Quand le handicap fait peur aux employeurs – Wenn eine behinderter Mensch einem Arbeitgeber Angst macht

Source : Le Nouvelliste 29.02.2012

Les personnes souffrant de surdité ou de cécité peinent à trouver un travail fixe. Malgré des capacités égales à celles des gens valides. Témoignages.

« Aucune entreprise ne veut m’engager comme employée fixe, malgré mes très bonnes références. Je suis très consciencieuse; tous mes patrons sont d’ailleurs contents de mon travail, mais je n’arrive toujours pas à décrocher un emploi fixe. Moralement, cela devient difficile » , s’exclame Céline Délèze. Cette Valaisanne de 29 ans peine à cacher son dépit. Sourde depuis la naissance, elle n’arrive pas à décrocher de poste fixe, alors qu’elle a passé brillamment sa maturité cantonale en 2004 – elle a d’ailleurs été la première personne sourde à avoir réussi sa maturité dans une école publique – et son CFC d’assistante en information documentaire en 2007. « Je cumule les mandats à durée déterminée. Dans l’année, j’effectue des mandats de quelques mois, puis suis au chômage pendant deux-trois mois et ainsi de suite. C’est comme cela depuis que je suis sortie de formation il y a quatre ans. »

Pas d’engagement pour cause de surdité

Impossible pour Céline Délèze de ne pas relier la cause de cette errance professionnelle à son handicap. La surdité fait visiblement peur à ses potentiels employeurs. Elle en a fait la triste expérience. « J’ai demandé un jour à un patron, à la suite d’un refus pour un poste fixe, pourquoi il ne m’avait pas engagée – d’autant plus que j’avais déjà effectué des mandats pour lui avec satisfaction auparavant et qu’il n’avait cessé d’encenser mon travail. Cet homme m’a clairement répondu que c’était à cause de ma surdité! Cela m’a fait très mal et porté un gros coup au moral. »

Des chiffres, dévoilés par la Haute école de pédagogie curative de Zurich, le prouvent malheureusement. Le taux de chômage chez les personnes sourdes et malentendantes avoisine les 10% en Suisse alors que la moyenne nationale est de 3%. A compétences et niveau de diplômes égaux, un patron préfère engager une personne sans handicap de surdité ou autre. « Je ne comprends pas pourquoi une entreprise ne veut pas m’engager dans un poste fixe, je peux travailler comme tous les autres employés, sauf répondre au téléphone » , remarque Céline Délèze.

La Fédération suisse des sourds relève d’ailleurs que les employeurs ayant engagé une personne sourde se disent enchantés de leur choix. « Les personnes souffrant de surdité sont souvent très motivées et concentrées sur leur travail. Grâce à leur acuité visuelle particulièrement développée, elles apportent une diversité qui ne peut que stimuler l’innovation » , précise la fédération. De plus, très peu d’aménagements sont nécessaires pour l’intégration réussie d’une personne sourde dans l’entreprise (possibilité de communiquer par mail ou sms; engagement d’une interprète en langage des signes pour les réunions – un service financé par l’AI et non par l’employeur).

Dévoiler le handicap dans la lettre de motivation

Lorsque Céline Délèze répond à des offres d’emploi, elle joue franc jeu et mentionne son handicap sur la lettre de motivation.  » Je ne pourrai pas faire autrement. Ne pas le dire serait malhonnête. » Conséquence directe, la jeune femme n’a souvent pas la chance d’avoir un entretien. « Certains ne prennent même pas la peine de répondre à ma lettre. »

Sans AI

Lors de sa formation d’assistante en information documentaire à Lausanne, Céline Délèze a côtoyé trois autres Valaisans pendant les cours. « Tous les trois ont trouvé tout de suite un travail fixe. Je suis la seule à végéter… » Céline Délèze a d’autant plus besoin d’un emploi qu’elle ne touche rien de l’assurance invalidité – contrairement à ce qu’imaginent de nombreux employeurs. « Pour l’AI, je suis considérée comme valide à 100 %, car j’ai effectué ma scolarité dans des classes normales, puis j’ai fait une maturité et suivi une formation normale ensuite. »

La jeune femme a ainsi déployé de gros efforts pour suivre la filière scolaire et d’apprentissage traditionnelle et en est aujourd’hui pénalisée, en quelque sorte. « C’est vraiment décourageant, je l’avoue. » Elle voit d’ailleurs lors de ses stages des apprentis terminer leur formation et trouver immédiatement un emploi fixe. « Cela me renvoie à ma situation et c’est assez difficile à supporter. »

Céline Délèze refuse cependant de baisser les bras. « J’aurai bientôt 30 ans, et j’espère vraiment trouver du travail avant mon anniversaire. L’Etat du Valais a affirmé il y a quelques mois qu’il ferait des efforts. Mais j’attends toujours! Pour l’instant, il n’y a rien de concret. Au pire, je ferai la Haute école de gestion (HEG) pour devenir spécialiste en information. On verra… », conclut-elle en croisant les doigts.