Le domaine des Egli offre équilibre et vocation à un employé différent

(Terre & Nature / Les Pros de la Terre)

Grâce à la Fondation Landwirtschaft und Behinderte, des personnes en situation de handicap mental trouvent un emploi à leur mesure dans une exploitation agricole.
Exemple à Buttisholz (LU)


Très proche du troupeau de vaches laitières, dont il s’occupe au quotidien, Patrick Perriraz aide aussi Rita et Beni Egli, ses patrons, aux travaux du poulailler de l’exploitation. À 39 ans et après de nombreuses années en institutions spécialisées, le Vaudois a trouvé sa voie et une autonomie grâce à l’agriculture.

 

Aurélie Jaquet

Nous sommes au cœur de la campagne lucernoise, dans une belle ferme traditionnelle située un peu en retrait du village. C’est là que Patrick Perriraz travaille depuis six ans; l’employé agricole nous accueille à notre arrivée, entouré de ses patrons, Beni et Rita Egli. Voix qui porte et rire généreux, le Vaudois tient tout d’abord à raconter son plaisir d’œuvrer sur cette exploitation laitière. «Je ne pour-rais pas m’imaginer ailleurs. Vivre là, c’est le bonheur», s’exclame-t-il.

Tous les jours à l’écurie

Âgé de 39 ans et atteint d’un retard mental,Patrick Perriraz a trouvé sa voie dans l’agriculture grâce à la Fondation suisse alémanique Landwirtschaft und Behinderte(LuB), qui met en contact des personnes handicapées avec des familles de paysans(voir encadré ci-dessous). Un cheminement professionnel que le Romand a entrepris en2005, à la suite du décès de sa mère. «J’avais commencé un apprentissage de mécanicien dans une institution, mais ça ne me plaisait pas. Ma tutrice m’a alors parlé de la LuB et j’ai eu envie d’essayer», raconte-t-il. Lejeune homme travaillera sept ans sur un domaine jurassien,avant de rejoindre jusqu’en 2015 une autre exploitation dans le canton de Berne. Chez les Egli, il apprécie la routine rythmée par le troupeau de vaches laitières. «Le matin, je me lève à 6 h pour aller à l’écurie. Je nettoie les litières et j’aide à la traite. Ensuite je vais déjeuner! Après ça, on termine le travail à l’étable et on discute du programme de la journée.Parfois, j’accompagne Rita au poulailler, ou alors j’aide Beni à installer les parcs. Ça dépend des jours.» S’il se sent très à l’aise avec le bétail, il ne peut pas en dire autant des machines. «Je ne peux conduire que des3o km/h. Mais de toute façon je n’aime pas manier les gros tracteurs, encore moins quand il y a des chars derrière», lâche-t-il en souriant.

Patrick Perriraz est le troisième employé engagé par Rita et Beni Egli par le biais de Landwirtschaft und Behinderte. «Il nous tient à cœur de pouvoir offrir leur chance à des personnes différentes», expliquent-ils. Après six ans, le couple ne tarit pas d’éloges sur lui. «Patrick est très calme et patient avec les animaux. Il connaît d’ailleurs les noms de pratiquement toutes les vaches de l’écurie.» Concilier la marche de leur exploitation avec le profil particulier de leur ouvrier est devenu pour eux un automatisme journalier. «Nous adaptons bien sûr les travaux en fonction de ses capacités et nous prenons le temps de bien organiser les journées. C’est important de s’assurer qu’il se sent capable de réaliser ce qu’on lui propose. Mais c’est un employé très appliqué et surtout passionné.»

Travail et loisirs

Au bénéfice d’un contrat de travail agricole,Patrick Perriraz touche un salaire adapté à ses compétences et géré par sa tutrice.Nourri, logé et blanchi, l’employé partage le quotidien de la famille Egli et dispose d’un petit studio attenant à la ferme. Dans sa chambre, il aime suivre les matches de hockey sur glace à la télévision et s’adonner à sa passion pour les constructions en Lego. Mais lorsqu’il a congé, c’est son amie qu’il file retrouver; comme lui, Gabi travaille entant qu’employée agricole sur une exploita-tion de l’Oberland zurichois, une situation qu’elle doit elle aussi à la Fondation LuB – c’est d’ailleurs par l’intermédiaire de celle-ci qu’ils se sont rencontrés. Le Vaudois a d’ores et déjà prévu de l’emmener trois jours à Paris en janvier prochain pour fêter ses 40 ans.

«Même si Patrick fait partie de la famille, c’est important que chacun puisse avoir sa vie en dehors du travail, commente Rita Egli. Nous passons beaucoup de temps ensemble et partageons de nombreux loisirs avec lui, mais nous veillons aussi à ce qu’il puisse être le plus indépendant possible.» De son côté, le Vaudois apprécie la patience et l’écoute de ses deux patrons. Il aime aussi leur approche avec le bétail. «L’un de mes anciens patrons était brutal avec son troupeau. Je suis très sensible aux animaux.Quand on tape une vache, j’ai l’impression que c’est moi qu’on frappe. Je ne supporte pas qu’on fasse du mal aux bêtes», s’enflamme-t-il.

Si LuB a permis à Patrick Perriraz de se découvrir une vocation pour l’agriculture, c’est aussi une stabilité et un foyer qu’il a trouvés chez Rita et Beni Egli. Un soulage-ment pour celui qui, adolescent, redoutait de passer sa vie en institution. «Les handicapés ont autant le droit de travailler que les personnes normales. Aujourd’hui, j’ai un toit pour dormir et un boulot que j’aime. C’était mon rêve depuis toujours.

En chiffres

L’exploitation des Egli
52 vaches laitieres
500 poules pondeuses
9000 poulets d’engraissement
30 hectares de surfaces cultivées
4 personnes actives sur l’exploitation: Rita et Beni Egli, leur fils Simon, 25 ans,et Patrick Perriraz, employé agricole.

La ferme comme lieu d’intégration

Landwirtschaft und Behinderte (LuB), en français Agriculture et handicap, a été créée en 1994. La fondation est née sur l’initiative d’un agriculteur bio de l’Oberland zurichois qui,apprenant qu’une personne handicapée de son village cherchait une ferme où travailler,proposa de l’accueillir. Aujourd’hui, vingt-huit ans après sa création, la LuB gère 90 dossiers et dispose d’un réseau de 120 fermes partenaires, essentiellement en Suisse alémanique.«Nous n’en avons que deux ou trois du côté romand», explique Monika Lauener, collaboratrice auprès de la LuB.

La fondation assure le contact et le suivi entre employeurs et employés. Les tâches confiées sur un domaine varient considérablement selon le handicap.Le candidat commence par un stage de deux semaines, afin de voir si le lieu et les conditions lui plaisent, puis effectue trois mois d’essai avant de signer un contrat à durée indéterminée.«De notre côté, nous effectuons une visite tous les trois mois sur l’exploitation afin d’échanger avec l’ouvrier et ses patrons, mais surtout de garder un lien et d’être présents en cas de besoin. Notre but est en priorité que la personne handicapée soit intégrée et heureuse dans la famille où elle vit», conclut Monika Lauener.

Plus d’info www.lub.ch