(Le Nouvelliste)
Par Christine Savioz
Marie Pochon (à gauche), auxiliaire de vie, entre en contact avec Caroline Short en lui tenant la main et en se mettant à son écoute. SACHA BITTEL
Marie Pochon ouvre la porte de l’appartement sédunois en souriant. Puis s’efface immédiatement pour présenter Caroline Short, une Valaisanne de 29 ans polyhandicapée, dont elle est l’une des auxiliaires de vie. «Ce n’est pas moi qu’il faut mettre en avant. C’est Caroline. Je suis juste là pour qu’elle puisse faire passer ses messages. Je ne suis qu’un transmetteur», explique Marie Pochon. Comme elle, six autres auxiliaires de vie, toutes des femmes, se relaient pour accompagner la jeune femme 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.
Vivant en appartement depuis 2013, Caroline Short a besoin d’un accompagnement permanent. Lorsqu’elle explique son handicap dû à une sous-oxygénation du fœtus qui a créé des lésions au cerveau, elle le fait avec des mots choisis, tout en poésie. «Je suis née un peu trop tôt et un peu cabossée parce que j’ai manqué d’air. Cet étouffement se présente chez moi par un corps très tordu et désobéissant, de l’épilepsie, une absence de langage verbal», décrit-elle à travers la voix de Marie Pochon qui pratique la psychophanie, un outil lui permettant d’entendre les mots de Caroline Short.
Dire me met en forme, m’ancre, me donne naissance. Quand je peux montrer ce qui vit en moi, le regard sur mon corps change.»
Caroline Short
L’auxiliaire de vie tient la main droite de la jeune femme dans la sienne, puis se met à l’écoute. «Cette méthode est de l’ordre du ressenti. Je me mets en contact avec Caroline, j’entends ce qu’elle dit, souvent lettre par lettre, puis je l’écris sur le natel. Je lui relis la phrase et elle me signale par la pression de sa main si c’est juste ou pas. Avec le temps, je suis de plus en plus rapidement en phase avec elle», raconte Marie Pochon. Entre la question et la réponse retransmise, il peut s’écouler entre cinq et dix minutes. Marie Pochon n’est nullement distraite par Cédric, colocataire de Caroline, qui discute avec son auxiliaire de vie juste à côté. «Nous sommes dans une bulle. Rien ne peut nous déranger.»
La psychophanie permet à Caroline Short d’exister pleinement. «Dire me met en forme, m’ancre, me donne naissance. Il y a aussi une forme de reconnaissance. Quand je peux montrer ce qui vit en moi, le regard sur mon corps change», confie-t-elle.
Son propre appartement à 18 ans
Depuis ses 7 ans, elle peut ainsi faire entendre sa voix et exprimer ce qu’elle veut pour sa vie. Comme lorsqu’elle a décidé, à sa majorité, de prendre son envol du foyer familial pour gagner en indépendance, hors également de l’univers des institutions. «Cette envie était dans mon cœur depuis longtemps. Déjà préadolescente, je sentais des ailes de vie chez moi. Ma maman a su m’écouter et rêver avec moi.» Elle confie encore que l’institution a été un cocon de repos pour ses proches au départ, puis un tremplin pour une vie adulte. «J’ai senti vite que ce serait bon pour moi de faire ce choix et les éléments ont été encourageants autour.»
Peut-être que j’aspire surtout à vivre encore.
Caroline Short
Plus sa parole est libérée, plus Caroline Short perçoit la force de ses mots. En 2013, elle publie, avec l’aide de ses auxiliaires de vie, un premier livre intitulé «De cœur à cœur» qui parle de son parcours de vie. Il y a quelques mois, juste après le premier semi-confinement, elle éprouve l’envie de se raconter de nouveau. «Habiter ma vie. Au-delà des apparences» sort de presse en décembre dernier. L’ouvrage reprend les récits du premier livre et raconte la suite de la vie de Caroline Short depuis huit ans, soit depuis qu’elle vit en appartement.
