Au café ou à l’hôpital, des employés presque comme les autres

(24heures.ch)

Le travail en entreprise favorise l’intégration de personnes mentalement déficientes. Un colloque se penche sur la question.

Vincent Trottet est un employé heureux. Quatre fois par semaine, le trentenaire fend l’air sur sa trottinette pour se rendre de Rennaz, où il habite, à la gare de Villeneuve. Il saute ensuite dans le train de 7h55 pour Lausanne et arrive vers 8h45 au Starbucks de la place Saint François, où il travaille les lundis, mardis, mercredis et jeudis matins. Là-bas, il s’acquitte de diverses tâches: ranger les tasses ou faire goûter des nouveautés aux clients. «Ce que je préfère? La vaisselle! Tout nettoyer au spray, c’est chouette!» Et ce qu’il aime le moins? «Les toilettes, elles sont souvent très sales!»

Vidéo: Catherine Cochard

Atteint de trisomie 21, Vincent fait partie des 51 Vaudois avec une déficience mentale qui, avec le soutien de Pro Infirmis, travaillent en entreprise. Le statut d’employé fait partie des mesures qui visent à mieux inclure ces personnes dans la société civile. Le 21 juin à Morges, un colloque – intitulé «Les chemins de l’innovation… quelles voies emprunter?» et organisé par l’association suisse d’aide ASA-handicap mental pour ses 130 ans – reviendra notamment sur cette question.

Au CHUV, quatre démarches d’insertion sont en cours. «Nous voulons à terme inscrire l’inclusion de ces personnes dans notre politique RH», explique Antonio Racciatti, directeur des ressources humaines. Pour y parvenir, l’hôpital se fait aider par Pro Infirmis et son service dédié. «InsertH crée des emplois sur-mesure avec et au sein des entreprises du canton de Vaud», explique Sylvie Thorens, directrice cantonale de l’organisation à Lausanne. Des places de travail en milieu ordinaire et non dans des ateliers protégés. «Les candidats sélectionnés par nos conseillers deviennent les employés des sociétés partenaires. Un suivi est offert aussi longtemps que l’emploi adapté est en place.» Le budget annuel d’insertH est de 604’373 francs, payé à hauteur de 600’773 francs par l’Etat et le reste par des fonds privés.

Un salaire de 540 francs

InsertH oeuvre aussi à mettre en place les conditions cadres pour les futurs employés. «Le travail de préparation est important, développe Eric Monnard, directeur adjoint des ressources humaines au CHUV. Un dossier complet que peut consulter le candidat est constitué. Il contient par exemple des photos des locaux pour permettre au nouveau collaborateur de se représenter son espace de travail et ses collègues. Un coach l’accompagne au long des trois premiers mois. Les équipes apprennent aussi le comportement à adopter dans certaines situations. Comme éviter le second degré ou regarder la personne dans les yeux.»

La rémunération des employés avec un handicap mental est fixée par Pro Infirmis conjointement avec l’AI. Au CHUV, elle est de l’ordre de 5 à 10 francs l’heure. En atelier protégé, le revenu horaire ne dépasse généralement pas les 2,20 francs. Vincent Trottet, qui a débuté son nouveau job chez Starbucks le 8 avril dernier, gagne 540 francs par mois. «Leur salaire est partiel, parce que leur rendement l’est aussi», explique Sylvie Thorens de Pro Infirmis.

Comment ce revenu est-il déterminé? «On propose aux entreprises de comparer le rendement de la personne handicapée avec celui d’un employé lambda, apprend Dominique Dorthe, chef du service de communication et marketing de l’Office AI pour le canton de Vaud. Une fois que la rémunération est définie avec l’employeur, nous adaptons la rente.» Hormis le soutien apporté durant la période de formation de la personne, les entreprises ne reçoivent aucune autre incitation financière.

Aucune obligation d’engagement

Contrairement à la France ou l’Allemagne qui imposent des quotas, il n’y a en Suisse aucune obligation d’employer des personnes handicapées. «Pour Vincent, c’est très stimulant de travailler dans une vraie entreprise, explique sa mère Odile Trottet. Ça l’aide à prendre son indépendance.» Du côté des entreprises aussi, les effets sont positifs. En terme d’image mais aussi de cohésion. «La motivation au travail des collaborateurs qui accueillent une personne en situation de handicap augmente, indique Fabio Bertozzi, responsable du pôle handicap au Département de la santé et de l’action sociale (DSAS). Coop Valais a même évoqué une baisse du taux d’absentéisme auprès des équipes accueillant un handicapé.»

Pour Mireille Scholder, la directrice de la Fondation de Vernand qui vient en aide aux enfants et adultes présentant une déficience mentale, d’autres pistes sont envisageables. «En Italie par exemple, les personnes en situation de handicap touchent l’équivalent du SMIC.» Les entreprises reçoivent une compensation en fonction de la productivité de la personne. «Ce système est beaucoup plus valorisant et équitable. Le revenu inconditionnel de base serait aussi une bonne chose: il mettrait ces personnes à pied d’égalité avec toutes les autres.»