Un programme européen a planché quatre ans sur les interactions cerveau-ordinateur.
Sur le lino de la cafétéria de la Haute Ecole spécialisée de Sion, un robot d’une quarantaine de centimètres de haut se déplace tranquillement sous le regard de la presse et des scientifiques réunis pour le séminaire de clôture du programme Tobi (Tools for brain-computer interaction). Sans être spectaculaire, l’engin balade un petit ordinateur portable sur l’écran duquel apparaît le visage, concentré, de Marc André. Cet installateur sanitaire, installé à Ollon, est atteint de tétraplégie partielle. Néanmoins, depuis sa chaise roulante, c’est lui qui commande le robot qui rôde entre caméras et flashs d’appareils photo.
Un bonnet bardé d’électrodes sur le crâne, le Valaisan imagine lever ses orteils, le robot vire alors sur la droite. Il imagine ensuite lever sa main gauche, et cette fois le dispositif prend la direction opposée. « Si au départ nous souhaitions arriver à la fin du programme avec un produit clés en main, nous sommes satisfaits du travail accompli » , se félicite José del R. Millán, coordinateur de Tobi. » Jamais nous n’aurions pu espérer qu’une centaine de personnes participent. C’est grâce à eux et à leur entourage thérapeutique qu’aujourd’hui nous disposons de prototypes solides, durables pour aller de l’avant. »
Encéphalographie
Depuis 2008, les chercheurs de Tobi planchent sur les interactions cerveau-ordinateur afin d’améliorer le quotidien des personnes en situation de handicaps moteurs sévères. Doté d’un budget de 12 millions d’euros et piloté par l’EPFL, Tobi a regroupé plusieurs universités du continent. En quatre ans, le programme a développé plusieurs prototypes non invasifs combinés aux technologies et aux protocoles d’assistance déjà existants.
« Les différents capteurs du bonnet recueillent par électroencéphalographie (EEG) divers signaux émis par le cerveau » , détaille José del R. Millán, de l’EPFL. » Nos algorithmes entrent ensuite en scène et permettent d’identifier les marqueurs correspondant à la volonté du patient » . Dans l’exemple précédent, c’est la volonté de bouger la pointe des pieds ou le bout des doigts qui a pu être reconnue. » Grâce à ce robot, le patient peut virtuellement se promener dans un environnement familier, rencontrer les siens et dialoguer avec eux, même s’il est à des milliers de kilomètres de là » , explique l’EPFL.
Réussir à communiquer, à surfer sur le web mais aussi rétablir une certaine mobilité sont autant de promesses portées par Tobi. Par la pensée, Jean-François, 64 ans, réussit ainsi déjà à redresser brièvement son poignet. Si ce sont encore des impulsions électriques externes qui contractent les muscles, c’est bien sa volonté qui en est à l’origine. « Le cerveau envoie un signal pour faire bouger la main et celle-ci bouge » , note le Dr Abdul Al-Khodairy, de la clinique romande de réadaptation SuvaCare, à Sion. « Le cerveau enregistre ce mouvement. Ce qui nous permet d’espérer stimuler la création de nouvelles connexions neuronales par exemple. »
Perspectives et dangers
L’interaction cerveau-ordinateur offre donc de belles perspectives thérapeutiques. Et pas seulement au sein de Tobi. A Genève, c’est sur le traitement de pathologie psychique (hyperactivité, dépressions) que Tomas Ros et l’Université travaillent par exemple.
Reste que malgré les promesses, tout n’est pas sans risque. A terme, un piratage du cerveau par des hackers (vol de code secret) ou par la police (détecteur de mensonges) n’est pas à exclure. « Nous travaillons ici en circuit fermé » , rassure José del R. Millán. « Sans contact avec l’extérieur. »
On ne peut pas en dire autant de l’industrie du jeu vidéo. Celle-ci a bien compris l’intérêt de telles technologies, des casques EEG notamment, et développe ses propres interfaces. Mais si elle peut booster la recherche, elle pourrait aussi bien, à terme, et sans garde-fou, jouer le rôle du cheval de Troie dans notre cerveau. Un jeu d’apparence anodine, qui nécessite une connexion internet, pourrait ainsi contenir une fonction cachée et permettre à certains de « voir » dans notre tête ce que l’on n’aimerait pas qu’ils voient. De quoi faire de nous de bien vulnérables proies.