Des institutions suisses créent une jambe bionique

(lematin.ch/ats/nxp)

Dans le cadre d’essais cliniques dirigés par des chercheurs suisses, trois patients amputés ont pu faire corps avec leur prothèse de jambe bionique. Ils peuvent franchir divers obstacles sans devoir regarder leur pied artificiel.


Un des chercheurs du consortium place la prothèse sur un patient.

 

Dirigé par l’EPF de Zurich et la spin-off de l’EPFL SensArs Neuroprosthetics, un consortium de chercheurs européens a mené ces essais cliniques en collaboration avec des institutions de Belgrade. Ils ont mis en oeuvre leur technologie de jambe bionique sur trois patients amputés. Les résultats sont publiés dans la revue Science Translational Medicine.

«Nous avons montré que le patient a besoin de moins d’efforts mentaux pour contrôler sa jambe bionique parce qu’il la ressent comme une partie de son propre corps», explique Stanisa Raspopovic, professeur à l’EPFZ et cofondateur SensArs Neuroprosthetics.

 

«C’est la première prothèse au monde qui fournit des informations sensorielles à des patients amputés au-dessus du genou. Ce retour d’informations est crucial pour soulager le fardeau mental que représente le port d’une prothèse, cela entraîne de meilleures performances et une utilisation plus aisée», ajoute le chercheur, cité mercredi dans un communiqué de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL).

Signaux biologiques

Les yeux bandés et muni de tampons auriculaires, le patient peut ainsi percevoir sa jambe bionique grâce aux informations sensorielles délivrées sans fil, via des électrodes placées sur le système nerveux intact du moignon. Le dispositif repose sur des électrodes fichées à travers les nerfs, plutôt qu’enroulées autour de ceux-ci. Un détail essentiel pour transmettre le retour sensoriel.

La jambe bionique est équipée de sept capteurs disposés sur la semelle du pied et d’un encodeur sur le genou, qui mesure le degré de flexion. Ces capteurs produisent des informations quand la prothèse entre en contact avec l’environnement ou quand elle est mise en mouvement.

Les signaux bruts sont ensuite convertis en signaux biologiques grâce à un algorithme intelligent, puis délivrés au système nerveux sur le moignon, via des électrodes intraneurales dans le nerf tibial. Ils parviennent enfin au cerveau, où ils sont interprétés.

Cerveau moins sollicité

Amputé au-dessus du genou il y a quelques années après un accident de moto, Djurica Resanovic témoigne: «Je pouvais dire quand on touchait mon gros orteil, le talon ou n’importe quelle partie du pied. Je pouvais même décrire l’angle que formait mon genou». Il fait partie des trois patients qui ont subi une amputation de la jambe transfémorale et testé la jambe bionique pendant trois mois.

Cette avancée représente une solution nouvelle et prometteuse pour les plus de 4 millions de personnes affectées par ce handicap en Europe et aux Etats-Unis.

Grâce aux sensations détaillées fournies par la semelle du pied et par le genou artificiel, les trois sujets pouvaient évoluer à travers un parcours d’obstacles sans devoir regarder leur prothèse. Ils pouvaient trébucher sur des objets tout en évitant la chute.

Plus important encore, l’imagerie cérébrale et des tests psychophysiques ont confirmé que la jambe bionique sollicitait moins le cerveau. Les patients disposaient ainsi de plus de ressources mentales pour accomplir leurs tâches avec succès.

Transfert industriel imminent

Ces résultats complètent ceux d’une récente étude qui a démontré les bénéfices cliniques de cette technologie bionique, notamment une réduction des douleurs fantômes et de la fatigue.

«Le transfert industriel de ces technologies est imminent», explique Silvestro Micera, co-auteur de la publication, titulaire de la Chaire Bertarelli en neuroingénierie translationnelle à l’EPFL, professeur de bioélectronique à l’Ecole supérieure Sant’Anna de Pise (Italie) et cofondateur de SensArs Neuroprosthetics.

Silvestro Micera a notamment conçu une main bionique, un dispositif de stimulation du nerf optique ainsi que du nerf vague pour les patients transplantés du cœur.