Depuis cinquante ans, les enregistrements de l’Etoile sonore permettent aux aveugles et aux malvoyants de « lire » des ouvrages variés, de la Bible au roman policier.
A l’étage de l’annexe du monastère des Bernardines, dans la petite pièce où les rayonnages mangent une partie de l’espace, Soeur Marie-Paule s’installe face à l’écran de son ordinateur. » Je lance l’encodage en format MP3 de la Traduction oecuménique de la Bible (TOB) parue en 2010, de manière à compresser les 32 heures de lecture qu’elle représente sur un seul CD » , explique-t-elle. » Nous en enregistrons une partie. La Mission évangélique braille à Vevey et la Cause, une fondation protestante française active avec des malvoyants, font le reste. Ce travail à plusieurs voix sera présenté lors d’une cérémonie oecuménique à la cathédrale de Lausanne le 29 février à 18 heures. »
Depuis quelques années, la religieuse s’occupe de l’Etoile sonore. Cette sonothèque dans laquelle la voix remplace l’imprimé au bénéfice des aveugles, des malvoyants et de tous ceux empêchés de lire par eux-mêmes a vu le jour il y a cinquante ans. « Tout a commencé en 1964 quand un plâtrier-peintre ayant perdu la vue a enregistré une conférence pour son épouse qui ne pouvait l’accompagner. La bande a ensuite circulé dans le milieu. Puis quelqu’un a eu l’idée de faire la même chose avec des livres, pour avoir accès à l’écrit. Et des bénévoles se sont mis à enregistrer des ouvrages avec des cassettophones. »
Une bibliothèque sonore a ainsi pris forme, sous l’égide du groupe Notre-Dame de la Lumière, section romande de l’Action Caritas suisse des aveugles. « Nous avons repris le flambeau en 1976. La légende affirme qu’à l’époque, tout tenait dans une panière à linge. Petit à petit, le catalogue s’est étoffé. »
Au fil des ans, le monastère a suivi l’évolution technologique. Les cassettes qui avaient remplacé les bandes magnétiques ont été à leur tour supplantées par les CD au tournant des années 2000. Non sans avantages: » Celui qui prête sa voix peut travailler devant son ordinateur, à domicile, quand il le veut. En outre, nous avons gagné de la place, car ce qui occupait avant toute une travée tient aujourd’hui sur un seul disque », apprécie la religieuse. « Et la qualité est supérieure. Ce qui nous oblige à réenregistrer certains classiques, car nous ne continuerons pas à numériser de l’analogique. Enfin, d’ici à la fin de l’année, j’aimerais bien mettre en place le téléchargement, même si nous n’allons pas abandonner le prêt par la poste. »
Ces changements sont sources d’interrogations. » J’ai une formation d’ingénieur en électrotechnique au départ, ce qui me permet d’être à l’aise avec l’informatique. Mais qu’en sera-t-il lorsque je ne serai plus là? D’autant que la communauté se réduit puisque nous ne sommes plus que huit dans les murs du couvent. A priori, la mission ne devrait pas s’arrêter là mais demeurera-t-elle ici? »
Autre inquiétude: les liens avec l’Office fédéral des assurances sociales, l’un des soutiens financiers de l’Etoile sonore. » L’OFAS est en train de changer le mode de subventionnement. Pour obtenir une aide, les associations devraient compter un certain nombre de bénéficiaires de l’AI, ou qui l’ont été durant les dix dernières années. Mais les retraités qui touchent l’AVS ne rentrent pas dans ce quota. Une bonne partie des personnes qui ont besoin des bibliothèques sonores ne seront donc pas reconnues. C’est un gros souci. »
Riche de 2000 ouvrages prêtés gratuitement, le catalogue de l’Etoile sonore est varié, avec environ 30% de sujets spirituels. « Ils sont assez prisés car il n’existe pas beaucoup d’équivalents ailleurs » , estime Soeur Marie-Paule. Pour enrichir sa sonothèque, l’association peut compter sur une trentaine de lecteurs – des « donneurs de voix » -, la plupart en Valais, quelques-uns à Genève et Fribourg. Après un bout d’essai pour tester les aptitudes du bénévole, une petite formation lui est prodiguée, pour expliquer comment on structure un livre (introduction, données bibliographiques, chapitres, résumé…) et comment, avec des codages, on établit la hiérarchie qui permettra aux auditeurs de circuler dans l’ouvrage. Ponctuellement, des ateliers sont mis sur pied pour améliorer la pose de voix ou se familiariser avec des techniques de relaxation. « Au début, ce n’est pas évident. La première fois que j’ai réussi à tenir une minute sans bafouiller fut une victoire pour moi! » sourit la religieuse. » Nous essayons de composer avec les goûts de chacun. Le recrutement se fait par le biais du bouche à oreille et nos meilleurs ambassadeurs sont nos lecteurs eux-mêmes et nos abonnés. De très beaux liens se créent au niveau humain, car il ne s’agit pas seulement de faire sa B.A. dans un coin. C’est ce qui fait notre force. »
Source le Nouvelliste