(Le journal de Montréal)
Retards et problèmes techniques ont affecté la réputation de la multinationale québécoise.
(Sylvain Larocque)
ZURICH | Le « contrat du siècle » que Bombardier a remporté en Suisse en 2010 s’est transformé en véritable cauchemar. Aujourd’hui, l’entreprise tente de se remettre sur la bonne voie dans ce prestigieux marché ferroviaire.
Avec cinq ans de retard, une vingtaine de rames FV-Dosto, construites dans la partie francophone de la Suisse, roulent finalement pour les Chemins de fer fédéraux (CFF).
La semaine dernière, des centaines de participants au Forum de Davos ont emprunté ces trains à deux étages conçus pour rouler jusqu’à une vitesse de 200 km/h.
Livraisons stoppées
Or, la fiabilité des trains de Bombardier fait encore défaut. En janvier 2019, quelques semaines à peine après leur mise en service, les CFF ont cessé de recevoir de nouvelles rames en raison de divers ennuis techniques.
Aujourd’hui, Bombardier assure que 85 % des « problèmes de jeunesse » ont été réglés. Mais les trains tombent encore en panne tous les 6400 kilomètres en moyenne, alors que la norme minimale est d’une panne aux 8000 kilomètres et que l’objectif à atteindre est d’une panne aux 10 000 kilomètres.
« On y arrivera, ce n’est pas ça, le problème. La question, c’est le temps qu’on mettra pour arriver à ce résultat », reconnaît le directeur de Bombardier Transport Suisse, Stéphane Wettstein, en entrevue avec Le Journal à son bureau de Zurich.
Les médias suisses font leurs choux gras de la situation. « Retour à l’atelier pour les trains Bombardier », titrait en octobre la Radio Télévision Suisse. « Il n’y a même pas la place pour ranger un sac à dos », déplorait-on dans le 20 Minutes en novembre.
La réputation de Bombardier en a pris un coup dans ce pays très jaloux de son réseau ferré. « Absolument, et c’est à nous de changer ça », admet M. Wettstein.
Lobbying intense
Bombardier avait mis le paquet pour décrocher le plus gros contrat jamais octroyé par les CFF.
Jadis peu connectée politiquement à Berne, la capitale du pays, la multinationale québécoise a multiplié les rencontres pour faire valoir le bien-fondé de sa proposition.
Ses efforts lui ont permis de rafler le contrat de quelque 2 milliards de dollars, portant sur 59 rames, à la barbe du constructeur local Stadler Rail.
Le défi à relever était toutefois de taille. Les CFF voulaient un train à grande capacité, économe en énergie et capable de rouler plus vite dans les courbes grâce à une technologie appelée « compensation du roulis ».
En prime, on voulait qu’il soit sous pression pour éviter que les passagers n’aient des bourdonnements dans les oreilles au moment de croiser d’autres trains ou d’entrer dans un tunnel.
Problèmes internes
Non seulement le développement de ce produit complexe a-t-il été plus long que prévu, mais à cela se sont ajoutés des changements demandés par les CFF et une requête d’associations de handicapés pour l’installation d’ascenseurs dans les trains.
Bombardier a aussi souffert de ses déficiences en gestion de projets et en contrôle de la qualité, les mêmes problèmes qui ont coûté une fortune et causé d’importants retards en Allemagne, à Londres, à New York et à Londres.
« En Suisse, on a appris nos leçons, on a fait nos devoirs et je pense que maintenant, ça fonctionne beaucoup mieux », insiste Stéphane Wettstein.
L’entreprise a dédommagé son client en lui offrant trois trains gratuitement. Des négociations sont actuellement en cours à propos d’autres pénalités qu’elle pourrait devoir verser.
Bombardier a perdu beaucoup d’argent avec ce qui devait être un juteux contrat.
Mais le constructeur est loin de baisser les bras.
Il a déjà les yeux sur la prochaine commande, qui pourrait comprendre 112 trains, soit deux fois plus que le contrat en cours.
Plus de 100 000 voitures de train et locomotives conçues et assemblées par Bombardier sont présentement en service à travers le monde.