(Le Courrier de Genève)
par MOHAMED MUSADAK
Des personnes vivant avec un handicap lancent un manifeste pour une mode inclusive qui réclame des vêtements, des accessoires et des magasins adaptés
Mode Des étiquettes illisibles pour qui voit mal ou pas du tout, des habits immettables si l’on ne peut user de tous ses membres, des accès interdits aux magasins ou des cabines d’essayage inadaptées pour les fauteuils roulants… Se vêtir ou s’offrir le petit plaisir d’une séance de shopping peut rapidement devenir éprouvant, voire impossible, pour les personnes vivant avec un handicap.
C’est pour pousser l’industrie de la mode à opérer des changements susceptibles de gommer ces obstacles que se tient jeudi «Tu es canon 2», la seconde édition d’un colloque sur la mode inclusive organisé par l’association ASA-Handicap mental à la Comédie de Genève (déjà complet). Contrairement à ce que le nom de l’organisation peut laisser entendre,l’évènement s’adresse à tous les types d’infirmités, qu’elles soient physiques ou mentales.A cette occasion sera présenté un manifeste lançant «un appel aux créateurs et aux créatrices, aux stylistes, aux designers, à l’industrie de la mode et aux médias afin que la diversité des tailles, des formes, les particularités anatomiques et les prothèses soient enfin prises en compte rendant à chacune dignité et beauté».
Les vêtements pour habiller Maude Leibundgut, performeuse paralysée d’un bras, ont été conçus par des étudiantes de la HEAD.MICHELGIESBRECHT
Un réel besoin de changement
Au-delà du manifeste, le colloque mettra en lumière le travail mené depuis une année par 26 personnes, dont la majorités ont en situation de handicap.Avec un accent sur les innovations technologiques et les solutions de design développées pour la mode inclusive. En point d’orgue, la performance «Corps2 femmes» réalisée par Caroline de Cornière, danseuse et chorégraphe, et Maude Leibundgut ,performeuse paralysée d’un bras et n’ayant pas la motricité complète d’une de ses mains, montrera l’expérience de l’habillage. Les vêtements pour habiller l’artiste ont été conçus par des étudiantes de la HEAD en tenant compte de ses spécificités, comme un pantalon à élastique ou un kimono qui se ferme avec un crochet.
«Selon l’OMS,il y a 25% de la population mondiale qui vit avec un handicap»
Teresa Maranzano
Autre handicap, autres problèmes: Céline Witschard, 33 ans, ne se «considère pas comme une fashionista» mais précise tout de même «prendre soin de son apparence». Souffrant d’un glaucome depuis sa naissance, cette jeune femme,active dans la communication,est malvoyante avec une acuité visuelle de 15% (25% avec les lunettes). «Je vois encore les habits et les motifs, mais les étiquettes sont presque illisibles (le manifeste demande notamment des OR codes sur celles-ci).» Les lumière trop éblouissantes ou trop tamisées sont aussi un problème. Selon, elle, une meilleure formation des employées éviterait des quiproquos: «Ils ne savent pas toujours comment nous repérer, s’adresser à nous ou nous aider.» Car même lorsque les magasins sont équipés, par exemple de cabines pour fauteuils roulants, elles servent parfois d’entrepôt et ne sont pas accessibles.
Milliards de bénéficiaires
«Le thème a tout de suite fédéré, se remémore Teresa Maranzano, responsable du programme Mir’arts à l’association ASA-Handicap mental. Il est concernant et les difficultés rencontrées, que l’on souffre d’une déficience mentale ou d’un problème physique, se ré-pondent.» En outre, l’industrie de la mode avait déjà commencé à empoigner le sujet avec des campagnes mettant en avant la différence. Un aggiornamento qui n’est pas gratuit: «Il y a un marché à prendre. Selon l’OMS,il y a 25% de la population mondiale qui vit avec un handicap de naissance, acquis via un accident, une maladie ou encore la vieillesse.»
Même si la révision des codes de la mode est faite par intérêt,les bénéfices sont bien là, selon Teresa Maranzano: «La fin de l’invisibilisation est bonne pour tout le monde. Car au fond, ce sont les canons de beauté standards qui sont une minorité.Surtout, les petites avancées gagnées pour les personnes avec un handicap profitent à beaucoup de monde au final.» Et de citer l’abaissement des trottoirs et les rampes dans les bus,qui servent autant aux fauteuils roulants qu’aux poussettes. Ou encore les soirées «relax» dans les théâtres genevois, ou il est autorisé de parler, d’aller et venir. Conçu pour les personnes avec des troubles mentaux, le format séduit finalement un large public.