(Le Matin)
À Bienne comme partout ailleurs, les versions originales sous-titrées cèdent de plus en plus le pas devant les versions doublées. Les principaux lésés le déplorent.
À Bienne, Madeleine Sigg (à g.) et Béatrice Grimm n’entendent pas King Kong représenté sur le Palais des Congrès..
Attablée dans un café biennois, Béatrice Grimm converse par écrit, dans un calepin. Pour elle, le cinéma est un divertissement d’autant plus apprécié que l’accès à la culture n’est pas toujours aisé quand on est sourde. Problème, à Bienne comme partout ailleurs: les versions originales sous-titrées cèdent le pas devant les versions doublées.
Sans sous-titrage, Madeleine Sigg, ne peut pas prendre place parmi les spectateurs d’un film doublé en allemand.
L’autre jour à Lyss (BE), Béatrice Grimm s’est carrément fâchée: «Je me suis rendue à un Openair avec une amie et sa cousine du Koweït pour voir le film «Bohemian Rhapsody» sur Freddie Mercury et son groupe Queen. Surprise: La version n’était pas l’originale en anglais, mais un doublage synchronisé en allemand», rapporte-t-elle.
Résultat: une soirée gâchée: «Mon amie a pu assister à la projection, mais pas moi qui ne pouvais rien lire, ni sa cousine qui parle anglais», rapporte l’animatrice socio-culturelle à la Fédération suisse des sourds.
La Suisse est une île
La semaine dernière, Béatrice Grimm s’est énervée en lisant le «Bieler Tagblatt». Titre de l’article: «La Suisse est une île en ce qui concerne les versions originales». Une île qui s’effrite en raison du coût des sous-titrages et, selon les exploitants, de la préférence du public.
«Le public préfère-t-il vraiment entendre Freddie Mercury en allemand?», s’étrangle Béatrice Grimm, fan de Queen dans sa jeunesse, quand elle entendait bien.
Dans les deux langues
À Bienne, ville bilingue, la version originale a longtemps été privilégiée, avec un sous-titrage en deux langues, français/allemand. Motif: le doublage limite l’accès d’une séance à une seule communauté linguistique. Mais les temps changent…
Le Cinedome de la Tissot Arena, «une grande partie de notre public aime les films sans lire les sous-titres», selon une porte-parole de l’exploitant Kitag, citée par le «Bieler Tagblatt».
On comprend en lisant les propos de l’exploitante Edna Epelbaum que pour les films d’auteur, les cinéphiles restent attachés aux versions originales, mais que pour les films commerciaux, les versions doublées plaisent aux familles.
Discours inaudible
Pour Béatrice Grimm et sa collègue Madeleine Sigg, ce discours est inaudible: «On devrait même sous-titrer les films dans leur langue, à notre intention!», soutiennent ces malentendantes.
Une complainte pour une trentaine de sourds? «Non: une revendication pour le respect d’une minorité», rectifient Béatrice Grimm et Madeleine Sigg. Explication: la Suisse a ratifié une Convention de l’ONU relative aux droits des handicapés, laquelle mentionne clairement «le droit des personnes handicapées de participer à la vie culturelle».
Des applications? Non!
Des applications existent pour lire une traduction sur son smartphone, mais Béatrice Grimm et Madeleine Sigg n’en veulent pas: «Non merci! On veut regarder l’écran! Le texte doit être proche de l’image», disent-elles, en signalant aussi que la batterie de leur smartphone n’est pas constamment chargée.
«Tout à l’écran, le texte et l’image, c’est mieux!», répètent les deux amies. Béatrice Grimm argumente qu’au contraire des handicapés, les valides ont toujours le choix entre une deux variantes, «doublage ou sous-titrage, escalier ou ascenseur».
Leur mécontentement, Béatrice Grimm et Madeleine Sigg l’exprimeront peut-être dans un courrier à l’adresse des exploitants de salles. Leur souhait, c’est de pouvoir assister aux films dont on parle. Leur coup de cœur commun? «Billy Elliot», une romance sur un jeune danseur qui s’exprimait mieux par le geste que par la parole…