(tdg.ch)
La Fédération suisse des sourds exige une reconnaissance juridique de la langue des signes. L’objectif est, à terme, de mieux inclure les personnes malentendantes dans la société.
On estime à 10 000 le nombre de sourds qui vivent en Suisse, auxquels il faut ajouter un million de malentendants.
Image: Keystone
Imaginez: vous êtes à l’hôpital et personne ne vous comprend, car tout le monde parle chinois. Ce cauchemar, c’est la réalité des 10’000 personnes sourdes de Suisse lorsqu’elles arrivent aux Urgences et qu’elles n’ont pas accès à un interprète en langue des signes. «Cela m’est déjà arrivé, confie Christian Gremaud, responsable communication à la Fédération suisse des sourds (FSS). C’est une situation d’autant plus difficile à gérer que vous êtes dans un état de détresse. J’ai eu l’impression d’être mis de côté, et lorsqu’on s’est enfin occupé de moi, de rester totalement hors de ce qui se passait.» La Suisse est à la traîne. «En France, certains hôpitaux sont spécialement organisés pour l’accueil des sourds.»
Longtemps, les personnes malentendantes sont restées discrètes sur les discriminations subies (voir encadré). Les choses sont en train de changer. La FSS mène depuis quelques années un important lobbying auprès des élus fédéraux. Un travail qui s’est concrétisé au travers de cinq postulats identiques, déposés en juin par les conseillers nationaux Christian Lohr (PDC/TG), Marco Romano (PDC/TI), Regula Rytz (Verts/BE), Mathias Reynard (PS/VS) et Barbara Gysi (PS/SG).
Le texte a deux visées. Tout d’abord, la reconnaissance juridique des trois langues des signes (ndlr: elles sont différentes que l’on soit en Romandie, en Suisse alémanique ou au Tessin). «Elles doivent être reconnues légalement, mais aussi soutenues politiquement», précise Marco Romano. L’autre point est la réalisation d’un rapport listant des mesures concrètes d’action pour en finir avec les discriminations. «Toutes les personnes en Suisse doivent pouvoir participer à la vie politique, sociale et professionnelle», explique Regula Rytz. «L’idée de ce postulat est de sonder le terrain, résume Sandrine Burger, porte-parole de la FSS. De voir jusqu’où les autorités sont prêtes à aller.»
La santé, mais aussi le travail et l’éducation
Il est question notamment d’accessibilité aux soins de santé, mais aussi de travail et d’éducation. «Pour les sourds, la langue des signes est la langue maternelle, clef de leur développement, peut-on lire dans le postulat. Or les compétences en lecture et en écriture sont plus faibles en raison d’une éducation bilingue insuffisante en langue des signes.» Le résultat est sans appel: les personnes sourdes sont trois fois plus touchées par le chômage. Un combat tout sauf anecdotique. Si on estime à 10’000 le nombre de sourds qui vivent en Suisse, il faut y ajouter un million de malentendants.
La Confédération, elle, se défend de rester les bras croisés. Un arsenal juridique existe. Tant la Constitution que la loi sur les handicapés ou la Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées sont censées protéger les personnes sourdes de toutes discriminations. «L’an dernier, le Conseil fédéral a aussi adopté un rapport, qui prévoit diverses mesures visant à promouvoir l’égalité des chances pour les personnes handicapées, en particulier au travail et dans l’autonomie de vie, précise Andreas Rieder, responsable du Bureau fédéral de l’égalité pour les personnes handicapées. L’accent est mis sur l’accessibilité – notamment numérique – de la communication.»
Qu’offrirait une reconnaissance juridique de la langue des signes? «Cela dépend de la forme concrète que prend cette reconnaissance, répond prudemment Andreas Rieder. Mais aujourd’hui, la loi fixe déjà des exigences quant à la manière dont les préoccupations des malentendants doivent être prises en compte.» Il reconnaît toutefois que les dispositions légales sont encore trop peu connues. «Un autre instrument important pour assurer l’application de la législation est la possibilité de porter plainte.» Un discours qui ne ravit qu’à moitié la FSS. «Les lois existent, mais on n’arrive pas à les faire respecter, rétorque Sandrine Burger. Quand on parle d’égalité, tout le monde est d’accord, mais lorsqu’il est question de coûts ou de bureaucratie, ça devient tout de suite plus compliqué.» Mais elle a l’impression que les choses peuvent enfin changer. «Il n’y a pas si longtemps, les autorités tenaient le même discours avec le romanche. On se posait la question de l’intérêt de traduire certains documents officiels pour quelques milliers de locuteurs.» Aujourd’hui, cette obligation n’est plus remise en cause.