(Le Nouvelliste)
Alors que l’importance d’une prise en charge précoce des enfants atteints du trouble du spectre autistique est reconnue, les places d’accueil manquent.
par Sevan Pearson
Les difficultés à communiquer créent souvent de l’angoisse chez les personnes autistes ce qui accroît le risque de crises. KEYSTONE/ARCHIVES
«Il est souvent compliqué de trouver une place adaptée dans un centre spécialisé pour son enfant atteint du trouble du spectre de l’autisme (TSA).» Bénédicte Eissa sait de quoi elle parle. Maman d’une jeune femme autiste âgée aujourd’hui de 23 ans, elle se souvient de la première difficulté: établir un diagnostic. Ce n’est que lorsque sa fille atteint l’âge d’être scolarisée (6 ans) que sa suspicion est confirmée: son enfant est autiste. Commence alors un parcours difficile pour lui trouver un accompagnement adapté.
«Il est souvent compliqué de trouver une place adaptée dans un centre spécialisé pour son enfant atteint du trouble du spectre de l’autisme.»
Bénédicte Eissa, mère d’une enfant atteint d’autisme
«On m’a orientée vers l’éducation spécialisée», poursuit Bénédicte Eissa. Après plusieurs mois d’attente, elle obtient une place pour sa fille. «Mais je ne savais rien sur l’accompagnement dont elle allait bénéficier. Elle est restée là-bas pendant huit mois, sans faire aucun progrès. On a même essayé de me faire comprendre que je devais simplement «accepter» l’autisme de ma fille. Je l’ai retirée de ce centre et j’ai décidé de fonder l’association OVA (dont elle est présidente, ndlr) avec d’autres parents vivant des situations analogues.»
Aujourd’hui, cet organisme gère à Gland (VD) un centre dédié à l’autisme. Il vient en aide aux familles concernées et propose notamment l’approche dite «analyse appliquée du comportement» (acronyme anglais: ABA), développée aux Etats-Unis et étant reconnue scientifiquement comme efficace.
Compétences ciblées
Malheureusement, les difficultés évoquées par Bénédicte Eissa demeurent d’actualité. «Il est souvent ardu de trouver des centres spécialisés, ou du moins adaptés, pour des enfants ou des adultes autistes», confirme Isabelle Steffen, coprésidente d’Autisme Suisse romande, association ayant pour but de faire reconnaître les droits et spécificités des besoins des personnes avec autisme et de leurs familles.
«Il faut bien être conscient que les personnes autistes ont souvent de la peine à communiquer et à reconnaître les visages. Cela crée de l’angoisse et accroît le risque de crises.»
Isabelle Steffen, coprésidente d’Autisme Suisse romande
«Les foyers pour les enfants et les jeunes autistes sont destinés à des personnes avec de grandes fragilités. Elles ont besoin de beaucoup de prévisibilité, car cela les rassure. Il faut bien être conscient que les personnes autistes ont souvent de la peine à communiquer et à reconnaître les visages. Cela crée de l’angoisse et accroît le risque de crises. En aucun cas elles ne sont capricieuses», tient à souligner la responsable.
S’occuper d’enfants ou de jeunes autistes n’est donc pas facile et nécessite des compétences ciblées. «La formation des professionnels est essentielle, afin qu’ils soient en mesure de détecter les besoins spécifiques de chaque personne autiste dont ils s’occupent. Ces professionnels doivent pouvoir être écoutés et bénéficier d’une supervision. Il est également important que les familles soient entendues et consultées», insiste Isabelle Steffen.
Une prise en charge adaptée aux enfants autistes et une formation adéquate sont donc indispensables, afin d’éviter des maltraitances, comme celles qui ont récemment été dénoncées dans les médias au sujet du foyer de Mancy (GE) et qui font l’objet d’une enquête.
«Il faut des personnes bien formées, capables de comprendre les difficultés de communication des enfants autistes.»
Bénédicte Eissa, mère d’une enfant atteint d’autisme
«Il faut des personnes bien formées, capables de comprendre les difficultés de communication des enfants autistes. Car ces derniers, lorsqu’ils se sentent incompris, peuvent devenir violents envers les autres et envers eux-mêmes. Avec le risque d’entraîner le personnel dans des comportements totalement inadéquats. Afin d’éviter cela, il faut une intervention précoce, intensive, efficace et adaptée avec du personnel formé à ce type de prise en charge», recommande Bénédicte Eissa.
