(Le Temps.ch)
Les citoyens ont plébiscité la loi qui offre les droits politiques aux handicapés jusqu’ici jugés incapables de discernement. Le canton espère inspirer le reste de la Suisse
Dimanche, les citoyens genevois ont changé La Constitution cantonale, qui prévoyait jusqu’ici que les personnes handicapées dont La capacité de discernement était jugée durablement altérée pouvaient être privées de Leurs droits civiques par les autorités judiciaires. Salvator Di Nolfi/Keystone
par Laure Lugon
Ce dimanche, les Genevois ont donné un signal fort à la Suisse concernant l’inclusion des handicapés. Par 74,8%, les citoyens et toutes les communes du canton ont accepté de modifier la Constitution cantonale pour offrir aux personnes handicapées les droits politiques. «En faisant oeuvre de pionnier, Genève ouvre ainsi la voie au débat en Suisse», résume Anne Emery-Torracinta, présidente du Conseil d’Etat genevois.
Par le passé, les discriminations n’ont pas manqué, rappelle la ministre, à commencer par les femmes, et plus loin,les pauvres, avec le vote censitaire.«Ce résultat nous amène à réfléchir à ce que sont les droits politiques. Il est arbitraire de décider a priori que certaines personnes ne sont pas capables d’exercer ces droits. J’ai l’espoir que la Constitution fédérale sera un jour modifiée dans le même sens.» Il ne faisait quasi aucun doute que la loi allait passer, seuls l’UDC et les Jeunes libéraux-radicaux s’y étant opposés. Fer de lance de la campagne «Une vie, une voix», Cyril Mizrahi, député socialiste au Grand Conseil et avocat auprès d’Inclusion Handicap, exulte pourtant: «Il nous fallait un résultat très net, on l’a. Il y a trente ans presque jour pour jour, le Tribunal fédéral reconnaissait enfin les femmes d’Appenzell Rhodes-Intérieures comme citoyennes. L’objectif de cette campagne était de lancer le débat au niveau national. Pour une fois, Genève se distingue non pas de manière dépréciative, mais comme un laboratoire en matière de droits politiques.»
La Constitution cantonale prévoyait jusqu’ici que les personnes handicapées dont la capacité de discernement était jugée durablement altérée pouvaient être privées de leurs droits civiques par les autorités judiciaires. Celles-ci avaient la main lourde, puisque ces décisions concernent 1200 personnes dans le canton. Dans les autres cantons,ces droits sont retirés dès qu’une curatelle de portée générale – instituée si une personne a un besoin d’aide très important – est prononcée. Ce qui fait dire au député PLR Murat Alder, opposé à la loi, que «Genève est déjà le canton le plus progressiste de Suisse, puisque partout ailleurs la privation des droits politiques est automatique. Par conséquent, cette décision d’aller plus loin par souci de perfectionnement juridique est trop hâtive».
74,8% Les citoyens du canton de Genève acceptent de modifier la Constitution cantonale pour offrir aux personnes handicapées les droits politiques.
Ce que craignent les opposants? Que des proches remplissent les bulletins de vote à la place des gens souffrant de grave déficience psychique. «Il faudra désormais renforcer les contrôles, s’assurer que la dignité de ces personnes est respectée et que leur vote éventuel est le reflet d’une volonté effective», poursuit Murat Alder. Des craintes balayées parAnne Emery-Torracinta: «Nourrir de l’inquiétude autour des abus, c’est faire injure à toutes les personnes, proches et professionnels, qui accompagnent les handicapés. Il faut punir les fraudeurs,et pas les victimes.»
Ce qui pourrait s’avérer complexe à mettre en œuvre. Murat Alder propose de réfléchir à la sécurité du processus de vote dans son entier, y compris le vote électronique, qui adviendra sans doute dans le futur. Mais le député apparaît bien seul avec ses doutes. Pour sa part,son parti se réjouit que «dans un monde où une certaine idée des normes tend à ranger chaque humain dans une catégorie et à en faire un objet de statistique, il est bon de se rappeler que chaque personne est différente et que ces différences, même accentuées, ne sont pas un motif de discrimination». Le PDC quant à lui estime qu’il «était temps de remédier à une injustice et de se mettre en conformité avec le droit international».
«Se mettre en conformité avec le droit international»
La Suisse, en privant les handicap de leurs droits politiques, serait-elle en porte-à-faux avec le droit international? Pour les partisans de la loi, la situation genevoise, et a fortiori fédérale, est contraire à la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées (CDPH), ratifiée par la Confédération en 2014, et selon laquelle aucune limitation des droits politiques n’est justifiée. C’était aussi l’avis du Grand Conseil genevois.Les opposants en revanche mettent en avant que même le Bureau fédéral de l’égalité pour les personnes handicapées n’a rien à redire sur le niveau fédéral, puisqu’une curatelle de portée générale n’est appliquée qu’en ultima ratio, s’il y a incapacité de discernement.Mais les partisans n’ont toutefois aucun doute que la Confédération se fera tancer, à plus ou moins brève échéance. En effet, le Comité des droits des personnes handicapées évalue en ce moment la Suisse, un examen retardé par la crise du covid mais qui finira par arriver. «Les recommandations du comité ne font aucun doute, estime Cyril Mizrahi. Car il a déjà tiré des conclusions en ce sens pour d’autres pays qui ont des systèmes similaires au nôtre.» Quoi qu’il en soit,Genève compte dimanche 1200 citoyens à part entière de plus.