(Le Nouvelliste)
La Cour européenne des droits de l’homme juge irrecevable le recours d’un paraplégique genevois qui n’avait pas pu accéder à un cinéma en chaise roulante.
PAR CHRISTIANE IMSAND
«Nous n’en resterons pas là»,assure Caroline Hess-Klein,cheffe du Département égalité d’Inclusion Handicap. L’association faîtière des organisations suisses de personnes handicapées ne se satisfait pas de la décision de la Cour européenne des droits de l’homme qui juge irrecevable la plainte pour discrimination déposée par Marc Glaisen, un paraplégique genevois. Celui-ci s’était vu refuser l’accès à un cinéma en 2008. L’exploitant avait invoqué un problème de sécurité.
La décision de la Cour est tombée hier. Elle concerne de nombreuses personnes qui se voient refuser l’accès à des prestations publiques. Lundi passé, «Le Nouvelliste» faisait état d’une affaire similaire. Des personnes en chaise roulante n’avaient pas été autorisées à accéder au festival Sion sous les étoiles, faute de place sur la plate-forme destinée aux personnes à mobilité réduite. Pour Michael Drieberg, patron du festival, on risquerait une catastrophe si, en cas d’urgence,une personne trébuchait sur une chaise.
Un film spécifique
Le 4 octobre 2008, Marc Glaisen souhaitait assister à la projection d’un film, «Vinyan»,qui était projeté dans une seule salle genevoise, le cinéma Pathé Rialto. Paraplégique depuis 1987, il se déplace en chaise roulante. L’exploitant du cinéma avait refusé de lui vendre un billet en expliquant que la salle n’était accessible que par un escalier et qu’il ne pouvait pas assurer sa sécurité en cas d’incendie.Le bâtiment qui abrite le cinéma a été construit avant l’entrée en vigueur de la loi fédérale sur l’élimination des inégalités frappant les personnes handicapées, le 1er janvier2004.La loi garantit l’accès des personnes handicapées aux nouvelles constructions et installations accessibles au public.Il en va de même en cas de rénovation importante.Estimant avoir subi une discrimination , Marc Glaisen a porté plainte. Il a systématiquement été débouté en Suisse.De recours en recours, l’affaire est montée jusqu’à Strasbourg avec le soutien technique d’Inclusion Handicap. Pour l’association, il ne s’agissait pas seulement de juger un cas particulier, mais d’élargir la notion de discrimination en invoquant notamment le droit à l’information. Elle espérait une décision de «dimension historique». En vain.
Vie privée et information
Selon la Cour, l’interdiction de discrimination qui figure dans la Convention européenne des droits de l’homme doit être combinée avec d’autres articles. Elle estime que la garantie de la vie privée et le droit à l’information qui figurent également dans la Convention ne sont pas suffisamment touchés pour justifier le recours du cinéphile genevois. Rejoignant les conclusions du Tribunal fédéral,les juges font notamment valoir que l’accès à un cinéma particulier pur y voir un film spécifique n’est pas un droit «aussi longtemps qu’est assuré un accès général aux cinémas se trouvant dans les environs proches». Ce qui est le cas.Pour Markus Schefer, professeur de droit public et administratif à l’Université de Bâle et spécialiste des questions liées aux droits des personnes handicapées, la Cour n’a pas utilisé l’angle d’approche adéquat.«Nous n’avons pas affaire ici à un problème de bâtiment,mais de prestation», souligne-t-il. «La Cour aurait dû examiner le cas à la lumière de la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées. En vertu de cette dernière, l’État est tenu de rendre les prestations fournies au public accessibles aux personnes handicapées.»Inclusion Handicap prévoit de soumettre le cas au Comité de cette convention onusienne qui a été ratifiée par la Suisse.Markus Schefer en fait partie.«Je suis convaincu que le Comité va critiquer la Suisse», affirme-t-il. Lui-même ne prendra pas part aux délibérations,la règle étant que le représentant du pays concerné s’abstienne. Le Comité se prononce-ra en automne 2020. L’affaire pourrait ensuite rebondir sur le plan politique.
Pour la Cour européenne des droits de l’homme, l’impossibilité pour une personne en chaise roulante d’accéder à une salle de cinéma particulière ne relève pas de la discrimination. PHOTO D’ILLUSTRATION – KEYSTONE