Justement, le 22 septembre, l’ESM Business School de Genève et l’association OVA, en coordination avec l’organisation professionnelle ABA Switzerland, lancent un master en ABA. «L’objectif est double: répondre au manque de professionnels pouvant prendre en charge les personnes avec TSA et développer leur esprit entrepreneurial afin qu’ils soient encouragés à créer des centres spécialisés», éclaire Eric Vandenhoeck, responsable de la communication auprès de l’association OVA.
Groupes de travail
Les choses bougent aussi du côté des cantons, après que la Confédération a publié un rapport en 2018 avec une série de recommandations, dont celle de privilégier une intervention précoce (voir ci-dessous).
En juin 2018, le Valais mettait sur pied un groupe de travail. «Le canton n’a pas suivi la stratégie de créer un grand centre susceptible d’accueillir toutes les personnes atteintes d’autisme. En effet, l’éventail des réponses apportées doit être en lien avec le spectre des besoins, variant fortement d’une personne à l’autre», indique Guy Dayer, chef de l’Office de l’enseignement spécialisé. A cela s’ajoutent la géographie complexe du canton et le bilinguisme. Cependant, des pas concrets ont été faits, puisque le budget dévolu aux écoles spécialisées a été récemment augmenté. «Même si ces mesures ne sont pas spécifiques aux enfants autistes, nous constatons que ces derniers occupent environ 30% de ces nouvelles places et que cela a permis de scolariser chaque élève», précise le responsable.
Dans le canton du Jura également, une commission travaille sur l’élaboration de pistes pour améliorer la prise en charge des personnes atteintes de TSA. Dans le courant de l’année, de trois à cinq places d’accueil supplémentaires pour enfants autistes seront ouvertes.
«ll s’agit d’un spectre, l’intensité du trouble autistique varie beaucoup»
Le trouble du spectre autistique (TSA) touche environ 1% de la population. Il nécessite une prise en charge adaptée et spécifique à chaque personne concernée. Entretien avec Nadia Chabane, directrice du Centre cantonal de l’autisme du CHUV et professeure en médecine à l’Université de Lausanne.
Qu’est-ce que le trouble du spectre autistique (TSA)?
Nadia Chabane: Il s’agit d’un trouble du développement du système nerveux central, qui se caractérise par des anomalies ou particularités du fonctionnement du cerveau. La personne autiste ne traite pas l’information de la même manière que la majorité de la population.
Quelles en sont les causes?
Elles sont multiples et tout se joue avant la naissance et parfois pendant. La génétique explique en partie l’émergence d’un TSA. Mais il faut également tenir compte de facteurs environnementaux: infection virale et/ou prise de certains médicaments durant la grossesse, anomalies dans l’oxygénation du bébé, prématurité ou encore âge du père (plus il est âgé, plus le risque augmente). Le stade de développement du cerveau, durant lequel ces facteurs multiples interviennent, influence probablement l’expression du TSA.
Justement, comment se manifeste un TSA?
De manière très diverse. Le point commun de toutes les personnes avec TSA: elles présentent des difficultés dans la communication sociale et des comportements répétitifs, ont des intérêts très spécifiques et un traitement sensoriel particulier (par exemple hypersensibilité à certains bruits ou à la lumière). Cependant, comme il s’agit d’un spectre, l’intensité du TSA varie beaucoup. D’un côté, il y a des personnes sans déficience intellectuelle (et même avec une intelligence remarquable), qui peuvent vivre «normalement», tout en ayant certaines particularités. De l’autre, on trouve celles ayant un grand retard de développement, sans langage et étant peu autonomes. Elles souffrent parfois de pathologies associées. Entre les deux, il existe un éventail très large.
Comment prendre en charge un TSA?
Il faut intervenir le plus tôt possible, car la plasticité du cerveau des jeunes enfants est grande, ce qui permet de vite travailler sur la communication et la socialisation. Il existe différentes approches validées. Le modèle de Denver (Early Start Denver Model), développemental et comportemental, s’adresse aux enfants de 18-48 mois. A raison de 20 heures par semaine pendant au moins deux ans, un professionnel travaille de façon ludique avec l’enfant pour favoriser les apprentissages. Pour les enfants et les adultes, l’analyse appliquée du comportement (acronyme anglais: ABA) vise à travailler les apprentissages en adaptant les comportements à la vie en société. Ce qui est dans tous les cas essentiel, c’est d’évaluer l’efficacité de l’accompagnement, afin de le modifier si nécessaire. SP