(L’uniscope)
Des chercheurs de l’UNIL testent une technologie capable de générer des sensations sousles doigts des utilisateurs. Le dispositif pourrait favoriser l’autonomie des non-voyants.
Le professeur Micah Murray et la doctorante Ruxandra Tivadar explorent les possibilités de réhabilitation visuelle au travers du toucher numérique. F. Imhof © UNI
Lysiane Christen
Notre index glisse sur des textures bosselées, mais ce relief est virtuel. L’impression est générée par des ultrasons qui s’activent au contact de l’écran. Testé par Ruxandra Tivadar, doctorante en neurosciences à l’UNIL, ce prototype de tablette numérique a été développé par la start-up grenobloise Hap2U, spécialisée dans les technologies «haptiques». Un adjectif qui désigne les techniques capables de créer une expérience tactile chez un utilisateur.
Menée par Micah Murray, professeur associé à la Faculté de biologie et de médecine, cette recherche est issue d’une collaboration entre le Centre hospitalier universitaire de Lausanne, la Fondation Asile des aveugles, la HES-SO Valais-Wallis et la société Hap2U. L’objectif : analyser l’efficacité de cette technologie, à l’origine employée dans le secteur de la vente en ligne, pour l’usage des personnes atteintes de cécité ou malvoyantes.« Un des buts de notre fondation est de pro-poser à ces personnes l’accès à des nouvelles technologies répondant à leurs besoins et leurs demandes », explique Olivier Lorentz, responsable Partenariats et innovation à la Fondation Asile des aveugles, qui avait repéré la start-up il y a quatre ans. « À ce jour, de nombreux produits sur le marché ne sont pas adaptés aux patients et à leurs besoins, notamment les smartphones et certaines des applications proposées. C’est pourquoi, à terme, nous souhaitons offrir le moyen d’appliquer cette technologie innovante à la téléphonie mobile ou tout autre support numérique », précise-t-il.
« Voir » à travers le toucher
Dans une première étude publiée en mars dans la revue Frontiers in Integrative Neuroscience,l’équipe de recherche a déjà pu démontrer l’efficacité du toucher numérique. « Avec un seul entraînement de 45 minutes sur la tablette, la quasi-totalité des participants atteints de déficience visuelle ou de cécité a reconnu les objets que nous avons reproduits en relief sur l’écran », détaille Ruxandra Tivadar. Pour le professeur Micah Murray, cela signifie bel et bien qu’une perception tactile numérique peut générer chez les non-voyants une « représentation mentale » de l’objet en question.
Soutenu par le Fonds national suisse, la Fondation Asile des aveugles et un mécène avisé par l’agence Carigest, ce projet compte parmi les travaux du Laboratoire pour l’investigation neurophysiologique du CHUV. Dédié au thème de la substitution sensorielle, il se fonde sur un constat : le cerveau peut recréer une « image » à partir d’autres sens que la vue, même chez les non-voyants de naissance. « Contrairement à ce qu’a prétendu la psychologie classique, les zones cérébrales sensorielles ne sont pas isolées les unes des autres, explique Micah Murray, directeur du laboratoire. Les recherches ont montré que le cortex visuel peut traiter directement des informations qui pro-viennent d’ondes sonores ou de pressions sur le doigt, notamment dans le cas de la représentation spatiale ou géométrique. »
Faciliter les déplacements
Sur cette base, les chercheurs mènent une nouvelle expérience dans un « living lab », un appartement aménagé pour le déficit visuel, développé par la fondation. Ils y analysent la façon dont le cerveau imagine cet espace après avoir déchiffré un plan du lieu au travers du toucher numérique.
Outre l’intérêt scientifique, cette étude permet d’envisager une application prometteuse. « Il est très compliqué de se déplacer seul pour une personne aveugle. Chaque trajet doit être entraîné en amont avec l’aide d’un ergothérapeute et d’une carte tactile matérielle. Cela demande beaucoup de temps et de moyens », explique Ruxandra Tivadar. Et de poursuivre : « Avec la technologie haptique, les plans seraient directe-ment téléchargeables sur la tablette et connectés à un GPS. Les individus privés du sens de la vue pourraient ainsi connaître instantanément leur position dans une rue par exemple. » En attendant, les scientifiques cherchent encore des participants pour terminer leurs expériences.