout de course. LUCAS VUITE
A 27 ans, Thomas* souffre d’une myopathie sévère, se déplace sur un fauteuil roulant électrique et ne peut pratiquement rien faire tout seul. Au domicile familial, à La Chaux – de- Fonds, certains appareils lui facilitent, toutefois, la vie. Parmi eux, deux rampes électriques lui permettant de monter et descendre les escaliers et de rejoindre sa chambre au deuxième étage. Thomas peut, ainsi, se déplacer et sortir de chez lui sans avoir besoin d’un membre de sa famille. Il peut se rendre à ses séances de physiothérapie respiratoire et rejoindre son atelier protégé.
Un quart du prix total
Seulement, son petit bout d’autonomie a été réduit à peau de chagrin, en juin 2017, quand l’assurance invalidité (AI) a refusé de payer le remplacement de ces monte-escaliers arrivés en bout de course, après quinze ans de service. Sur les 31 640 francs du coût total, l’AI n’en a accordé que 8000. «La raison invoquée, c’est qu’il ne travaille pas et ne va pas à l’école. Donc, pour eux, il n’a qu’à rester tout le temps dans sa chambre», se révolte sa mère, Annabelle*. «Et ce alors que c’est l’AI elle-même qui avait refusé que mon fils suive une formation.»
L’AI s’appuie sur l’ordonnance concernant la remise de moyens auxiliaires par l’assurance invalidité (OMAI), qui prévoit qu’un assuré sans emploi et non scolarisé n’a droit qu’à un forfait de 8000 francs par monte-escalier. Comme la famille en a besoin de deux, elle s’attendait à recevoir, au moins, 16 000 francs. Mais l’AI n’était pas du même avis: elle a estimé que Thomas aurait dû s’installer dans une maison «adaptée à son handicap». Soit un bâtiment à un ou deux niveaux et non trois. Cet argument révolte Annabelle, car il contredit une décision précédente de l’AI.
L’AI avait d’abord dit oui En 2001, quand la famille avait pris ses quartiers dans sa maison chaux-de-fonnière, l’AI avait validé son choix de domicile. Elle avait donc accepté de payer les 46 953 francs que coûtaient les deux monte-escaliers nécessaires. Mais aujourd’hui, elle fait marche arrière. Sa justification? «Nous avons été trop généreux lors de l’octroi», indique un res- ponsable de l’office AI Neuchâtel dans un courrier. «En gros, ils disent qu’ils ont fait une erreur à l’époque, et c’est à nous d’en subir les conséquences», s’insurge Annabelle.
Si l’AI déclare que Thomas aurait dû chercher un domicile «adapté», c’est parce que la loi prévoit que chaque assuré doit faire des efforts pour coûter le moins possible. Mais pour Anne- Sylvie Dupont, professeure en droit des assurances sociales aux universités de Genève et de Neuchâtel, l’argument ne tient pas. «Sans monte-escaliers, Thomas devrait aller dans une institution spécialisée, ce qui coûterait plus cher à l’AI.»
Et si toute la famille déménageait dans une maison avec moins d’étages, l’AI ne ferait certainement pas d’économies non plus, car il faudrait complètement réaménager la chambre à coucher et la salle de bain.
C’est d’ailleurs ce que soulignait un expert mandaté pour analyser la situation. Dans son rapport, il indiquait que le non-renouvellement des plateformes «impliquera. à terme. un déménagement, avec probablement de nouveaux importants coûts d’adaptation du domicile». L’expert plaidait donc en faveur d’une prise en charge globale. Mais l’AI n’a pas suivi son expertise. «L’expert ne donne qu’un avis technique, non juridique», explique Anne- Sylvie Dupont. «Le mot de la fin revient toujours à l’AI.»
Avocate chez Procap suisse, Franziska Lüthy a rencontré d’autres personnes sans emploi, confrontées à des situations similaires à celle de Thomas. Souvent, elles ont aussi dû se contenter de 8000 francs. «Ce forfait a été fixé en 2008. Il devait permettre de financer un monte-es- calier assez simple. Sauf qu’en réalité, ces appareils valent aujourd’hui le double et les assurés doivent donc payer l’autre moitié de leur poche.
Pour Anne-Sylvie Dupont, des exemples comme celui de Thomas reflètent le durcissement de ces quinze dernières années au sein de l’assurance invalidité. «Bien qu’elle soit censée être universelle, l’AI ne protège bientôt plus que les gens qui travaillent. Les personnes sans emploi, qui ne rapportent rien, sont mises de côté.»
Pour l’instant, la famille chaux- de-fonnière a pu échapper au déménagement et Thomas a pu rester chez ses parents. Un «happy end» rendu possible grâce au soutien financier de différentes associations d’aide aux personnes en situation de handicap.
*Prénoms d’emprunt