L’envie d’aimer et d’être aimée
C’est l’occasion pour elle d’exprimer ses envies de femme, ses attentes et ses découvertes. Avec ses si beaux mots, sans tabou. «J’aime les secousses du cœur, inattendues, incontrôlables, porteuses d’espoir et de projet», écrit-elle par exemple tout en reconnaissant que se laisser aimer dans toutes ses distorsions lui est néanmoins difficile. «Je peine à comprendre que je puisse plaire, être attirante, donner envie.» A l’heure de l’interview, évoquer le sujet du couple est plus délicat. Caroline Short est pudique. Elle ne cache cependant pas ses rêves et interroge. «Est-ce différent selon vous quand le handicap s’invite?» lance-t-elle soudain.
L’essentiel pour elle est le partage. Avec ses auxiliaires, ses amis, des enfants et des personnes plus âgées. «Peut-être que j’aspire surtout à vivre encore.» Jour après jour, elle avance avec des projets plein la tête. Celui de voyager par exemple. Découvrir chaque capitale d’Europe lui plairait. Mais, pandémie oblige, elle est obligée de faire une pause de voyages. «C’est intéressant de reprendre un Chemin intérieur.»
Elle continue à avoir des projets d’écriture, encore et toujours. «Je crois que j’aimerais écrire un roman», souligne-t-elle. «Un roman d’amour?» «Une histoire de relation, oui. Quelque chose de l’ordre de l’amour impossible», répond-elle immédiatement.
Déménagement en vue
En attendant, elle prépare un changement de vie important pour elle. Après huit ans passés dans son premier appartement à Sion, Caroline Short déménagera à la fin mai dans un autre logement tout près. Elle y vivra de nouveau seule, après avoir passé trois ans en colocation avec Cédric, une personne IMC. «Cédric est un super colocataire. Mais la vie ensemble présente beaucoup de contraintes auxquelles nous avons décidé, en accord avec nos familles, de ne plus nous soumettre», explique-t-elle. Aujourd’hui, elle souhaite se concentrer sur ses projets.
Aucun regret ne pointe chez elle. Aucune révolte par rapport à son handicap. Elle vit sa vie pleinement, en faisant avec les contraintes que lui impose son corps. Elle dit même être heureuse de son «carrosse. Il me plaît et me donne des opportunités peu communes. Je peux voyager autrement que dans un corps valide.» Même si elle admet avoir été fâchée par le regard des autres dans sa prime jeunesse. «Maintenant, c’est devenu plus confortable. Je suis comme je suis et je n’aimerais plus changer d’être.»
«Habiter ma vie. Au-delà des apparences», de Caroline Short, aux Editions Saint-Augustin.
La psychophanie, c’est quoi?
La connexion se fait par la main et le natel permet d’écrire les pensées de Caroline. Photo: Noura Gauper
Caroline Short et ses auxiliaires de vie communiquent grâce à la psychophanie. Il s’agit d’un outil qui permet d’accéder aux émotions et ressentis de la personne. «Ce n’est pas une technique rationnelle. Elle fait appel à l’hémisphère droit du cerveau, celui du ressenti, de l’intuition. C’est du ressort de la conscience prélangagière que chacun a en soi – cette conscience qui existe chez l’enfant avant l’apparition du langage parlé», souligne Line Short, maman de Caroline, qui a été la première à communiquer de cette façon avec sa fille. «Au début, c’était de l’ordre de l’intuitif. Je sentais ce que Caroline disait. Une sorte de connexion se crée entre elle et moi.»
Les auxiliaires de vie de Caroline Short pratiquent également la psychophanie avec elle. «Certaines entendent ses mots, d’autres des images avec des mots.» Toutes lui tiennent la main pour faciliter la connexion. Elles transcrivent sur une tablette ou sur un natel ce qu’elles accueillent. «Puis elles lisent le texte à Caroline qui confirme ou non», explique Line Short.
La psychophanie est apparue dans les années 90. Elle est issue de la communication facilitée: une personne s’installe à côté de la personne qui ne peut pas parler en lui tenant la main face à un clavier alphabétique. La personne facilitée donne l’impulsion pour pointer les lettres sur le clavier pour exprimer ce qu’elle souhaite communiquer. «La psychophanie entre dans la partie plus profonde de l’être. Elle passe par d’autres canaux que ceux de la raison», explique Line Short.
La Valaisanne est l’une des deux formatrices de cette méthode en Suisse romande. La formation comprend cent heures, sans compter les nombreux entraînements à effectuer entre les cours.
Infos sur www.cf-romandie.ch